AVANT-PREMIERE — Borgia, saison 1
Quand Canal+ rencontre une légende de la télévision, Tom Fontana
Par Dominique Montay • 28 septembre 2011
Quelques mois après la version Showtime, Canal+ donne la possibilité à Tom Fontana de donner corps à l’adaptation de la vie de la famille Borgia. Religion, politique, meurtre, sexe... Autant dire que sur le papier, ça fait envie...

Alors que le Pape est en train de mourir, le Cardinal Rodrigo Borgia apprend le décès d’un de ses enfants illégitimes. Il décide, du coup, de ramener à ses côtés ses autres "bâtards", sa fille Lucrezia, adolescente, et ses deux fils, Cesare et Juan. Bête politique, Rodrigo Borgia, au delà de la simple volonté de renouer les liens familiaux, est bien décidé à utiliser ses rejetons comme des armes afin d’obtenir la place du Pape.

Tout commence avec une carte de l’Italie. Grâce à une voix off monocorde et distante, Nous prenons connaissance des forces en présence, et de la situation "poudrière" dans laquelle se trouve le Vatican, cerné de toutes part par ses ennemis. Une ouverture assez efficace, qui termine par la courte introduction des Borgias, une façon habile de nous montrer, en finissant par eux, qu’ils sont le plus grand malheur qui attend le pays.

Si vous cherchez dans une série un personnage à aimer, envers qui développer de l’empathie, passez votre chemin. Hormis deux ou trois personnages très secondaires, tous sont rongés par le vice, la violence, l’arrogance ou l’ambition. Les enfants Borgia en tête. La fille, Lucrézia, est une tête à claques de petite fille gâtée, l’un des fils, Juan, est un idiot qui ne pense qu’au sexe, et le second, Cesare, fatigue rapidement à exprimer à haute voix ses problèmes de maîtrise de soi.

Roberto, le patriarche (non-officiel, ça reste un cardinal), est un personnage froid et calculateur, mais très vite capable de taper du poing sur la table. L’écriture de ces personnages ne laisse pas de place au doute, Tom Fontana les voulait détestables. Il voulait écrire une histoire de mafieux au Vatican. Mais ces mafieux manquent d’âme, d’humanité, la faute, si ce n’est à des comédiens mal choisis, à une direction d’acteurs assez trouble.

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We are family
get up everybody and sing

Les problèmes de la co-production se font sentir avec ce casting cosmopolite. Si ça ne choque pas au Vatican (qui regroupe nombreuses nationalités), c’est plus dommageable au sein de la famille Borgia, quand sous le coup de l’énervement, l’actrice qui interprète Lucrezia retrouve son accent allemand d’origine. Problème de coaching de langue, choix de ne pas s’attarder sur ces détails... quoi qu’il arrive, ils choquent et c’est bien dommage, tant on aurait aimé aimer cette volonté de ne pas laisser les acteurs parler dans leur propre langue pour les doubler après coup.

Le plus grand souci, au niveau du casting, vient du choix de John Doman pour interpréter Rodrigo Borgia. Un choix de Tom Fontana, qu’on a connu plus inspiré. D’après la petite histoire, c’est après de longues et infructueuses recherches que Tom a annoncé "J’ai un ami new yorkais qui serait parfait". L’"ami" John Doman, aussi excellent fût-il dans « The Wire » ou « Damages », délivre une prestation un peu hors-sujet, jouant Rodrigo comme il jouait le chef de la police de Baltimore (avec un énorme accent new yorkais). Ses passages émotionnels sont peu convaincants, le passage où il devient Pape est assez grotesque. Ses seuls moments réussis, sont ceux où il fait preuve de colère. Son personnage manque de crédibilité. Dommage, c’est le personnage central.

Les soucis d’interprétation ou de direction ne sont pourtant rien à côté de ceux de la réalisation. 25 millions d’euros pour 12 épisodes et la série semble incroyablement... pauvre ! La faute à un rythme de changements de plans très limité, et surtout à une photographie moche au possible. Canal+, qui nous avait habitué par le passé à soigner l’esthétique avant d’autres choses, semble ne pas avoir eu envie de perdre de temps dans les locaux de post-prod. L’image est froide, trop éclairée, mettant en avant tous les défauts du tournage en numérique.

Et l’apport d’un vrai showrunner ? Loin de nous l’envie de brûler l’idole Fontana. « Homicide » et « Oz » furent de grandes séries, et les plus grandes faiblesses de la série ne viennent pas du scénario. Mais, fait incroyable, alors qu’il vient d’Amérique, Fontana a été frappé par la malédiction de la série française (hormis une poignée, dont une annulée cet été) : le premier épisode est tout bonnement mauvais, trouvant le moyen d’être à la fois confus et lent.

Par contre, la série remplit bien le cahier des charges Canal. Du cul, il y en a plein. A outrance, parfois. Aussi beau soit-il, celui de Marta Gastini (Giulia Farnèse) est peut-être un peu surexploité. La gratuité de certaines scènes porte ombrage à d’autres, qui justifient intelligemment l’utilisation du sexe et de la violence.

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Giulia Farnese

Alors, « Borgia », fumée noire ou fumée blanche ? Restons mesurés. Les améliorations sont notables sur le second épisode. Une fois l’exposition passée, l’intrigue autour de l’annonce à Cesare par une voyante de l’imminence de 5 morts est plutôt efficace. L’épisode suivant, le 3e, est à ce jour le meilleur. Expurgé des rapports peu emballants entre Rodrigo et ses enfants, l’intrigue se concentre sur l’élection du Pape, recentrant le récit sur sa dimension politique.

Il soulève, en plus, la dualité de cet univers. A mesure que Rodrigo Borgia intervient, soit en salissant ses adversaires, soit en les soudoyant, Rodrigo gagne des voix mais en perd aussi ! Un fait qui prouve (ce n’était pas évident jusqu’ici) qu’il n’y a pas que des pourris chez les cardinaux.

Le soufflé retombe un peu au quatrième épisode, tout comme la tension. L’élection traîne et voir les scènes de comptage des votes, encore et encore, usent un peu.
Fait notable, le troisième et quatrième épisode semblent n’en former qu’un seul. Tom Fontana devait être au courant des pratiques étranges de ces sympathiques français de diffuser tout par deux (ou par 5...).

Nous reviendrons sur Le Village sur les prochains épisodes, au fil de la diffusion, en espérant que l’impression plutôt mitigée de ce démarrage s’estompera rapidement.


Avions nous besoin, 15 ans après "Riget - L’hopital et ses fantômes" de voir à nouveau Udo Kier boire du lait maternel la bouche collée à un mamelon ? Je le dis haut et fort : NON ! Et que ça soit clair : plus jamais ça !

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Post Scriptum

« Borgia »
Saison 1 - 12x52’.
Atlantique Productions/Lagardère Entertainment, EOS Entertainment pour Canal+. Créé par Tom Fontana.
Réalisé par Olivier Hirschbiegel, Metin Hüseyin, Christoph Schrewe et Dearbhla Walsh.
Avec : John Doman (Rodrigue Borgia), Mark Ryder (César Borgia), Stanley Weber (Jean Borgia), Isolda Dychauk (Lucrèce Borgia)