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1.16 - Fearless
Pudeur est mère de qualité
Fonceur
dimanche 2 janvier 2005, par
Où l’on apprend pourquoi Fonceur devint policier.
Holà chers lecteurs, et bonne année à tous ! Je vous imagine ébahis devant votre écran, ayant peine à croire ce qui est en train de se passer : oui, Sygou est de retour, et sur Boomtown en plus !!! Mais pourquoi ? Tout simplement parce que ceci est l’application d’une convention bipartite qui verra Speedu s’occuper de quelques épisodes de Jeremiah quand je me serais décidé à reprendre les reviews. Du coup, j’ai l’honneur de critiquer un épisode de cette série magnifique. Et j’aurais pu tomber plus mal.
Depuis le début de la diffusion sur France 2, je ne cesse de dire que Boomtown n’est pas une série policière, mais plus une série humaine qui se déroule dans le monde de la police. Les enquêtes ne sont là que pour appuyer un trait de caractère de l’un des personnages, ou pour mettre en valeur un épisode de sa vie, ou encore pour dévoiler ses motivations à propos d’un sujet précis ; de ce fait, je les estime totalement secondaires, dans le sens où les méthodes employées pour les résoudre ou leur résolution tout court ne m’intéressent absolument pas puisque ce n’est pas ce qui compte. Et c’est pour cela que je ne m’attarderais pas dessus très longtemps dans cette critique.
L’autre particularité de la série est son concept de narration éclatée qui avait bien été exploité jusque là mais qui se perdait peu à peu au cours des derniers épisodes, et qui disparaît quasiment à ici. Normalement, je devrais râler et faire étalage de ma vindicte comme je le fais pour 24 lorsque je déplore l’explosion du temps réel. Sauf que le concept de 24 est l’essence de la série, celui de Boomtown ne l’est pas. Et puisque l’épisode trouve son rythme sans ressentir le besoin de faire intervenir ce concept, après tout pourquoi pas.
Mais il est faux de dire que la narration éclatée a totalement disparu puisque le teaser ne sera inclus dans l’intrigue que dans la deuxième moitié de l’épisode. Et ce teaser fait mine de rien démarrer l’épisode sur les chapeaux de roue avec ces gros plans sur Ray (son visage est d’ailleurs filmé sous toutes les coutures) en train d’expliquer une combine pour pouvoir tuer quelqu’un en toute quiétude. On est alors en droit de se poser des questions puisque ces derniers épisodes l’affaire Vista Heitz a refait surface et a provoqué quelques remous. Qu’est-il donc en train de faire ? Qui conseille-t-il ? Mais au moment où m’on commence à imaginer le pire, on est encore plus étonné de découvrir la personne à qui Ray expose son plan : Fonceur. Voilà, c’est clair : ce dernier veut tuer quelqu’un. Mais qui, et pourquoi ? L’épisode s’ouvre ensuite sur une scène où Fonceur est avec une femme russe dans le môtel où il habite. Il sort pour acheter des glaces et se rend au supermarché du coin. Là, il voit un petit garçon, puis un adulte apparaît derrière. Fonceur est alors bouleversé par une scène que l’on ne voit pas puisqu’on la "vit" au travers de la vive émotion qui traverse son visage. On comprend donc tout de suite que son envie de meurtre va découler de cette scène, et cela intrigue.
Et on va très vite savoir ce qui tourmente l’un des personnages les plus intéressants de la série (avec Ray, Joël et Fonceur à mon sens, soit un plus de la moitié du cast, donc mon expression est finalement un peu bidon) une fois que l’affaire sur laquelle ils travaillent sera résolue, ce qui ne traîne vraiment pas. D’ailleurs - petit intermède -, cette enquête est tellement bateau qu’outre son utilité évidente pour le parallèle avec Fonceur (enfin, pas encore évidente dans cette critique puisque je n’en ai pas encore parlé) on a l’impression que toute la séquence de la découverte du corps devant la maison est là pour épater un peu son monde avec une réalisation impeccable qui varie les plans d’ensemble et les plans plus serrés (sur un seul personnage ou deux) avec bonheur (je n’ai pas noté d’incohérence au niveau des positions sur les différents plans, chacun est à sa place visiblement). Enfin bref, tout ça se passe très vite et très rapidement on apprend que c’est le gamin qui a tiré sur la victime. Ce dernier avait abusé sexuellement de lui et l’avait menacé de tuer sa mère s’il le disait. Le geste du gamin est donccompréhensible : à force de vivre dans la peur de voir sa mère mourir, il a cédé sous la pression. Le plus intéressant (toutes proportions gardées bien évidemment) provient du fait que le pédophile reproduisait sur l’enfant des gestes qu’il avait lui-même subi dans sa jeunesse, effectués par un entraîneur de basket-ball. Quand cela met la puce à l’oreille de Fonceur, une chose est sûre : il a subi les mêmes sévices sexuels dans sa prime jeunesse, et sûrement par ce prof. A mi-épisode, tout est résolu (excepté un petit détail, mais j’y reviendrais) et on bascule vers le désir de vendetta personnelle de Fonceur.
Il faut donc en passer par la recherche du logement de l’entraîneur, ce en quoi Fonceur est aidé par Ray qui au passage utilise encore une technique bien fourbe pour parvenir à ses fins (ici dissuader Fonceur de tuer son ancien coach), comme lorsqu’il avait proposé des sachets de drogue en fait remplis de sucre pour obtenir des informations, dans la salle d’interrogatoire du commissariat (Sinaloa Cowboys (1x12)) . Pour éviter de disposer d’un passage inintéressant, Graham Yost a la bonne idée d’introduire la mère de Fonceur à qui ce dernier rend visite pour essayer de lui soutirer quelques renseignements, un peu avant la scène avec Ray. Cette scène est très bien foutue dans le sens où on comprend très vite que si sa mère lui a dit que Malcolm Barker était mort, c’est pour le protéger et le soulager d’un poids car elle savait ce qui lui est arrivé, et Fonceur s’en aperçoit. Une scène toute en non-dits, mais qui explique tout.
Mais venons-en à la confrontation entre Fonceur et son ancien agresseur. C’est lors ce celle-ci que l’inspecteur Bobby Smith nous dévoile que ce qui l’a poussé à apprendre les arts martiaux et à entrer dans la police et de coffrer des types comme Malcolm Baxter/Barker. Quand on y repense, on remarque que la sensibilité de Fonceur à ce sujet est montrée dès les premiers épisodes, donc du côté de la cohérence du développement du personnage il n’y a rien à redire ; ça aurait été tout de même dommage que le créateur de la série lui-même fasse une erreur. Sous l’effet de la colère et des mauvais souvenirs qui affluent, Bobby est tout près d’abattre Malcolm, mais s’arrête au dernier moment. Est-ce un élan de compassion quand il entend de la bouche de celui qui a gâché sa vie qu’il travaille pour la paroisse dans le but de conseiller les gens comme lui, les pédophiles ? Est-ce un éclair de lucidité qui lui fait prendre conscience qu’il ne vaudra peut-être pas mieux s’il passe à l’acte ? En tout cas, le sujet est traité ici de façon neutre : pas de condamnation ni de caution des actes du pédophile, on laisse le téléspectateur se faire sa propre idée sur sa possible rédemption.
Arrive ensuite une très belle scène entre Joël et Fonceur (ça rappellerait presque la fin de l’épisode avec Freaktown) où la glace est brisée. Joël savait que quand son partenaire parlait des abus sexuels subis par son frère il cachait sa propre expérience, tout comme Bobby savait pertinemment que la femme de son coéquipier avait tenté de se suicider, ce qui avait déjà été mentionné dans l’épisode de l’arnaque à l’assurance.
Enfin, et ce sera le dernier paragraphe d’une review qui s’avère finalement beaucoup plus linéaire que je ne l’aurais cru (en même temps, l’épisode l’est), je vais aborder la dernière scène de l’épisode : celle du sermon de Ronnie, l’ancien ami de Fonceur qui se révèle être pasteur, à notre plus grande surprise d’ailleurs. Et ce sermon est véritablement magnifique, et pourtant je ne suis plus croyant depuis longtemps. Pour une fois, on ne fait pas dans le consensus : Ronnie avoue ne pas savoir où se trouve Dieu quand les choses tournent mal (plutôt que de nous servir sans arrêt la sauce "Dieu nous laisse notre libre-arbitre"), quand des pédophiles s’en prennent à des enfants innocents, quand des meurtres sont commis, etc.. Mais qu’il voit Dieu quand un homme qui a subi une épreuve telle qu’un abus sexuel peut partager son expérience avec un enfant venant de le vivre, afin de lui montrer que l’on peut s’en sortir. Une aide comme celle-ci n’a pas de prix pour un enfant traumatisé, et Fonceur va pouvoir l’apporter. Car finalement, on bénéficie des deux opposés dans cet épisode : celui qui ne réussit pas à surmonter ce traumatisme et qui fait subir aux autres ce qu’il a subi (et on a plus de mal à le blâmer que le vrai pédophile qui a déclenché tout ça) et celui qui s’en sort malgré tout et qui y trouve une source de motivation pour se battre et avancer dans la vie.
Dernière petite chose (et oui, en fait le paragraphe précédent n’était pas le dernier), qui a son importance : l’élément de l’épisode non résolu. Pourquoi Fonceur était-il bouleversé dans le magasin ? Tout simplement parce qu’il a vu l’adulte que l’on voyait en début d’épisode embrasser son fils sur le front dans un élan d’affection, et que l’espace d’une seconde Bobby l’a soupçonné d’être pédophile. Fonceur vit donc avec un fardeau très lourd à supporter...
Un épisode qui traite de la pédophilie - sujet délicat par excellence - sans tomber dans le consensus, et avec beaucoup de pudeur. Le développement cohérent de Fonceur et le rythme de l’épisode qui n’utilise quasiment pas la narration éclatée sont quant à eux très appréciable. Un très bel épisode une fois de plus.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires