MISFITS - Saison 2
Howard Overman, si génial et si faillible à la fois !
Par Dominique Montay • 3 février 2011
Après une saison 1 quasiment maîtrisée de bout en bout, "Misfits" revenait cet hiver pour un second opus qui attisait bien des fantasmes. La série allait-elle continuer son approche minimaliste mais maîtrisée d’un univers foisonnant, ou alors élargir son prisme pour aborder des questions de plus grande ampleur. 7 épisodes plus tard, voici notre avis.

On les avait laissés amputés d’une unité. Nathan était six pieds sous terre, enterré vivant, condamné à passer l’éternité d’un immortel en compagnie d’un baladeur mp3 dont la batterie allait invariablement le lâcher. Simon venait de commettre un crime mi-circonstanciel mi-passionnel qui pouvait le changer complètement. Pour les autres, rien à signaler.

The Walking Not-Dead

La saison 2 reprend là où la première s’était arrêtée. Pas d’ellipse. Ce qui était évident pour tout le monde, c’est de voir Nathan sortir de son trou. Déjà parce qu’il était le personnage central de la première saison, et aussi parce que sans sa grande gueule insupportable, Howard Overman, l’auteur principal, aurait perdu son moyen le plus facile d’ajouter de la distance à son récit, un regard ironique qui allège la majorité des situations (et en alourdi d’autres)… Nathan est de retour, et même si ça nous fait plaisir, la façon dont il s’en sort est trop simpliste. Un homme mystérieux a été intégré à l’univers avant la fin de la saison 1. Et c’est par ce dernier qu’ils découvrent que Nathan est toujours vivant, pas par une enquête, ni une recherche. Juste une info donnée par un élément extérieur omniscient. Un personnage qui va s’inscrire dans la durée dans cette saison 2, dont l’identité va être révélée, et provoquer autant de positif que de négatif, mais nous y reviendrons plus tard.

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Nathan
Même pas mal.

Le fait d’être mort a eu un effet important sur la personnalité de Nathan. Il n’a pas eu de révélation, il n’est pas devenu pieu ou sage. Il est encore pire que la saison dernière. En saison 1, Nathan était le con arrogant qui provoque tout le monde, quitte à se faire ratatiner dans un coin de bar (soyons franc, il est gaulé comme une saucisse knacki). Depuis sa “mort”, il a encore moins peur des représailles et prend encore plus de risques. Dès l’épisode 2, il vient faire des avances sexuelles à un groupe de jeunes peu fréquentables afin de créer une diversion, risquant par là même de se prendre des coups.

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Kelly
La femme qui murmurait (des trucs cochons) à l’oreille des gorilles.

Kelly était la plus dévastée par la mort de Nathan, parce que ces derniers s’étaient rapprochés considérablement en fin de saison 1. Leur association était d’ailleurs assez belle, les deux personnages ayant pour point commun d’être des écorchés vifs, mais pour différence la façon dont ils l’expriment. Nathan toujours dans le second degré et la distance, Kelly dans le premier degré et le démarrage au quart de tour. Nathan sorti de terre, tout laisse à penser que la saison 2 sera celle du rapprochement.
Simon vient d’assassiner le second contrôleur de peine qui leur était assigné, parce que cette dernière s’était lancé dans une enquête afin de découvrir qui avait tué son petit ami, le contrôleur précédent. Sous des aspects passionnels (Simon était plus ou moins tombé amoureux de la dame avant de vivre la trahison), ce meurtre soulève une bonne pelletée de questions sur la nature de Simon et sa future évolution (en gros, va-t-il sombrer du côté obscur).

Alisha et Curtis, quand à eux, à part avoir inventé le concept du cyber-sexe live, rien n’était particulièrement attendu. Curtis avait même montré ses limites en tant que personnage dans un épisode de la saison 1 centré sur lui.

Et au final, quid de ces questions ? Évacuées au mieux, éludées au pire. Kelly et Nathan se cherchent dans les premiers épisodes avant de décider que non, ils ne seraient pas un couple, mais des amis. Simon ne se remet pas en cause, ne vit pas de traumatisme, et lorsqu’Alisha apprend son forfait, plutôt que de le questionner, elle le remercie.

Un rythme de saison défaillant

Le rythme de la saison 1 était très clairement défini. 5 personnages. 6 épisodes. 1 épisode d’introduction, puis 5 épisodes centrés chacun sur un personnage différent. Howard Overman, consciemment ou non, pense repartir sur les mêmes bases dans sa saison 2. L’épisode 1 est centré sur Simon, le 2 sur Nathan, le 3 plutôt sur Alisha, le 4… personne, le 5 sur Simon (encore), le 6 sur personne… et le 7 non plus. Le fil rouge de la saison, c’est “le super-héros masqué”, personnage mystérieux, qui connaît le futur et dont l’identité nous est révélée au troisième épisode, avant de disparaître dans le 4… beaucoup de chiffres et d’informations diverses qui soulignent le grand défaut de la saison 2 de « Misfits » : son absence de ligne directrice.

C’est toujours aussi rythmé et agréable à suivre, les dialogues sont toujours aussi savoureux, mais il manque quelque chose, qui n’aide pas « Misfits » à entrer dans la dimension épique qu’elle mériterait. Simon Astier (on n’est pas mariés avec, on ne va pas parler de lui dans tous les articles de l’année, mais il a bien raison sur ce point) nous avait raconté que pour raconter une histoire comme celle d’« Hero Corp », il fallait commencer centré sur un microcosme avant de reculer de plus en plus pour que l’histoire s’élargisse et prenne de l’ampleur. « Misfits » tente aussi cette prise de recul, et échoue. Attention, la suite SPOILE.

J’ai dis : ça SPOILE

Le super-héros masqué est donc Simon qui vient du futur. Pourquoi vient-il du futur ? De tout temps, qu’il s’appelle Kyle Reese ou Emmet Brown, le voyageur du futur vient empêcher un désastre. Récapitulons les actions du Simon du futur : dans la saison 1, il sauve Nathan de la mort. Dans le premier épisode de la saison 2, il met les autres sur la piste de son immortalité pour qu’ils le déterrent. Ensuite, il file des cacahuètes au Simon du passé pour qu’il les utilisent face à un super-vilain qui est allergique aux cacahuètes (scène géniale, en passant). Puis, il couche avec Alisha, parce qu’ils sont un couple dans le futur. Puis il sauve Alisha. Puis il meurt… Hum-hum.

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L’homme masqué
"Devinez, devinez, devinez, qui je suis..." - La compagnie créole

Donc, pour sa première intervention, elle ne sert à rien et n’a aucun sens. S’il sait que Nathan est immortel, pourquoi le sauver ? Pour la seconde, oui, elle est utile. Le coup des cacahuètes maintenant : que se serait-il passé s’il ne les avait pas données ? Qui serait mort sous la menace du super-vilain ? Pas Simon-du-passé, visiblement, sinon Simon-du-futur ne serait pas là. Ensuite, il est soit extrêmement malin et pervers, soit servi par une narration déficiente quand il s’agit de regarder plus loin que 45 minutes. Il couche avec Alisha en lui disant qu’elle et lui allaient devenir un couple, puis il la sauve un épisode plus tard d’une mort certaine. Donc, ça veut dire que dans le futur, elle n’existe pas. Donc, qu’ils ne sont pas devenus un couple comme déclaré plus tôt. Oh le malin ! OH-LE-MALIN !!! Simon-du-futur est le roi du bobard pour emballer les bombes sexuelles de ses fréquentations. Ami lecteur, si tu peux voyager dans le temps, souviens-toi bien de cette méthode.

Et donc après, il meurt. Donc, Simon est condamné. Mais si on y regarde de plus près, il existe un compte twitter du Simon-du-futur (comme des autres personnages, d’ailleurs). Et sa dernière entrée est sans équivoque : « The future is close. Time is about to begin again. ». Pour les auteurs (ou la prod, au choix), les actions du Simon-du-futur ont tout remis à zéro et ce qui lui arrive ne lui arrivera plus. Vive les facilités, et vive le voyage dans le temps et toutes ses incohérences incontrôlables.

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Alisha et Simon
Oh le malin...

Cette intrigue du voyageur du futur, si elle permet à Simon et Alisha d’avoir de belles scènes à partager, et accessoirement de provoquer des fous rires comme celui des cacahuètes, est un véritable boulet pour toute la saison. Non seulement à cause des éléments pré-cités, mais aussi parce qu’elle crée de sérieux problèmes de rythmes en milieu de saison. Les épisodes 3 et 4 sont coincés entre une narration rapide et dense avec les histoires bouclées, et celle éthérée et romantique des interactions entre Simon-du-futur et Alisha. A trop vouloir donner une importance énorme à cette intrigue, et donc la faire courir sur plusieurs épisodes, Howard Overman échoue à réellement nous émouvoir avec elle. Traitée en un seul épisode, elle aurait gagnée (comme pour l’épisode 2, centré sur Nathan, son père et son demi-frère, épisode très réussi qui tranche dans son ton par rapport au reste) à offrir quelque chose de différent, une sorte d’histoire d’amour désemparée, lente et émotionnelle, plutôt que de la voir parsemée entre d’autres plus communes à la série.

Nathan : peut mieux faire, Curtis : maillon faible

Finissons en avec le négatif, et revenons sur les deux personnages qui sont passé à côté de leur saison cette année, l’ai nommé l’agaçant Nathan, et l’insipide Curtis. Pour Nathan, c’est dur et cruel, mais deux intrigues lui plombent la saison entière. Si l’épisode 2, de son début (Nathan qui se désape pour se badigeonner de crème en prenant des poses lascives - hilarant) à son final et le face-à-face poignant avec un père démissionnaire, montrait un aspect du jeune homme de plus en plus humain et touchant, la suite vient contredire tout cet effort. Entre l’épisode 3, où Nathan tente (sous l’influence d’un tatouage nocif) de séduire Simon de la plus ridicule façon qu’il soit, et surtout l’épisode 4, où alors qu’il vient d’apprendre que Kelly vient de se faire enlever, il se met à jouer avec enthousiasme sur une console de jeux, le personnage de Nathan perd en crédibilité et en profondeur. Triste de voir comment l’auteur, plutôt que de le faire évoluer par touches, joue au yo-yo avec son attitude, tantôt grande gueule avec du cœur, tantôt abruti fini et égoïste. Mais ce n’est rien à côté de… Curtis.

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Curtis
Peut voyager dans le temps quand Howard Overman lui dit.

Curtis peut remonter le temps… mais pas quand il veut. Non, il faut que certaines conditions soient remplies. On pourrait tenter de les énumérer ici, mais on va se contenter de mettre la principale : quand ça arrange le scénariste. Plus c’est gros, plus c’est choquant, plus ça change la donne ou le casting, plus vous savez que ça va arriver : Curtis va remonter le temps. Curtis, c’est le joker du scénariste. Quand il se dit « mince, je suis allé trop loin, il faut que je réécrive », il a une réponse à son problème : Curtis ! Outil de facilité collé sur le personnage le moins épais du groupe, n’en jetez plus, Curtis doit disparaître ! Encore que, le final de la saison vient peut-être sauver l’intérêt du personnage.

Curtis a son moment de gloire dans la saison. L’épisode 6. Infamant sous certains aspects, agréable à suivre sous les autres, l’épisode 6 voit nos protagonistes devenir des stars après qu’un “héros” soit passé à la télé en manipulant à distance des produits laitiers. Les héros sont logés dans un hôtel particulier, leurs qualités sont offertes au plus offrant, ils passent à la télé… mais l’homme qui murmurait à l’oreille des produits laitiers perd de l’intérêt face à ceux qui sont immortels, qui voyagent dans le temps, qui guérissent les autres… donc il se rebelle et assassine en utilisant les produits laitiers présents dans l’organisme. Z’avez mangé un yaourt ? Mort. Un café au lait ? Mort. Un babybel ? Mort aussi. Et il se met à tuer nos personnages préférés, en plus. Mais pas Curtis. Car Curtis est intolérant au lactose. Et on l’apprend quand ? En saison 1 ? Non, en plein milieu de l’épisode, après quelques décès, quand il refuse une part de pizza au fromage. Ah ben tiens, ça tombe bien ça alors ! Le seul qui peut remettre les compteurs à zéro. Illustration parfaite de pourquoi Curtis est utile au scénariste, et agaçant à nos yeux.

Et pourtant...

Après ces paragraphes négatifs, l’avis est sans appel. La saison 2 de « Misfits » est… très bonne. Malgré tout ce qui vient d’être écrit, on prend un immense plaisir à la regarder. Elle sait être très drôle, comme lorsque Nathan, après avoir constaté la mort de leur nouveau contrôleur de peine crie qu’il faudrait peut-être arrêter de les tuer. Ou quand il explique ce que signifie « se tripler » à une attachée de presse. La série sait aussi être touchante, quand Alisha, mise au courant par le Simon-du-futur qu’il vont former un couple (oh le malin…), se rapproche du Simon-du-présent, partageant avec lui un casque d’Ipod. Ou bien encore ces scènes pleines d’une sobriété mêlée d’outrance entre Nathan et son père.

Et enfin, il y a cette faculté à trouver, chaque semaine, un ennemi charismatique, bien amené, bien casté, qui ne fait jamais vraiment “méchant de la semaine”, tant son influence sur le développement des personnages est présent. Le tatoueur qui révèle à Kelly et Nathan qu’ils ne sont pas faits l’un pour l’autre. L’homme qui murmurait à l’oreille des produits laitiers et son visage mi-poupon, mi-albinos, qui transforme tous les héros en stars. Et Jésus Christ, dans un spécial Noël qui sert d’épilogue à la saison.

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Nathan en père Noël
Ho-ho-ho

6 épisodes sont passés, les travaux d’intérêt généraux des Misfits sont terminés, retour à la vraie vie. Mais la vraie vie craint. Curtis et Alisha travaillent dans un bar, Nathan se déguise en père Noël, Simon sort avec Alisha (oh le malin…), Kelly reste Kelly… quand un magasin se fait connaître. Un cash converter des super-pouvoirs. Venez pour les vendre, ou en acheter. Les vendre, c’est ce que les Misfits vont faire, à leur grand regret. Les acheter, c’est ce que va faire un ecclésiastique déçu qui se fait passer pour le nouveau Jésus Christ. Au final, après s’être débarrassé du pieu belliqueux, nos personnages sont face à un gros tas de billets et la possibilité de racheter des pouvoirs. Mais lesquels. La question reste aujourd’hui en suspens.

Vivement la saison 3 !

On apprécie son humour, la majorité de ses personnages, ses situations tantôt outrancières, tantôt violentes, son second degré constant, cette distance par rapport aux événements. On reste hélas dubitatif devant sa vue d’ensemble, son plan général ou sa direction. Howard Overman ne donne aucun indice sur sa capacité à maîtriser un univers riche et foisonnant. Il donne plutôt le contraire. Mais si on réfléchi en terme de plaisir pur, de bonheur instantané que peut provoquer une fiction, « Misfits » est tout en haut, et sa saison 2 est une des meilleures saisons de l’année européenne.

En passant, s’il vous plait : pas de remake.