LE QUINZO — 3.11 : Des téléspectateurs et des soucis
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay & Emilie Flament & Nicolas Robert • 21 février 2012
Le Quinzo, saison 3, épisode 11. Nicolas a vu le premier épisode "Des soucis et des hommes", et nous livre ses impressions ; Dominique évoque le succès de l’animation télévisée française ; Émilie parle des téléspectateurs français ; quant à Sullivan, il propose aux créatifs de la série hexagonale d’arrêter de récurer.

Mon souci du mercredi

Par Nicolas Robert.

Les hommes se suivent et ne se ressemblent pas vraiment sur France 2. Après le joli succès des « Hommes de l’ombre », c’est au tour de « Des soucis et des hommes » de s’installer le mercredi soir en prime-time sur la première chaîne du service public. Et je ne sais pas si c’est la proximité de la saint-Valentin, mon cœur en guimauve ou quoi, mais je me suis rendu compte en visionnant le premier épisode, que la fiction française prend parfois de surprenants chemins pour séduire le public.

L’histoire de « Des soucis et des hommes », c’est celle de quatre mecs qui flirtent avec la quarantaine et essaient de gérer tout à la fois leurs vies amoureuse, professionnelle, sociale et familiale. Sur le papier, c’est plutôt dans l’air du temps, et dans les faits ça ne manque pas de charme.

D’abord parce que dans le casting, on retrouve Thomas Jouannet et Edouard Montoute, qui sont rarement décevants. Ensuite parce que l’histoire du premier épisode s’étoffe progressivement et que sa fin donne envie de voir la suite (mine de rien, c’est déjà beaucoup).

Pourtant il y a une intrigue qui m’inquiète un peu : une menace plane en effet sur certains pans du récit et elle est liée à un sujet vraiment pas drôle. Que ce danger soit avéré ou non, j’ai du mal à comprendre ce qu’il vient faire au milieu d’une série dont le propos, s’il ne manque pas de fond, est plutôt léger.
Certes, « Des soucis et des hommes » est sans doute plus une dramédie qu’une comédie. Certes encore, au terme du premier épisode, on ne voit pas trop où tout ça va nous mener. Mais si Desproges disait qu’ "on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui", j’ai du mal à croire qu’on puisse tout écrire dans une dramédie. Surtout quand on est en train de poser les bases du récit, que l’histoire générale n’a pas la tonalité de cette sous-intrigue... et que le reste se tient bien.

C’est prendre le risque de faire du téléspectateur une Ally McBeal en puissance, lorsque celle-ci se retrouve projetée dans un épisode de la bien glauque « The Practice » et qu’elle dit “Ceci n’est pas mon monde”.

Tester quelque chose de vraiment audacieux, c’est louable. Mais c’est aussi redoutablement casse-gueule. Maintenant, rien ne dit que je ne serai pas surpris. Je préfère pourtant garder en tête le reste de l’histoire, qui ne manque pas de souffle. En résumé, rendez-vous mercredi.

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Post-scriptum de Sullivan :

J’ai vu en projection les deux premiers épisodes de la série. J’escomptais écrire un article dessus avant la diffusion mais n’ai finalement pas pu le faire. Beaucoup par manque de temps, un peu par embarras. Avec ces deux premiers épisodes, je n’avais pas le sentiment d’en avoir vu assez pour me faire mon idée sur « Des Soucis et des Hommes » — en partie parce que, comme 90% des séries françaises, le premier épisode ne commence à fonctionner que dans ses dernières minutes quand on finit par repérer qui est qui dans ce récit qui a éclaté beaucoup trop vite.

Je partageais aussi très clairement la gêne de Nicolas devant les aspects plus dramatiques de l’intrigue, un mélange très clairement voulu et assumé par les auteures de la série, Christina Arellano et Sylbie Coquart-Morel. A certains égards, « Des Soucis et des Hommes » s’inspire de la structure de « Desperate Housewives » — même si, comme le font remarquer les scénaristes, personnages, milieux et situations sont bien français. Totalement télé française, même, vu le positionnement CSP quintuple + de l’essentiel des personnages, blindés de thunes (un problème qu’un article du Monde vient de soulever).
Mais déjà, dans « Desperate » quand Lynette affrontait un nouveau voisin pédophile ou qu’un violeur / tueur en série rôdait dans le quartier pendant toute une saison, j’ai toujours pensé que cela ne fonctionnait pas, la noirceur et la peur liées à ces trames entrant en conflit avec la comédie plutôt que de la contrebalancer. Les intrigues de la série de Marc Cherry qui fonctionnaient sont celles que, par divers procédés, les scénaristes parvenaient à dédramatiser. Dans le meilleur des cas, la saison 1, c’était parce que la morte suicidée nous racontait elle-même l’histoire. Dans les saisons ultérieures, la deuxième ou la troisième par exemple (le fils Applewhite enfermé dans une cage à la cave, les histoires de famille d’Orson), c’est parce que les histoires étaient suffisamment ‘‘bigger than life’’ pour qu’on ne les prenne pas au sérieux.

Mais comme le dit Nicolas, le verdict pourra évoluer après qu’on ait vu davantage d’épisodes. Surtout, la série est brillamment interprétée par son quatuor d’acteurs principaux, très bien produite, et se permet de véritables audaces à l’échelle de la série française, à savoir des citations directes d’œuvres : « Desperate Housewives », donc, mais aussi « Un éléphant ça trompe énormément » ou encore « Dr. House ». C’est pas tous le sjours que notre fiction se permet d’être référentielle.
Verdict dans quatre semaines, donc.

En attendant mercredi, le premier épisode « Des Soucis et des Hommes » est disponible en avant-première sur le site de France 2.

La fiction française de qualité existe

Par Dominique Montay.

On ne va pas polémiquer, d’autant qu’on en parle ad nauseam dans ces pages, bien sûr qu’elle existe, on l’a rencontrée. Mais dans un mode d’expression, la création audiovisuelle semble proposer un plus grand nombre de réussites.

L’animation française, vue de l’extérieur, est très vivace. Nos spécialistes s’exportent, nos créatifs gèrent des licences pourtant étrangères (« Iron Man », « Garfield »). Et nos séries touchent des pays étrangers parfois exotiques et pourtant habitués à vivre en vase clôt (« Totally Spies » au Japon est un exemple qui me revient, même s’il n’est peut-être plus d’actualité) [1].

Maîtrise de la 2d (« Titeuf », la très surprenante « Lou »), la 3d (« Le Petit Nicolas », « Garfield », encore). Des genres divers, de la comédie de moeurs à la science fiction pure, des oeuvres qui s’exportent, qui se vendent, qui montrent une belle image de notre potentiel créatif tout en restant ancré dans une industrie qui génère de l’argent... Bref, tout ce que notre fiction "live" devrait être, mais n’est pas.

« Lou » raconte l’histoire d’une jeune ado et de sa mère qui vivent seules. La mère est une éternelle gamine, Lou est à la fois la voix de la raison et la meilleure amie de sa mère. C’est drôle, tendre, doux-amer et jamais stupide.

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Lou

« Garfield » raconte les aventures du chat le plus oisif de l’histoire. Ca n’est pas brillant mais efficace, et ça se permet des effets de style assez incroyables (à l’échelle de la fiction française), comme le langage méta. Dans un épisode, Garfield prétend connaître l’histoire à l’avance, et sort le scénario de sa poche.

« Le Petit Nicolas » adapte les histoires de Sempé, tout en modernisant sa forme, mais en respectant le matériau d’origine. Si le résultat final ouvre au débat (la 3d contre la 2d simplissime de Sempé), il est indéniablement de qualité.

« Wakfu » plonge dans un univers d’Héroic Fantasy, sans parler des vieux de la vieille, « Les Zinzins de l’Espace », « Oggy et les Cafards ». Ok j’ai un gamin de 5 ans, et c’est pour ça que je connais tout ça. Oui mais voilà, je suis jaloux.

Mon gamin, quand il regarde la télé, a accès à une fiction réalisée (et bien réalisée) par des français, une fiction qui arrive à utiliser des modes de narration ambitieux, qui prend des risques, qui segmente son audience...

Forcément, avec des bases comme ça, quand on se retrouve face aux équivalents adultes des récits d’enfants... la désillusion est grande. Le modèle de politique à tenir, il n’y a pas besoin d’aller le chercher à l’étranger en fait. Il suffit de voir ce qu’on fait pour les enfants.

Et juste se mettre au diapason.

Et si on partait vivre en Angleterre ?

Par Emilie Flament.

La fiction française va mal. Certes. Mais elle se soigne... Par contre, il y a un second patient sans doute plus difficile à traiter : le public français. Parce qu’au final, si « Julie Lescaut » approche de son 100ème épisode, c’est parce qu’il y a toujours beaucoup de monde pour la regarder...

Mises à part les séries Canal + dont le public, différent de celui des chaînes gratuites, est plus ouvert aux propositions, la plupart de nos fictions ‘‘originales’’ (celles dont nous vantons régulièrement les mérites) ne font que rarement des scores d’audience remarquables. Pourquoi ? Essentiellement, pour deux raisons :

1) Le public actuel de la fiction française est vieux et n’aime pas être secoué.

2) Le public plus jeune et plus habitué aux codes des fictions étrangères n’ose plus regarder de séries françaises. Il a été traumatisé par les années sitcoms AB et par « Joséphine ».

Conséquence de ce public schizophrène, même lorsque les chaînes prennent des risques et tentent de se renouveler, elles se prennent une claque quand bien même le résultat est qualitativement bon. Pour peu que le diffuseur se soit en plus engagé sur un sujet pointu ou segmentant, il perd d’emblée sa base de téléspectateurs... A force, il tend à revenir à ses vieux classiques.

Un des derniers exemples en date, « La Nouvelle Blanche Neige », sur laquelle nous sommes aussi revenus lors de l’interview de Fanny Rondeau, conseillère au programme France Télévisions : un programme jeune tout en étant ouvert vers la famille, musical, moderne et culotté. Le public habituel a rapidement zappé, peu curieux de découvrir quelque chose de nouveau, tandis que le ‘‘nouveau’’ public visé n’est pas venu, malgré le soutien d’une campagne de communication.

On vante souvent l’audace des fictions britanniques, mais si ces séries sont des succès outre-Manche, c’est également parce que leur public est curieux et réceptif. Faire évoluer ce qu’on nous propose à la télévision, c’est une tâche compliquée... mais faire évoluer une grande partie de la population, c’est juste décourageant... D’où ma réaction (certes un peu extrême) : changer de nationalité et partir vivre à Londres ! Car honnêtement, face à ce second grand malade qu’est le public français, je souhaite bon courage aux diffuseurs qui voudraient tenter de changer les choses...

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Heureusement, il y a quelques exceptions comme le beau succès de « Fais pas ci, Fais pas ça » (qui touche même les jeunes) et des « Hommes de l’Ombre » (qui séduit surtout les plus anciens) ... sinon je sautais dans l’Eurostar !

Et si on arrêtait de récurer ?

Par Sullivan Le Postec.

Il y a un mot que, depuis deux-trois ans, la culture série a commencé à s’imposer en France, et que j’entends désormais très fréquemment dans la bouche des chaînes, des producteurs et même des acteurs des séries françaises. Pourtant tous répugnent à l’utiliser. L’alternative est pourtant d’autant plus facile que l’usage de ce terme est impropre !

Cette question de vocabulaire pourrait sembler anecdotique, mais il me semble qu’elle est au contraire très révélatrice de l’approximation qui règne dans la production française. Quand on utilise sans arrêt ‘‘sitcom’’ pour désigner un ‘‘soap’’, et vice-versa, quand on appelle une ‘‘shortcom’’ du nom de ‘‘mini-série’’ (qui désigne en fait une série qui raconte une histoire sur un nombre d’épisodes limités ; nombre de productions britanniques sont des mini-séries en trois, quatre, ou six épisodes) alors il n’est pas étonnant de voir la France spécialiste dans la création de formats hybrides et bizarroïdes qui ne sont ni tout à fait une chose, ni tout à fait une autre.
Cette grande tradition française va des productions AB des années 90 – apparence de sitcom, contenu narratif et cadence de tournage tenant du soap quotidien – à la première série d’Arte, « Venus et Apollon » dont la première saison croisait aussi ces deux genres. Aujourd’hui encore, on trouve « La Chanson du Dimanche » qui tient visuellement de la sitcom (tournage dans trois décors de studio) mais n’en a pas les scripts, où les blagues et gags sont bien trop rares.

Tant qu’on n’est pas capable de se mettre d’accord sur un vocabulaire, et d’appeler les choses par leur nom, la communication est impossible. Il devient dès lors difficile de produire des choses qui soient cohérentes, chacun tirant dans un sens différent sans même s’en rendre compte, inconscient que le même mot désigne des choses différentes chez plusieurs acteurs de la production.

Le mot dont je voulais parler aujourd’hui, c’est celui de ‘‘récurrent’’, utilisé dans l’expression acteur récurrent. Cette formule est en train de s’imposer en France, depuis une paire d’années, pour désigner les acteurs principaux d’une série. Pourtant, à chaque fois les gens qui l’utilisent y répugnent, précisant qu’ils détestent ce mot qui leur évoque d’abord les travaux ménagers.

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Avouons qu’on a vu comparaison plus flateuse !

Il serait pourtant d’autant plus facile de s’en débarrasser que l’usage de ce mot est inapproprié. Le mot anglais utilisé pour les acteurs principaux est en effet ‘‘regulars’’ qu’il serait donc facile de traduire par l’expression d’acteurs ‘‘réguliers’’. Le mot ‘‘recurring’’ ne désigne pour sa part que les acteurs qui reviennent dans plusieurs épisodes sans pour autant être des acteurs principaux, cela peut-être pour un arc de quelques épisodes, ou bien un personnage qui apparaît pendant plusieurs années, mais de façon épisodique, comme l’Homme à la Cigarette dans « X-Files ». Il est donc d’un usage beaucoup plus limité, et ne sert pas pour les stars de la série. Pour prendre un exemple, André Manoukian est donc — à mon grand désespoir — acteur récurrent dans « Fais pas ci, Fais pas ça », tandis que Valérie Bonneton est une actrice régulière. Remarquez, on pourrait simplement dire actrice principale. Mais je suppose qu’il s’agit de ne pas froisser l’égo d’un acteur qui se retrouverait du même coup “secondaire” ?

Reste qu’invoquer, en désignant ses acteurs vedettes, l’image d’une éponge à récurer est donc parfaitement inutile. Il ne reste plus qu’à s’en souvenir la prochaine fois.

Dernière mise à jour
le 30 mars 2012 à 12h02

Notes