DOCTOR WHO — 6x10 : The Girl Who Waited
‘‘This isn’t fair. You’re turning me into you !’’ – Rory au Docteur.
Par Sullivan Le Postec • 12 septembre 2011
Le scénariste Tom MacRae met les compagnons actuels du Docteur à l’honneur dans un épisode intrigant et bouleversant qui revient sur les conséquences de leurs voyages à bord du Tardis.

Un Docteur, un Rory, et deux Amy, ça fait beaucoup de possibilités. La preuve, le scénariste Tom MacRae en tire un épisode entier de « Doctor Who », sans aucun autre personnage, si ce n’est un hologramme apparaissant quelques secondes.

The Girl Who Waited

Scénario : Tom MacRae ; réalisation : Nick Hurran.
Le Docteur amène Amy et Rory visiter Apalapucia, la deuxième destination touristique de l’Univers. Mais, victime d’une épidémie qui tue en vingt-quatre heures, la planète est en quarantaine. Un système automatisé manipulant les lignes temporelles a été mis en place pour permettre aux contaminés de vivre une vie entière pendant cette unique journée. Séparée de Rory et du Docteur, Amy s’y trouve enfermée. Le Docteur embarque dans le Tardis pour la retrouver. Mais Rory découvre, horrifié, qu’Amy a eu le temps de vivre seule 36 ans avant qu’ils ne soient réunis. Cette Amy, aigrie et en colère, a-t-elle encore envie d’être sauvée ?

The time girl...

Le Docteur est un coupable innocent, et Amy une victime enthousiaste, fascinée par le Docteur et la liberté que celui-ci s’est donné d’aller et venir comme bon lui semble à travers l’espace et le temps, porté par son désir d’aventure et sa crainte de l’ennui. Depuis le départ, c’est l’axe avec lequel a été développé Amy, petite fille ayant croisé la route du Docteur, et qui a le plus grand mal à s’en détourner.

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Le mode opératoire le plus courant du Docteur consiste à proposer à des jeunes filles sur le point de passer à l’âge adulte quelques mois d’aventure, avant de passer définitivement le cap de l’adolescence. Dans cette perspective, cela fait longtemps que le Docteur aurait dû déposer Amy dans sa maison de Leadworth et lui dire adieu. Mais les circonstances se sont enchaînées. Le Docteur a dû embarquer Rory dans le Tardis, de crainte que ses aventures avec Amy ne séparent définitivement le couple, provoquant au passage des failles dans tout l’Univers. Finalement, au terme d’un reboot de l’Univers, la jeune fille s’est mariée, forçant le Docteur à un ménage à trois qu’il espérait très temporaire. Mais sa mort, et surtout River Song, sont venus prolonger encore le séjour d’Amy et de Rory. Bien au-delà de ce qui aurait été raisonnable. La manière dont les vies du couple et celle du Docteur sont devenues inextricablement liées, peut-elle être sans graves conséquences ?
Le Docteur s’en voulait déjà d’avoir dérouté les vies de ses précédentes compagnes de voyage, mais les destins de Rose, Martha et Donna semblent bien doux face à la manière dont la vie d’Amy a été complètement retournée, mise sans dessus-dessous. C’est logique en conséquence, pour donner corps à ce motif, qu’Amy soit constamment amenée à croiser des versions d’elles plus jeunes ou plus âgées. (De la même manière, alors que le Docteur avait promis à sa mère de veiller à la sécurité de Rose, la jeune femme se retrouvait systématiquement en danger, passant pour morte dans bon nombre d’épisodes.)

Amy est désormais une anomalie temporelle, le contraire presque d’un Jack Harkness, point fixe dans le temps. Elle est un point flou, sa vie s’emmêlant comme une pelote de laine. Amy a des conversations avec elle-même enfant ou vieille femme. Elle se fait réconforter par sa fille adulte quelques instants après l’enlèvement de son bébé. Amy est devenue une créature extraordinaire au cœur de flux temporels entrecroisés.

…Who waited

Amy est définie depuis sa première rencontre avec le Docteur comme ‘‘the girl who waited’’, un autre motif récurrent auquel cet épisode participe. L’usage de nombreuses musiques extraites de « The Eleventh Hour » y est d’ailleurs plus justifiable que les réutilisations constantes de la BO de la saison 5 dans les autres épisodes de cette saison, même si la façon dont ‘‘I Am The Doctor’’ est plaquée sur une scène d’action sans le Docteur prouve le caractère désespéré des responsables de la bande-son, qui tentent de pallier à l’absence de nouvelles compositions.

Certains ont reproché à cette caractéristique d’ancrer le personnage dans une certaine passivité. C’est oublier un peu vite qu’Amy ne fait pas qu’attendre. Elle résiste. La petite Amy a épuisé quatre psychiatres qui ont essayé de la convaincre que le Docteur était un ami imaginaire. L’Amy d’aujourd’hui a survécu 36 ans seule, poursuivie par des robots (ce qui est impressionnant mais ne pousse pas non plus la crédibilité trop loin : les droïds sont conçus pour administrer des médicaments, pas pour le combat).
Amy est caractérielle, imprévisible, son indépendance frôle la tendance à affronter tout le monde, tout le temps. Mais c’est aussi une combattante, une survivante à la résilience très élevée, un personnage d’une force absolue. Le fait qu’Amy appuie sur le bouton rouge au début de l’épisode démontre qu’elle est instantanément capable de prendre en compte que le vert et le rouge peuvent avoir des significations complètement différentes pour des civilisations extraterrestres, et de mettre de coté le conditionnement que l’on subit tous. Venue explorer une planète merveilleuse, les chutes d’eau lui apparaissent comme le choix logique...

Qu’est-ce qui unit Amy et Rory ? La question s’est souvent posée la saison dernière, et a participé à la difficulté à saisir le personnage d’Amy. Dans le deuxième épisode de cette saison, encore, certains parlaient de triangle amoureux avec le Docteur. Peut-être un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais, et après les flash-backs de « Let’s Kill Hitler », cette relation termine de prendre corps.
Amy aime Rory autant qu’il l’aime, et leur relation n’est pas aussi déséquilibrée que ce que l’on pourrait croire de prime abord. Porté par une Karen Gillan épatante, notamment quand il s’agit de crédibiliser l’âge de la deuxième Amy, et un Arthur Darvill qui confirme épisode après épisode être un acteur extraordinaire, et dont on imagine sans peine tomber amoureux plutôt que du premier musclor fadasse venu, « The Girl Who Waited » se dévoile dans ses deux derniers tiers comme une love story tragique et bouleversante.

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Un épisode Moffatien

« The Girl Who Waited » est un épisode très moffatien alors qu’il n’en est pas à l’origine. Contrairement à Russell T Davies, qui concevait lui-même tous les pitchs des épisodes avant de les distribuer aux auteurs (dont il réécrivait le script en profondeur 9 fois sur 10), Steven Moffat est beaucoup plus disponible pour des idées extérieures, ce qui permet le développement, de quelques épisodes hors-normes, comme le magnifique « Vincent and the Doctor » de la saison dernière, ou l’épisode de Neil Gaiman cette année.
Ancien protégé de Russell T Davies — il a écrit le double épisode sur les Cybermen de l’Univers parallèle dans la saison 2 à l’âge de 26 ans — Tom MacRae a pris contact avec la nouvelle équipe et leur a proposé son épisode. MacRae explique néanmoins qu’au cours du développement, l’arrivée de la vieille Amy, au départ situé à la fin de l’histoire, a été avancé devant le potentiel de cette ligne narrative, ce qui contribue à rapprocher l’épisode des préoccupations de Steven Moffat. Cet événement intervient aujourd’hui en conclusion du premier tiers du script.

Le caractère extraordinaire d’Amy et de Rory, leur place singulière dans l’espace et le temps, c’est la limite des reproches fait à Steven Moffat sur la réaction d’Amy et de Rory face notamment à la disparition de leur bébé.
Au-delà du fait que l’auteur a changé la structure de la saison, justement pour donner au couple un été entier pour passer le cap de la douleur initiale, il faut reconnaître qu’il y a longtemps que l’expérience d’Amy et de Rory dépasse celle d’Humains normaux. La première se souvient de deux vies différentes, le deuxième aussi, plus d’une troisième de 2000 ans pendant laquelle il était un Centurion en plastique. Russell T Davies a plusieurs fois frôlé la transformation de ses héroïnes en super-humaines, de Bad Wolf à DoctorDonna, avant de bien vite reculer et d’enclencher le reset button. Steven Moffat, lui, pousse ce concept jusqu’au bout, et rend du même coup la série extrêmement sombre alors qu’elle est en apparence plus fun que jamais.

Vous avez fantasmé devant « Doctor Who » ? Vous vous êtes pris à rêver de monter vous aussi à bord du Tardis pour quelques aventures ? Steven Moffat, qui raconte très souvent des histoires à propos de l’acte de raconter des histoires, du côté de l’émetteur ou du récepteur, tend un miroir aux fans, et leur démontre à quel point ce rêve est inconséquent. A quel point c’est pure folie, une escapade autodestructrice.
De là à y voir une partie de l’explication d’une montée d’un certain anti-moffatisme primaire dans le fandom dans la série, alors que la série se porte comme un charme dans le cœur du grand-public, avec des audiences étonnamment stables...

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Time can be rewritten

Le temps peut être réécrit. Mais est-ce qu’il le doit ? Est-ce juste ? Est-ce, tout simplement, moral ? La demande de la vieille Amy, qui défend la légitimité de son existence, fait écho à celle de River Song, qui demande qu’on ne change pas le passé de la petite Melody Pond, pour ne pas perdre ses années avec le Docteur.
S’interrogeant sur l’identité, cette ère de « Doctor Who », et son personnage qui répugne beaucoup moins que ses deux prédécesseurs à manipuler les lignes de temps, nous invite à nous demander si nous ne sommes pas autant le fruit de nos traumas que de nos bonheurs. Le Docteur n’accepte que rarement avec la philosophie la fatalité. C’était déjà le sens de « Christmas Carol » dans lequel il effaçait les traumas d’un homme dans l’espoir de le ‘‘soigner’’, mais seulement pour mieux en créer un autre, accidentellement.

Ces dernières années, le Docteur était présenté comme une figure christique, c’est-à-dire un homme aux grands pouvoirs mais fondamentalement bon et juste, et capable de se sacrifier pour les autres — c’était le sort final du dixième Docteur face à Wilff — même si ses actions pouvaient parfois avoir quelques conséquences néfastes, elles étaient mesurées.
Mais c’est plutôt aux mythologies antiques qu’on pense désormais, et à leurs Dieux centrés sur eux-mêmes et quasi-indifférents au sort des hommes. ‘‘Ce n’est pas comme ça que je voyage !’’ répond laconiquement le Docteur quand Rory lui fait remarquer qu’il pourrait penser à vérifier où il met les pieds.
‘‘Alors je n’ai pas envie de voyager avec toi !’’ réplique Rory.

Même Amy, qui a moins de raison d’en vouloir au Docteur, parce que voyager avec lui était sa décision, peut en venir à le haïr comme sa version âgée. Les victimes collatérales que le Docteur laisse sur son passage sont nombreuses, et il doit assumer sa responsabilité, comme l’y invitait River Song dans ses propos très durs à la fin de la bataille de Demon’s Run.
Lorsque Amy défie les lois du temps, et décide de changer son passé, le Docteur fait remarquer que connaître son futur peut permettre de l’éviter, ce qui fait écho à sa propre situation. Mais la mort du Docteur, dont l’ombre plane sur toute cette saison, prend de plus en plus un sens différent. Et si, plutôt qu’une menace, elle était une nécessité ? L’intervention de l’astronaute impossible est-elle en fait un suicide, au moins symbolique ? Après tout, un cinquantenaire n’est pas une mauvaise période pour envisager une renaissance...


« The Girl Who Waited » est une étude de caractère maligne et au bout du compte bouleversante. Dans une période de superficialité et de facilité, dominée par les peurs et la paralysie, Tom MacRae nous invite à considérer avec subtilité et délicatesse que les difficultés et la peine participent de notre humanité de façon essentielle. Comme c’est maintenant l’habitude, il est soutenu par une réalisation d’une grande exigence artistique, qui sait nous communiquer l’émotion sans nous noyer sous le pathos. « The Girl Who Waited » est un classique, résumé en miniature de cette ère de la série.

Post Scriptum

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Dernière mise à jour
le 21 avril 2012 à 18h14