INELUCTABLE • 21e RITV
"C’est quoi ce bordel ?" Guillaume Boudet
Par Dominique Montay • 2 avril 2008
Avant-première aux RITV, produit par Arte, ce téléfilm extrèmement ambitieux traite des risques méconnus du nucléaire.

Quand l’ambition est freinée par le manque de moyens, on a tendance à être plus compréhensifs si ratage, il y a. « Inéluctable » est loin de la réussite qu’il aurait pu être, et nous fait dire (à contre-coeur tant on aurait aimé aimer ce téléfilm), qu’on a encore un métro de retard sur les anglais.
« Inéluctable » sera diffusé sur Arte. Il se trouve que ce sujet à été proposé à d’autres chaînes, mais la chaîne franco-allemande fut la seule à accepter d’envisager de le produire. Le téléfilm s’architecture autour d’un accident dans une centrale nucléaire provoquée par un test de performance non désiré par les techniciens de la centrale. Il nous montre aussi bien l’intérieur de la centrale que la réaction des politiciens, d’une partie de la presse, la mairie et les gendarmes.

- Comme on a pas vraiment réussi à mettre la rédaction du Village d’accord, en tout cas pas sur tout, Sullivan intervient en italique dans ce papier de Dominique.

Un bon casting dans un blockbuster pour 10 francs

Parlons du positif : les comédiens. Ils sont vraiment bons, campent bien leurs personnages et n’en sortent pas. Une vraie bonne impression d’ensemble (si on exclue certains seconds rôles).

C’est d’autant plus vrai, d’ailleurs, qu’à la réflexion, même dans le cas des seconds rôles, les prestations qui ne sont pas justes sont quasi systématiquement liées à des situations ou dialogues dont il était presque impossible de se sortir. Notamment les tentatives d’humour dont Dominique parle plus bas.

L’ambition du film est elle aussi, louable. Dénoncer le nucléaire en démontrant qu’il existe des cas types ou les responsables de centrales ne savent pas quoi faire est vraiment très intéressant (en effet, on communique peu sur la question). La fiction aurait été un vecteur formidable d’information sur ce coup... mais bon...

« Inéluctable » [1] prouve que certains auteurs ne savent pas revoir leurs ambitions à la baisse quand le budget dégringole. Ce téléfilm a visiblement été écrit pour un budget 10x supérieur à celui obtenu, et au final on a le droit à une reconstitution d’un cheap et d’une platitude absolument risibles. Qu’il s’agisse du nombre de plans par scène (trop n’est pas bon, mais filmer une scène de tension pure en plan large fixe, sans user de gros plans sur les personnages, ça donne un rendu très pauvre, et pas stressant pour deux sous). Tout semble filmé en roue libre, sans découpage préalable (pas le temps ?), sans recherche pour la composition des plans (toujours pas le temps ?), avec une photo assez pauvre (pas de sous ?)...

En ce qui me concerne, il y a au moins quelque chose qui ma plu dans la mise en image. Dans la première moitié du film, j’ai trouvé que le montage, qu’on a voulu très nerveux, était plutôt efficace. Ce n’est pas si souvent, en fiction française, qu’on voit des scènes aussi courtes se succéder, sans que le scénariste ne se soit senti obliger d’empiler les dialogues, quitte à ce qu’ils soient vides de sens et de caractérisation.
Tout cela participe d’une montée de la tension dont j’ai trouvée qu’elle était plutôt efficace durant ces trois premiers quarts d’heure, quoi que je convienne qu’elle n’atteigne pas des sommets. Cette montée fait à mon sens plutôt bien passer l’argument de base, que « 
24 » n’aurait pas renié, et qui est objectivement invraisemblable. A savoir cet émissaire indien qui impose un test d’arrêt d’urgence sans en avoir parlé à personne auparavant — on suppose pour des raisons militantes personnelles mais la caractérisation du personnage reste assez floue. Malheureusement, tout cela s’étire assez largement ensuite, à mesure que l’action s’éclate dans tous les sens sans convaincre.

Les plombiers du nucléaire

Là où on atteint le pompon, c’est avec la salle de contrôle de la centrale. Vous avez droit ici à une représentation de l’an 2000 comme vu dans les années 60. Des lumières qui font bip bip, des consoles qui ressemblent à des bancs-titres, on s’attend même à croiser un ordinateur énorme à bande-magnétiques. Techniquement, on n’est pas largué par le jargon, vu qu’ils n’en utilisent pas, mais ça sonne faux quand même, ne nommant quasiment jamais les outils utilisés. On a le droit à des "ça chauffe", "on a une fuite"... Adaptez ce téléfilm à des aventures de plombiers, il n’y a presque pas à changer le dialogue.

Non seulement ‘‘Ca sonne faux quand même’’, mais je dirais que c’est précisément pour cela que ça sonne faux. Cela m’a ramené à « Urgences » et à l’intuition sublime qu’ont eu ses auteurs selon laquelle la fidélité au jargon et aux procédures médicales, étrangers à l’essentiel des téléspectateurs, n’empêcherait pas l’adhésion à la fiction, mais au contraire participerait, que dis-je, serait la clef de l’implacable tension qui caractérisait les débuts de cette série. Concernant « Inéluctable », non seulement les personnages ne jargonnent pas, mais ils ne font même pas de vulgarisation. On nous explique que les personnages suivent un premier protocole pour tenter de régler le problème, avant que le héros ne décide de son propre chef d’en appliquer un second de son invention. Rien ne nous sera jamais donné qui nous permette de saisir ce en quoi ils diffèrent. On se contentera de regarder ces gens appuyer sur des boutons le sourcil froncé.

Mais là où le téléfilm agace le plus, c’est quand il multiplie les points de vue. Plutôt de changer le script, et de se concentrer sur l’action dans la centrale, créant un huis-clos qui aurait été parfait pour cette histoire (ils gèrent une situation qu’ils ne comprennent pas, donc traiter des évènements extérieurs, comme la réaction des politiques et la non-évacuation de la ville, hors champ aurait créé une situation plus étouffante et efficace). On a droit à 5 minutes sur les barrages policiers (qui sont donc difficile à tenir dans ces conditions), 10 sur les gendarmes qui n’ont pas le bon matériel pour régler le problème, 10 sur la copine du héros, maitresse d’école, qui emmène des enfants en classe de nature (c’est vrai que c’est mal choisi), 20 sur les politiques qui sont soit pourris, soit qui regardent des images de Tchernobyl pour se rappeler que le nucléaire, c’est dangereux, et surtout 3 (c’est peu, mais c’est trop), sur l’animateur zozottant de la radio locale qui fait office de "menace journalistique pesante" durant toute la fiction. On a envie de dire aux auteurs de regarder l’épisode 5 de la saison 2 de « Spooks », « I Spy Apocalypse », qui, sans traiter du même sujet, donne une leçon de tension en moment de crise, et ce sans jamais changer de point de vue, en donnant l’impression que ce qu’on voit "à l’intérieur", a de multiples répercussions sur le reste de l’environnement.

Kaboom-cssit (bruit de batterie, je précise)

D’autres problèmes jalonnent la fiction, comme des pointes d’humour mal senties. Désamorcer une situation critique par de l’humour est un art souvent casse-gueule. Ici, ça tombe à chaque fois à plat et donne des dialogues injouables aux comédiens. S’ils sont bien servis en règle générale, le couple Jean-Michel Portal/Constance Dollé sort du lot, pour les réactions d’une grande justesse face à la crise de l’un et la mixité des sentiments vécue avec finesse de l’autre.
Le final est cataclysmique, et finit de donner l’impression d’avoir assisté à un grand ratage. Lorsque l’annonce de fin de crise retentit (vous savez, cette alerte qui est testée chaque 1er mercredi du mois et qui défonce les oreilles), un personnage trouve le moyen d’intervenir 1 minute après en balançant avec soulagement un "les combinaisons sont arrivées", qui pousse tout le monde à une hilarité totalement fausse [2]. S’ensuit un monologue du personnage principal aussi naturel que le visage de Nicolette Sheridan, un final "happy end" qui voit le couple décider de déménager (youpi, doit se dire le personnage principal, je suis chômeur et il faut que je change de carrière !), suivi d’une succession d’images des conséquences de Tchernobyl avec des enfants difformes. Le nucléaire, c’est mal.

C’est malheureusement toute la différence entre la fiction au travers de laquelle passe le point de vue de son auteur et la fiction à message au cours de laquelle on nous assomme d’une opinion, au point que la partager n’empêche même plus d’en être agacé.

Une avant-première sans saveur, qui donne aussi bien envie de secouer le réalisateur et le scénariste pour savoir pourquoi ils ont laissé passer tant de choses quand le reste tenait globalement la route, que de gifler les décideurs qui n’ont pas voulu investir plus d’argent dans un sujet qui ne brosse pas tout le monde dans le sens du poil.

La prochaine fois, peut-être...

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Dernière mise à jour
le 31 mars 2012 à 08h26

Notes

[1Arte France - 80’
Réalisation : François Luciani
Scénario : Alain Moreau
Musique originale : Jean-Marie Sénia
Avec : Vanessa Larré, Jean-Michel Portal, Ary Abittan, Constance Dollé, Delphine Rich, Thibault de Montalembert, Antoine Chappey, Thierry Gimenez

[2pour ce personnage, on suppose qu’elle devait être aux cabinets avec son walkman sur ses oreilles en train de chanter à tue-tête "It’s the end of the world as we know it" de REM