DOCTOR WHO — 6x04 : The Doctor’s Wife (L’Âme du Tardis)
‘‘I wanted to see the universe, so I stole a Time Lord and ran away’’
Par Sullivan Le Postec • 15 mai 2011
La plus grande star de cet épisode est le scénariste. Et Neil Gaiman se révèle largement à la hauteur de sa réputation et de son statut.

L’épisode de Neil Gaiman, star de la littérature fantastique et de science-fiction, était très attendu d’autant plus qu’il était en préparation depuis longtemps. L’anticipation était encore montée d’un cran depuis que son titre avait été dévoilé. Cette histoire de titre est d’ailleurs révélatrice de la manière dont Neil Gaiman détourne nos attentes. Pour mieux les surpasser.

The Doctor’s Wife

Scénario : Neil Gaiman ; réalisation : Richard Clark.
Le Docteur reçoit un message via un hypercube, en provenance d’un autre Seigneur du Temps de sa connaissance, Le Corsaire, et le suit jusqu’à son origine : un astéroïde se trouvant dans un Univers de poche accolé à notre Univers. Sur celui-ci se trouve un rift dans l’espace-temps, similaire à celui qui se trouvait à Cardiff, et au travers duquel se déverse des objets et des gens.
C’était un piège. A peine arrivé sur place, le Tardis est vidé de toute son énergie. En réalité, c’est son âme qui a été transférée par l’entité vivante qu’est cet astéroïde, dans le corps d’une femme, Idris. Cette entité, House, se nourrit de l’énergie libérée par les Tardis. Il a attiré de nombreux Seigneurs du temps ici, les a tué et a détruit leurs machines. Mais lorsqu’il apprend que Le Docteur est le dernier des Time Lord, House comprend que la source s’est tarie et qu’il ne pourra plus survivre ici. Il prend possession du Tardis, alors qu’Amy et Rory sont à l’intérieur, pour rejoindre notre Univers.
Laissés sur l’astéroïde, Le Docteur et le Tardis dans le corps d’Idris doivent trouver le moyen de les rejoindre avant que House ne s’en prenne à Amy et Rory...

Let’s blog

L’histoire de cet épisode commence il y a presque exactement trois ans, et elle commence sur Internet. Plus précisément par ce billet du blog de Neil Gaiman, très célèbre auteur britannique. Dans celui-ci, Neil Gaiman réagit au message d’un lecteur qui s’enthousiasme des premières rumeurs annonçant que Steven Moffat prendrait le relais de Russell T Davies après son départ, des rumeurs qui ne seront officiellement confirmées que quelques mois plus tard, en novembre. Gaiman complimente Moffat. Celui-ci lit le billet, réplique par des remerciements via e-mail. Tout cela mène à un déjeuner dans lequel Steven Moffat lui admet que les rumeurs sont vraies, tandis que Neil Gaiman admet ce qu’il ne disait pas sur son blog : il aimerait bien écrire un épisode de la série, ce que Steven Moffat accepte bien évidemment.

Un auteur célèbre qui signe un épisode, c’est excitant, mais cela peut aussi être très décevant. Personnellement, cela me renvoie à « X-Files » et à l’épisode très peu inspiré de Stephen King, ainsi qu’aux résultats contrastés de William Gibson qui, en deux épisodes, signa certes une grosse réussite (« Kill Switch »), mais aussi un « First Person Shooter » totalement sans intérêt.

Sauf que Neil Gaiman, s’il est d’abord connu pour ses Comics, dont « The Sandman » ou ses romans (« Stardust », notamment), n’est pas étranger à l’écriture scénaristique et à la télévision, ayant signé « Neverwhere », pour la télévision britannique ou un formidable épisode de la dernière saison de « Babylon 5 ». Il est aussi, de façon très évidente, pas un simple téléspectateur occasionnel de la série, mais un véritable fan qui se réjouit de pouvoir plonger dans les méandres de sa gigantesque continuité, et y laisser quelques traces de son passage, comme lorsqu’il fait confirmer au Tardis que c’est lui qui décide parfois de la destination du Docteur. Son scénario, surprenant, vif, riche en personnages et en émotions, s’approche très près de la perfection.

Change of order

A l’origine, « The Doctor’s Wife » — qui s’appelait alors encore « House of Nothing » — devait être le onzième épisode de la cinquième saison. Sauf que pendant la production de la saison, il devint apparent que l’épisode 11, prévu pour le dernier bloc de production, devrait tenir compte du fait que le budget restant était très réduit. L’épisode de Neil Gaiman ne répondant pas exactement à cette contrainte, il fut décidé de le reporter au tout début de la prochaine saison, et à son premier bloc de production, un moment où il y aurait encore de l’argent. Et « The Lodger », épisode se passant dans un appartement avec très peu d’effets spéciaux, fut tourné à sa place.

Le bouleversement amena quelques modifications dans le scénario, principalement du fait que dans son positionnement original, il se passait à un moment où Rory n’existait plus. Amy, seule dans le Tardis dans la première version — elle y trouvait une bague de fiançailles — devait maintenant s’y trouver en compagnie de son mari.
Et même s’il avait à peu près autant d’argent que peut avoir un épisode de « Doctor Who », ce qui est apparent dans les scènes extérieures de l’astéroïde-décharge de l’Univers, il n’y en avait pas encore tout-à-fait assez pour porter tout ce qu’avait imaginé Gaiman à l’écran : ainsi ont été supprimés une introduction alternative (les personnages recevaient l’hypercube alors qu’ils se trouvaient au milieu d’une aventure sur une Planète des Dieux de la Pluie, au lieu d’être simplement dans le Tardis), et une scène située dans la salle de la piscine du Tardis. De même, un monstre original est finalement devenu un Ood. La preuve que le manque d’argent peut avoir des effets très positifs.

Par contre, la musique de l’épisode se compose à nouveau majoritairement d’extraits de la BO de la saison précédente vaguement mixés les uns avec les autres.
Maintenant que j’y ai réfléchi depuis les deux épisodes d’ouverture de la saison, c’est probablement une conséquence de l’épisode spécial de Noël. La série a toujours disposé que d’un budget musique limité qui ne permet que très peu de jours d’enregistrement avec le National Orchestra of Wales — trois par saison je crois. « A Christmas Charol », épisode qui a donné lieu à un CD rien que pour lui, et qui était centré autour d’une chanson originale écrite par Murray Gold, a probablement utilisé à lui seul une large partie du budget musique et imposé cette approche pour ces épisodes. Pour être honnête, c’est surtout désagréable parce que j’ai écouté le CD de la saison 5 souvent, et que je connais donc bien les morceaux.

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La décision d’amener « The Curse of the Black Spot » dans la première partie de la saison a eu une autre conséquence : prévu pour être le troisième épisode de la saison, « The Doctor’s Wife » est devenu le quatrième. Un changement très positif : la semaine dernière, l’épisode aurait pris quelques critiques pour le simple fait d’être le premier épisode indépendant arrivant après les questions laissées sans réponses du double épisode de lancement. Comme je l’ai dit, j’aime autant que ces critiques soient tombées sur un épisode qui méritait d’être critiqué.

What if ?

Comme souvent, l’idée de cet épisode a émergé d’un ‘‘what if ?’’. Et si Le Docteur pouvait parler au Tardis, son extraordinaire vaisseau, volé alors qu’il était un jeune Time Lord désireux de fuir sa société corseté et d’explorer l’Univers.
Cette conversation a eu lieu dans l’esprit de Gaiman, et elle avait l’air de l’interaction d’un vieux couple marié. C’est ce qui a donné naissance à l’épisode.

Le Tardis prend vie grâce à la prestation spectaculaire de Suranne Jones qui, dans le rôle d’Idris possédée par l’âme du vaisseau, communique l’espèce de folie et d’étrangeté nécessaire et n’est pas sans rappeler le charisme mystérieux d’une Helena Bonham Carter.

Mais en plus d’explorer l’âme du Tardis, Neil Gaiman explore aussi ses entrailles, nous donnant pour la première fois un aperçu de ce qui peut se cacher derrière les escaliers qui s’échappent de la salle de contrôle. Au final, on ne visite que quelques couloirs très seventies et l’ancienne salle de contrôle, mais ce n’est même pas décevant. Il faut dire que cette partie de l’épisode constitue sa partie horrifique — quoique que les deux humains patchworks avaient déjà introduit cet aspect au début de l’épisode.
On a droit à quelques scènes très réussies alors que House joue avec la réalité dans l’esprit de Rory et d’Amy. Le réalisateur Richard Clark effectue un excellent travail, comme dans le reste de l’épisode, notamment dans les scènes reposant sur les différences de point de vue entre Amy et Rory, qui revisitent intelligemment l’art du champ / contre-champ.

C’est l’occasion aussi de voir Rory mourir pour la troisième fois en trois épisodes, sans compter les trois fois de la saison dernière. C’est au moins en train de s’établir comme un running-gag. Mais on atteint le point où l’on peut même se demander si quelque chose de plus ne se cacherait pas là-dessous. Voilà une pièce qui se rajoute aux différentes questions soulevées et aux indices disséminés, avec l’avertissement du Tardis : ‘‘the only water in the forest is the river’’.


Trois segments fantastiques, parmi les meilleurs de la série, en quatre épisodes. Le moins que l’on puisse dire est que cette saison commence bien. Le scénario inventif et varié de Neil Gaiman est mis en scène de façon inspirée, et porté par une interprétation de haut niveau. « The Doctor’s Wife » est tout simplement déjà un classique, au lendemain de sa première diffusion.

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Le dessin gagnant

La console Blue Peter
En octobre 2009, alors que le tournage de la première saison de Matt Smith était en cours depuis juillet, les producteurs de « Doctor Who » avaient lancé avec l’émission britannique pour enfants Blue Peter un concours dont l’objectif était de concevoir une nouvelle console de Tardis qui apparaîtrait dans un futur épisode. A ce moment, l’équipe pensait encore tourner « The Doctor’s Wife » cette année-là. Le dessin gagnant avait été révélé en février 2010 comme étant celui créé par Susannah du Lancashire. C’est seulement aujourd’hui, plus d’un an après, que cette console est finalement apparue à l’écran, sous la forme de celle fabriquée par le Docteur et Idris à partir des restes de Tardis.

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A lire :
Une intéressante interview de Neil Gaiman sur son épisode.

Design originaux
Les concept arts originaux de David Bonneywell pour cet épisode, où il imaginait les personnages de Uncle, Auntie, et Nephew, diffèrent sensiblement de ce qu’a finalement montré l’épisode, pour des contraintes à la fois graphiques (la série ne peut pas être trop gore et effrayante) et de budget. Ces concepts amplifiaient le caractère d’humains-patchwork. Pour Nephew, l’équipe tenait à ce qu’il soit un monstre, le design original couteux a été remplacé par un monstre déjà existant, un Ood.

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Concept arts originaux de David Bonneywell
Source : Deviant Art.

Post Scriptum

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Dernière mise à jour
le 12 mai 2012 à 20h39