DOCTOR WHO – 6x00 : A Christmas Carol (Le Fantôme des Noëls Passés)
‘‘Better a broken heart than no heart at all’’ – Le Docteur
Par Sullivan Le Postec • 26 décembre 2010
C’est Noël. C’est donc l’heure d’un épisode spécial de « Doctor Who ». Et, pour la première fois, c’est au tour de Steven Moffat de se frotter à ce qui est devenu une institution télévisuelle britannique.

Le double-épisode spécial « The End of Time / La Prophétie de Noël » diffusé à Noël 2009 sur BBC1 et l’année suivante sur France 4 était d’abord, bien avant d’être un épisode de Noël, celui qui marquait le départ de David Tennant et la régénération du Docteur. Cette histoire-là avait juste été saupoudrée d’un peu d’esprit festif pour coller à la date de diffusion. A bien des égards les deux événements – Noël et les adieux de Tennant – entraient en collision l’un avec l’autre. Cette année, logiquement, Noël reprend l’avantage. Ce n’était pas forcément une excellente nouvelle et, sur le papier, cet épisode pouvait ne pas sembler particulièrement enthousiasmant. J’aime Dickens autant que qui que ce soit, mais avais-je pour autant vraiment envie de voir la n² ème adaptation de son « Christmas Carol » ? Peut-être pas. Sauf que quand c’est écrit par Steven Moffat et pour « Doctor Who »...

« A Christmas Carol / Le Fantôme des Noël Passés » est d’ores et déjà disponible en streaming gratuit sur le site de France 4. Mais autant attendre sa diffusion, qui marquera le retour de la Version Multilingue pour « Doctor Who » sur la chaîne : les téléspectateurs auront à nouveau la possibilité de suivre la série en version originale, soit la seule façon dont elle devrait être appréciée.

A Christmas Carol

Scénario : Steven Moffat ; réalisation : Toby Haynes.
Amy et Rory sont en croisière interplanétaire de lune de miel, et le vaisseau dans lequel ils se trouvent avec 4000 autres passagers doit atterrir sur une planète colonisée par les Humain dont le brouillard et les nuages ont des propriétés très particulières. Mais pour l’heure, celles-ci empêchent le vaisseau de se poser, et pourraient causer la mort de tous les passagers. Un homme contrôle les nuages de cette colonie, le richissime et misanthrope Kazran Sardick. Mais comme il n’a rien à y gagner, il n’a pas l’intention de bouger le petit doigt. Pour sauver Amy et Rory, le Docteur va devoir enfiler les habits du fantôme des Noëls passés et réécrire le cours de la vie de Sardick, dans l’espoir d’en faire un homme meilleur. Il n’imagine pas que la fatalité va s’en mêler, et que les heures de bonheur et les réveillons merveilleux offerts au jeune Kazran portent en eux une terrible tragédie...

L’esprit de Noël

Dès 2006, alors qu’il assurait la promotion de « The Runaway Bride », Russell T Davies se retrouva confronté à des journalistes qui présentaient l’épisode de Noël de « Doctor Who » comme ‘‘une tradition’’ ; il devait alors leur expliquer que ce n’était jamais que le deuxième (ou le troisième, en comptant celui de la série classique, écrit par Terry Nation et diffusé le 25 décembre 1965). L’anecdote est amusante, mais elle révèle aussi à quel point la série et Noël vont naturellement bien ensemble. C’est que les deux ont le même objectif : réunir ensemble toute la famille, petits et grands.

Quatre ans plus tard, il n’y a guère de moyens pour contester que c’est effectivement devenu une tradition, et qu’on imagine mal un Noël sans « Doctor Who » – même si cela a failli arriver il y a deux ans, quand « The Next Doctor » a dû être filmé directement dans la continuité de la saison 4 (le quinzième épisode d’affilé !) et qu’un Russell T Davies au bout du rouleau et très en retard sur le planning d’écriture s’est demandé avec Julie Gardner s’il ne valait mieux pas annuler l’épisode. Après le clash des événements de la saison dernière, il était naturel que l’équipe ait eu envie de revenir à quelque chose de moins lugubre et de plus habité par l’esprit de Noël. A cette fin, que peut-on imaginer de mieux que LE classique de Noël, le « Christmas Carol » de Dickens, publié en décembre 1843 ? Il n’était cependant pas possible d’aborder ce matériel de manière trop directe : le troisième épisode de la série mettait déjà en scène Dickens et des fantômes à la veille de Noël (« The Unquiet Dead », écrit par Mark Gatiss). 2005, une époque où tout le monde pensait que ce retour était un gros pari, n’imaginait pas qu’il serait un succès aussi phénoménal, et encore moins qu’il donnerait lieux à des épisodes spéciaux de Noël – les plus hautes audiences de l’année en Grande Bretagne.

Steven Moffat résout ce problème en faisant du Moffat – c’est-à-dire que cette nouvelle variation autour de « Christmas Carol » n’est pas un sous-texte, encore moins une coïncidence. Le Docteur décide consciemment que le meilleur moyen de régler le problème posé par ce Scrooge du quarantième siècle est de lui organiser un remake en live du classique – de la même manière que le roman de Robert Louis Stevenson existait et faisait partie de l’intrigue du génial « Jekyll » du même scénariste.
Force est de constater que Steven Moffat a su convoquer brillamment l’esprit de Noël, même s’il en était assez éloigné au moment de l’écriture de l’épisode. Celle-ci se déroula en effet en large partie en avril, alors qu’après une tournée de promotion de la nouvelle saison aux Etats-Unis, Moffat était coincé à Los Angeles par l’éruption de l’Eyjafjallajokull qui bloquait le trafic aérien. « A Christmas Carol » fut donc écrit dans la ville évoquant le moins Noël au monde, dans une chambre d’hôtel, à grand renfort de climatisation montée à pleine puissance et de CD chants de Noël joués à fond.

Au final, on se rapproche un peu de l’ambiance de « Cyber-Noël », de par les aspects intimistes et victorien de l’épisode, même si Moffat ne se sent pas obligé de convoquer quelque chose de similaire à la marche du Cyber-king écrasant Londres. Le scénario reste étonnamment centré sur ses enjeux humains et son échelle modeste. Au point que certains critiques se sont demandés si l’épisode retiendrait l’attention des plus jeunes enfants – oubliant un peu vite, à mon sens, la puissance de l’architecture inspirée de Dickens qui imprègne le récit, mais aussi l’imagerie surréaliste et vraiment marquante des poissons qui volent. Sans parler de la terrifiante attaque du requin !
Comme cela a déjà été le cas tout au long de la saison dernières, les dialogues sont particulièrement brillants, et l’abondance de one-liners tordants est ici un contrepoint parfait à la mélancolie de l’histoire.

Trouver ses marques

« A Christmas Carol » a aussi de rassurant qu’il renforce la bonne impression laissée par les quatre derniers épisodes de la saison cinq, malgré les trous béants dans le scénario de l’épisode final. Celle d’une équipe qui trouve définitivement ses marques, et reconnecte avec les éléments qui ont fait le succès du « Doctor Who » moderne : son exploration de l’âme humaine et sa mise en avant des émotions des personnages. Ce n’est qu’avec « Vincent and the Doctor » et « The Lodger » que la saison dernière avait réussi à mettre en scène des personnages guests auxquels on s’attachait réellement, et le final avait appliqué ce traitement à Amy, Rory, et leur relation. « A Christmas Carol » continue dans cette lancée, et parvient donner vie et densité à Kazran Sardick à ses différents âges, mais aussi à Abigail, malgré un temps d’antenne finalement limité.

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La distribution aide évidemment à la réussite de cette entreprise, particulièrement un Michael Gambon d’une très grande subtilité dans son interprétation de cet aigri au cœur sec, mais qui cache des restes d’une bonté depuis longtemps perdue, que le Docteur réveille en lui faisant vivre de nouvelles expériences. Des réveillons très particuliers, hors du temps, qui permettent à Kazran d’être bien plus que simplement le fils de son horrible père, de connaître d’autres modèles, d’autres expériences, des émotions nouvelles. Devenir quelqu’un d’autre que son père, c’est, de fait, l’aspiration profonde de Kazran. Le Docteur l’a repéré quand le vieillard se refuse à frapper l’enfant qui l’avait provoqué. Mais la mort inévitable d’Abigail brise le cœur de Kazran, et la figure paternelle alternative qu’était devenu le Docteur, tenue pour responsable de la tragédie, se retrouve chargée de la même aura négative que son père véritable, et le ramène au point de départ. C’est à nouveau alors qu’il était sur le point de frapper un enfant – nul autre que lui-même ! – qu’il réalise tout-à-fait qu’il ne veut plus être cet homme-là.
Katherine Jenkins chanteuse célèbre en Grande-Bretagne, à la carrière au croisement entre l’Opéra et la pop, avait tout l’air d’un coup de casting potentiellement contre-productif. Que ce soit parce que l’actrice n’aurait pas été bonne, ou parce qu’anticipant qu’elle puisse ne pas l’être, le script ne lui aurait pas donné grand-chose à jouer, comme cela avait été le cas pour Kylie Minogue dans « Voyage of the Damned ». Il n’en est rien. D’abord, contrairement au casting de Kylie Minogue, qui est venu avant l’écriture du scénario, c’est bien parce que le script, déjà écrit, avait besoin d’une chanteuse que l’équipe de la série est allé chercher Jenkins pour lui faire passer des essais. Et il se trouve qu’elle sait jouer, et ce montre franchement convaincante dans son rôle de princesse de glace amoureuse. On a du mal à imaginer que c’est sa première expérience devant une caméra.

Mise en musique

« The Eleventh Hour » mis à part, la saison dernière n’avait réussi à donner leur juste place aux compositions de Murray Gold que dans ses derniers épisodes, là-aussi. Des sources à l’intérieur de la série indiquaient que la musique du double-épisode final (qui occupe à elle seule pratiquement un CD entier du double CD de la bande originale de la saison 5) servirait de base à l’utilisation de la musique dans les épisodes de 2011. C’est effectivement ce que cet épisode laisse entrevoir. On retrouve également le développement des nouveaux thèmes introduits l’année dernière, mais peu réutilisés au cours de la saison. Notamment celui du Docteur, sur lequel Murray Gold brode de nouvelles variations, ce qui ressemble plus à son travail sur les premières saisons.
Dans des conditions assez épiques, Murray Gold s’est également vu confier la responsabilité d’écrire un chant de Noël original, chanté par Katherine Jenkins. Prévenu par la productrice exécutive Beth Willis par téléphone au moment où le script a été livré à l’équipe, trois semaines avant le tournage, Murray Gold pensait avoir le temps d’y réfléchir, et qu’il ne pourrait s’atteler à cette chanson qu’au moment où serait réalisée la musique du reste de l’épisode, à l’automne. C’est par un nouvel appel de Beth Willis que le compositeur de la série a compris que la chanson serait chantée dans l’épisode, et que l’équipe en aurait donc besoin pour le tournage de ces scènes. Trois jours plus tard... Le moins que l’on puisse dire est que le résultat ne laisse pas entrevoir cette urgence.

Il y a une réussite majeure de la saison 5 à laquelle la série reste fidèle : la réalisation. Toby Haynes, qui avait déjà signé la mise en scène très réussie de « The Pandorica Opens / The Big Bang » est de retour pour un résultat à nouveau spectaculaire, et à la photographie particulièrement soignée.
Même si l’hommage/parodie de la salle de commande de vaisseau à la « Star Trek » est tellement réaliste qu’elle pique les yeux de par sa direction artistique au goût douteux qui n’est pas sans rappeler la nouvelle série « V »… Coincés à bord du vaisseau, Amy et Rory constituent d’ailleurs une sorte de cœur absent dans cet épisode. On a hâte de les revoir dans des rôles plus développés, mais il est heureux que Moffat ait su se concentrer sur ce qui constituait le cœur de cette histoire, plutôt que de vouloir à tout prix donner des scènes à ses acteurs principaux.


Une aventure émotionnelle particulièrement réussie sur ce qui construit l’âme d’un homme, et sur ce qui peut ouvrir ou fermer son cœur. Steven Moffat signe-là un parfait conte de Noël post-moderne, qui offre de nombreuses scènes mémorables. Un peu comme « The Eleventh Hour » a définit ce que serait son « Doctor Who » en plaçant la barre si haut qu’elle en est devenue indépassable, on peut se demander où Steven Moffat réussira à emmener les épisodes spéciaux de Noël dans les prochaines années...

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Aren’t they naughty ?
Amy et Rory épicent leur lune de miel en revêtant les tenues de leurs exploits passés : la tenue de policière kiss-o-gram de « The Eleventh Hour » pour Amy, et l’armure du lonely Centurion pour Rory. Dans le noyau dur du fandom SF adulte hystérique de la série, j’en ai vu tellement perturbés par la moindre allusion sexuelle qu’ils se demandaient comment expliquer ces costumes à un enfant. Oubliant du même coup l’évidence : il n’y a rien à expliquer, pour un enfant, il n’y a rien de plus naturel que de se déguiser pour s’amuser.

Teasing time...
Diffusion du Spécial de Noël signifie toujours première bande-annonce de la saison à venir. Pour vos petits yeux impatients et ébahis (et désormais en HD et sous-titré en Français) :

Post Scriptum

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Dernière mise à jour
le 22 décembre 2011 à 11h00