Nous sommes tous des Bergers

Nous retrouvons Frank et MacClaren dans les décombres de l’appartement de Lucas Barr. Etrangement, toutes les preuves sont intactes, ce qui ne manque pas de surprendre Black. Et nous avec lui.
Baldwin, lui, n’a pas été trop grièvement touché et va s’en sortir. C’est soulagement pour le spectateur. Mais un soulagement de courte durée, car une nouvelle fois, on nous l’enlève, mais définitivement. L’infirmier chargé de le surveiller l’achève. On ne le sait pas encore à cet instant, mais il s’agit très vraisemblablement de l’œuvre de MillenniuM qui avance ses pions. C’est peut-être le seul point noir de ce final, à savoir que le Groupe garde son aspect de conspirateur dont il a été affublé de façon peu élégante en début de saison. Cependant, l’amélioration vient du fait que le complot qui vise à prendre en main le FBI est traité plus subtilement, et ne gâche donc en rien l’épisode.
Barr, installé chez ses nouvelles victimes, se voit à la télévision et passe un coup de fil.

Et c’est sur ce long passage que débute le dernier générique.


Ce n’est peut-être pas la peine d’épiloguer sur l’enquête, alors concentrons-nous plutôt sur nos personnages fondamentaux.

C’est l’heure des choix et des révélations pour Emma : le choix d’accepter ce que lui offre MillenniuM mais aussi sans doute la révélation que le Groupe est bien aussi tentaculaire que le disait Frank. Car son choix n’en est en fait pas vraiment un : on la pousse à accepter. Elle se retrouve promise à de hautes responsabilités par la démission de MacClaren et la mort de Baldwin, toutes deux très suspectes.
Tout semble s’éclairer pour elle : MillenniuM organise tout en coulisses (la maladie de son père, l’assassinat de Baldwin, sa promotion au FBI...). Cependant, nous avons vu qu’elle pouvait parfois sombrer dans des crises de paranoïa (Cf. L’œil de Darwin (3.17)) ; ses propos sont donc à nuancer car on peut une nouvelle fois chercher à nous tromper. Pourtant, tout semble lui donner raison ; mais c’est comme si elle cherchait une excuse pour ne pas accepter la proposition.
Malgré les recommandations de Frank depuis près d’un an, elle ne peut que céder aux sirènes du Groupe qui la tient. Elle n’a pas besoin de donner sa réponse : un coup de fil chez Watts, placé sur écoute - à moins que ce ne soit elle - suffit à déclencher les évènements. Il savait qu’elle allait accepter, et Il attendait juste le moment. En contre partie, elle demande à faire renvoyer Frank.
Mais en définitive, qu’a-t-elle gagné ? Elle est désormais redevable à MillenniuM et n’a plus d’autre solution que de travailler avec - même si elle n’en fait pas partie, puisqu’elle n’a pas suivi le rituel d’introduction. Mais surtout, la première phrase que lui assène son père guéri n’est qu’un cinglant : « Tu n’aurais pas dû accepter leur offre ». Il sait, et peut-être plus que sa fille, que tout retour en arrière est désormais impossible. Emma a été piégée. Il est peut-être ici temps de remettre en perspective la vision de son suicide dans 7 ans de Malheur ; car n’est-ce pas justement un suicide que d’avoir trahi Frank et d’avoir basculé du coté de MillenniuM ?
On peut voir aussi dans cette affaire une analogie avec la famille Black. Lorsqu’elle lui avoue à demi-mot qu’elle n’a pas eu le choix, qu’il s’agissait de son père, il lui rétorque qu’elle doit assumer ses choix. Pourtant, son père était sa seule famille - je ne tiens pas compte de la demi-sœur entrevue dans le très médiocre Démons Intérieurs (3.08) - et elle a cherché par tous les moyens à la sauvegarder. Mais Frank n’aurait-il pas fait la même chose pour Jordan ?

De nouveau, des doutes assaillent Peter Watts. Comme s’il avait retrouvé une raison qui lui faisait jusqu’alors défaut. Car ce en quoi Peter croit le plus profondément n’est pas le Groupe, mais Frank. Ils se sont souvent affrontés au sujet du but de MillenniuM, mais comme il l’avoue, il a avant tout cherché à protéger son ami. Car comme il le dit à sa femme, il ne croit pas Frank capable de mentir ; il a plus confiance en Frank que dans MillenniuM, c’est flagrant. Il n’hésite pas un seul instant car il comprend que seul un événement d’une très grande gravité a pu le mettre dans cet état.
Un fois encore, Peter va braver le Groupe, comme il l’avait fait en fin de la saison précédente. Certains pourront y voir une redite et un manque d’imagination des scénaristes ; mais un élément diffère notablement : l’apparition de la fameuse pochette à l’ouroboros. Un bien précieux qui contient forcement des mystères. Elle concerne Frank, et Peter ayant été son mentor au sein du Groupe, il semble normal qu’il la possède. Pourtant, cet élément est de la plus haute importance pour MillenniuM et on pourrait s’étonner que Peter, qui ne fait pas parti du conseil, l’ait en sa possession. Alors peut-être faut-il y voir la réutilisation d’un élément de L’Heure est proche (2.23) : l’effraction de Peter dans le bunker du Groupe MillenniuM. En effet, il n’est peut-être pas interdit de penser qu’il y a trouvé autre chose que l’enregistrement vocal du Vieil Homme... Car au final, on ne sait pas vraiment ce que contenait la caisse. Donc on peut penser qu’il a récupéré la pochette à ce moment là, pochette qui appartenait au Vieil Homme. On pourra toujours arguer que c’est chercher un explication à un truc qui n’en méritait pas, ou simplement se demander pourquoi le Groupe n’a pas cherché à récupérer cette pochette, mais de mon coté, je me suis toujours dit que Peter ne pouvait pas n’avoir seulement ramené un cassette de son expédition. Le risque encouru était énorme pour si peu - d’ailleurs, à la fin du 2.23, tout laissait à penser qu’il avait été tué. Il a donc à mon sens trouvé des réponses à ses questions.
Toujours est-il que la félonie de Watts lui coûte la vie. Car même si l’on ne voit que des jambes, il ne fait guère de doute que c’est bien l’ami de Frank qui gît dans son sang, près de son bureau. Après Kathrine, un autre personnage important succombe.
Peter est mort. Et sa famille ? On ne la voit pas donc le mystère reste entier. A-t-elle été assassinée elle aussi ? Ou bien Watts a-t-il eu le temps de la faire fuir ?

Frank se trouve esseulé : MacClaren - à qui il reproche de l’avoir entravé - démissionne, Emma joue contre lui et le Groupe menace sa fille. Seul Peter finira par l’aider et lui fournira des réponses au sujet de Lucas Barr.
C’est paradoxalement en s’en prenant à son ami qu’il va faire un pas décisif. Car la vue d’un enregistrement de Lucas montrant Jordan endormie déclenche sa fureur. Une fureur qui ne ressemble pas à Frank et qui le met dans un état dans lequel on ne l’a quasiment jamais vu ; et je dis « quasiment » car il ne faut pas oublier le sort qu’il avait réservé au kidnappeur de sa femme... (Cf. Le Début et la Fin (2.01)) pourtant, s’il ne tue pas Watts comme il en avait d’abord l’intention, ce n’est pas par compassion, mais au contraire dans un soucis de vengeance : autant laisser le Groupe se charger de ses propres affaires et régler ses conflits internes. Frank avait l’impression que Peter l’avait trahi et nourrissait une forte rancœur à son encontre ; alors que ce dernier n’était pas maître des évènements. Cette fois encore, il s’en prend à Peter car il ne peut atteindre personne d’autre. Sa haine viscérale de MillenniuM l’amène à s’en prendre à la seule personne du Groupe qu’il connaît vraiment : Peter Watts.
Frank est aussi en un sens trahi par Emma, puisqu’il a tenté de la protéger et de lui ouvrir les yeux sur la nature réelle de MillenniuM. Il la tiens responsable de son comportement et ne lui accorde aucune excuse. La seule qui le soutenait s’est donc retournée contre lui, comme le laissait présager les récents épisodes. Protégez-moi de mes amis, je me charge de mes ennemis...
Frank met toute son âme à la résolution de l’enquête, non pas pour trouver le meurtrier des couples, mais pour atteindre la vérité. Cette vérité, c’est Peter qui va lui en donner les clefs mais une partie des réponses s’envolent avec le suicide de Barr.
Il est donc une fois encore vaincu par la pieuvre qui agit dans l’ombre. Il est un peu à l’image d’un David Vincent : il sait mais ne peut presque rien, ou si peu. Les rares autres personnes qui savent n’ont soit que des soupçons (MacClaren), soit ne peuvent pas parler (Emma). Il combat seul quelque chose de trop gros pour lui. Et à choisir entre protéger l’avenir de sa fille ou continuer une lutte qui semble vaine, le choix - provisoire ? - est vite fait.

Un petit mot sur Jordan quand même. Elle emmène une photo de sa mère avec elle à l’école, au cas où ils partiraient précipitamment. A-t-elle « vu » ce qui allait se passer, comme elle avait « vu » la mort de Catherine ? Car sur l’instant, même Frank est surpris par son geste. Et l’on comprend que MillenniuM s’intéresse à elle...


Le Groupe MillenniuM, justement, est-il responsable de tous ces évènements ?
On peut le penser, mais ce n’est pas aussi simple. Car hormis l’ambulancier dont on suppose qu’il travaille pour MillenniuM et le médecin que l’on entrevoit opérer James Hollis, nous n’en voyons rien de durant cet épisode, de même que dans le précédent. On en parle beaucoup, mais nous ne voyons personne. Le Groupe joue donc l’Arlésienne.
Et si nous en sommes convaincu, il faut garder à l’esprit que les principaux accusateurs sont une jeune femme à tendances paranoïaques et dont l’avenir de son père est menacé, et un homme qui considère le Groupe comme responsable de tous ses mots - mais peut-être à juste titre.
Ce qui est sûr, c’est que c’est bien MillenniuM qui a « créé » Lucas Barr. C’est aussi lui qui soigne le père d’Emma. Car comme le révèle Peter Watts, le Groupe continue ses recherches - on en a déjà vu une partie avec le vaccin - et désormais, un nouveau pas est franchi. Il faut avouer que tout est ici un peu débité et ce qui n’aide pas franchement à la clarté du propos. Néanmoins, on comprend qu’il est désormais capable d’utiliser des cellules souches pour régénérer les cerveaux déficients - comme avec James Hollis - ou pour modifier la psyché d’une personne en lui incorporant des cellules d’une autre personne - comme avec Lucas Barr.
Mais qui dit que les deux ne sont pas liés ? Qui nous dit que le subconscient du père d’Emma n’a pas été altéré ? Et qu’il va devenir un autre genre de Lucas Barr - pas forcement un meurtrier. Car peut-être ressent-il déjà les effets de l’autre personnalité, d’où l’avertissement à sa fille.
En tout cas, pour Peter du moins, tout ceci ne peut-être que bénéfique à l’humanité à l’approche du nouveau millénaire et le cas Barr n’est donc qu’un raté, une erreur, une expérience qui aurait dégénéré. Cela a pour intérêt de relativiser la nature du Groupe MillenniuM, qui reprend un peu la forme de ce qu’il était à la fin de la saison précédente : une entité prête à tout pour sauver les hommes, même contre leur gré. Il n’est plus seulement le méchant conspirateur qui œuvre pour son intérêt personnel et acquérir du pouvoir. Il retrouve ainsi une vraie nuance, que l’on croyait perdue.
Pourtant, comme l’avait prédit Frank, Peter est assassiné. Mais l’a-t-il réellement été ? Qu’il soit mort ne fait aucun doute, mais est-ce MillenniuM qui s’est chargé de lui ? Ne peut-il pas s’être suicidé ? Même si la réponse semble évidente au premier abord et qu’il avait prévenu son ami qu’il lui lèguerait la pochette à l’ouroboros quand il serait menacé, ne peut-on pas imaginer que le contenu de ces documents l’ait poussé au suicide, conscient alors qu’il avait fait fausse route en servant le Groupe et qu’il avait en fait gagné la confiance de Frank pour de mauvaises raisons ? Disons que cette théorie présente des failles et qu’aucune information supplémentaire ne viendra corroborer ou infirmer quoi que ce soit. Mais la série nous a souvent habitué à ne pas nous fier aux apparences.

Revenons donc un instant sur le plus grand mystère soulevé par cet épisode, et qui est celui de la pochette à l’ouroboros. Elle contient, selon Peter, les projets de MillenniuM au sujet de Frank. A-t-il parcouru le dossier qu’elle contient ? On ne le sait pas vraiment.
Par contre, nous ne saurons sans doutes jamais ce qu’elle contient. La seule esquisse qu’il nous est permis d’entrevoir est une photo de Jordan. Le Groupe s’intéresse donc à sa fille et très certainement à son Don. Mais cherche-t-il à atteindre la fille au travers du père ? Ou bien les deux ont-ils une importance vitale ? Il serait inutile d’extrapoler trop longtemps ; les questions sont posées, les réponses resteront entre les mains des scénaristes.
C’est là une très grande frustration, car la série ouvre une nouvelle porte et fait un bond en avant. Mais un bond dans le vide.

La fin est bonne, peut-être même très bonne et paradoxalement décevante car beaucoup de pistes sont lancées, et n’auront jamais de conclusion. Peut-être valait-il mieux partir comme ça, sur une note juste et pessimiste, à l’image de la série finalement. Il n’empêche que de revoir ce final m’a de nouveau fait un pincement au cœur. La série s’était bien remise sur ses bases et avait relancée sa mythologie. En vain.


Frank fuit donc, comme il l’avait fait après l’affaire Ed Cuffle, juste avant le pilote, juste avant le début de série.
La boucle est bouclée.
La série peut reposer en paix.