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1.01 - Pilot
...est un marshmallow
Mars Investigations
mercredi 8 mars 2006, par
Qui a fracassé le crâne de Lilly Kane ? C’est ce à quoi Veronica Mars va tenter de répondre. Ça et un milliard d’autres questions, mais surtout celle-là. Réjouissez-vous, la meilleure des détectives privés est enfin parmi nous.
Il y a un an, dire que l’on appréciait Veronica Mars était un peu comme d’avouer qu’on adore s’écouter en boucle « What is love » d’Haddaway : difficile et sujet à moqueries. Mais les choses ont vite changé car on ne peut que tomber amoureux de la série. Alors quoi que vous ayez pensé de ce pilote, sachez que bientôt vous deviendrez comme chaque personne ayant posé les yeux dessus : un Marsaddict. Vous ne pourrez pas y échapper, c’est l’effet Veronica...
Pourquoi tant de haine ?
Pour ma part, ce Pilote m’a enchantée. Bien qu’il soit loin d’être irréprochable, je le trouve frais et agréable. Je peux tout de même comprendre, en faisant vraiment beaucoup d’efforts, que l’avis ressortant puisse être négatif. De prime abord, un pitch comme celui-là a de quoi faire peur : on suit les aventures de la petite blondinette parfaite (jolie, gentille et très intelligente) qui joue les miss Marple face aux méchants djeunz riches. Ajoutez-y le soleil de Californie et ça peut donner l’impression de suivre les enquêtes de Chloe Sullivan (vous savez, la copine de Pasuperman) à Newport Plage. Malheureusement, de très loin et avec une myopie prononcée, VM a des airs de ce genre de shows indigestes pour ados. Surtout si vous considérez qu’on nous sort en plus l’artillerie lourde en nous balançant tous pleins de mystères bien glauques à élucider histoire de tenir 22 épisodes et une belle brochette de ce qui ressemble à des clichés ambulants. Cerise sur le gâteau du ridicule, l’actrice Kristen Bell n’a pas eu droit aux services du génie de la perruque-qui-ne-se-voit-pas bossant sur Alias (pas de bol).
Quoiqu’il en soit, en rester sur des impressions négatives serait une bien belle erreur. Le potentiel est là, il faut simplement savoir gratter sous la surface pour avoir une idée de ce que la série pourra donner une fois bien installée. Après tout, ce n’est qu’un Pilote et il est difficile d’arriver à la perfection dès la mise en place. Les Buffsters sont les premiers à le savoir, il ne faut pas se fier aux apparences (non je ne cherche pas du tout la moindre excuse pour parler de Whedon. Quoique, il est bon de préciser que le monsieur est un fan incontesté du boulot de Thomas sur VM. C’est dire comme ces auteurs se rejoignent sur pas mal de points).
« Questions need answers. That’s what I do. »
Que se passe-t-il donc, concrètement ? Eh bien nous découvrons Veronica, lycéenne solitaire de Neptune High, qui nous raconte son histoire grâce à l’utilisation de la voix off, procédé de plus en plus courant servant à mieux nous plonger dans la vie du personnage principal. Ses interventions sont ici très nombreuses mais il faut avouer qu’elles sont nécessaires vu les informations en rafales que requiert ce Pilote. Car ce ne sont pas les idées qui manquent ! Vero nous apprend que son histoire a démarré il y a de cela un an, lorsque sa meilleure amie Lilly Kane fut assassinée. A partir de là toute sa vie fut chamboulée, et de la fille insouciante et entourée elle est devenue celle que nous découvrons aujourd’hui : cynique et solitaire. Obnubilée par la moindre recherche de vérité depuis ce drame, Veronica passe maintenant son temps à résoudre des petites énigmes à défaut des grandes. Comme le véritable meurtrier de son amie, le responsable de son viol, le pourquoi du départ de sa mère ou même les raisons qui ont conduit son amour de jeunesse à l’ignorer du jour au lendemain. Veronica est une adolescente brisée, passée brutalement à l’âge adulte et ses désillusions, et elle n’est pas sans rappeler un brin notre chère George de Dead Like Me. Un autre chemin que le parcours adolescent habituel est emprunté, cela apporte déjà une touche d’originalité. Si Veronica est en recherche permanente de vérité, elle n’en est pas pour autant l’incarnation de la justice. Il suffit de la voir aider des garçons coupables d’un délit afin qu’elle et Wallace n’aient pas d’ennuis bien pires. Un petit mal pour un grand bien, selon miss Mars. Elle semble donc appliquer sa propre loi pour ce qui lui paraît être juste en utilisant des moyens pas forcément honnêtes (comme de faire arrêter Logan pour un objet qui ne lui appartient pas). Chagrin, peur, confusion, égoïsme...pour l’héroïne idéale on repassera.
Ce rôle principal est incarné par Kristen Bell, dont le charme indéniable est un atout majeur pour apprécier d’emblée la série. D’ailleurs, petit hs : ne la manquez pas (s’il passe encore) sur grand écran dans « Reefer Madness », une formidable parodie musicale où elle fait éclater son incroyable talent.
« Who’s your daddy ? »
Keith Mars est le second personnage important de la série. Il a engagé sa fille comme assistante dans son agence de détective car ça l’occupe, lui fait de l’argent de poche, et qui plus est cela doit bien l’arranger de ne pas avoir à véritablement engager quelqu’un vu ses problèmes d’argent. Cette situation n’a donc rien d’exceptionnel, s’il s’était reconverti épicier il lui aurait probablement demandé de s’occuper de la caisse. Mais voilà, papa est ancien flic. Et comme la pomme n’est pas tombée très loin de l’arbre, sa fille a un talent inné pour mener des enquêtes en plus d’en connaître toutes les ficelles pour avoir passé son enfance dans ce milieu. Ainsi les prédispositions de Veronica n’ont rien de particulièrement incroyables et les situations n’en paraissent que plus vraisemblables. On peut ranger au placard nos réflexions du style « Une lycéenne en détective ? C’est pas réaliste une seconde ! ». Surtout lorsque l’on voit les moyens plutôt simples qu’elle emploie. Les potes super-héros ou agents du gouvernement ça ne sert à rien, il suffit d’un peu de bon sens et d’imagination. Et pour se défendre, un gros toutou et une arme électrique sont aussi efficaces qu’un kick arrière à la Bruce Lee. Tout cela, papa Mars en est parfaitement conscient et c’est pourquoi il sait qu’il peut compter sur Veronica pour faire bien plus qu’un peu de paperasserie. Même quand ce n’est pas le cas il anticipe les réactions de sa progéniture. Elle lui ressemble beaucoup et possède tout comme lui cette soif de découvrir la vérité. Ils sont donc très proches, le départ de la mère ayant probablement resserré ce lien. Mais Keith sait quand il faut arrêter de jouer les copains et redevenir un vrai père envers sa fille. Il ne lui confie pas tout et c’est ce que Veronica prend pour une petite trahison lorsqu’elle découvre qu’il continue toujours l’enquête sur Lilly Kane. Cette relation sonne donc très juste de part les comportements de chacun. Malgré une complicité évidente, Keith ne cesse pas d’être un père protecteur sachant faire preuve d’autorité et Veronica d’être une petite fille déçue par son papa au moindre faux pas (selon son propre jugement).
« I’ve got a secret. A good one. »
Lilly Kane est donc LE cadavre de la série, celui par qui tout va arriver, le véritable squelette de l’histoire (sans mauvaise blague). Mais pas seulement. Alors oui, elle était belle, mais ça ne suffit pas à rendre sa mort intéressante, n’en déplaise à nos scénaristes nationaux. Grâce à la mise en images des souvenirs de Veronica, Lilly prend vie sous nos yeux et a ainsi la consistance d’un véritable personnage et non d’une chose abstraite en arrière fond. Nous découvrons une adolescente pimpante et tout ce qu’il y a de plus ordinaire, ayant confié le jour du drame qu’elle détenait un lourd secret, ce qui semble pour l’instant être la raison de son assassinat. Un acte aussi horrible est en général banalisé dans les fictions, c’est pourquoi tout l’épisode s’évertue à nous montrer que la mort de cette jeune fille aura entraîné beaucoup de répercussions. Lilly était une fille, une sœur, une amie, une petite-amie, et sa disparition aura entraîné beaucoup de chagrin. Tel un effet boule de neige, ce meurtre aura aussi fait perdre son travail à Keith, à la suite de quoi sa femme l’aura quitté, et sa fille sera rejetée de tous ses amis, ce qui conduira à son viol. Un homme innocent (d’après Keith Mars) sera envoyé en prison, puis un incapable qui n’a de l’agneau que le nom (Lamb en anglais) aura pris la place de shérif et c’est toute la ville qui s’en trouvera changée. Lilly Kane est donc plus qu’une adolescente dont la vie a été trop vite interrompue, elle est la démonstration selon laquelle chaque individu influe sur les autres bien plus qu’on ne peut le croire. Les vidéos de son cadavre qui circulent accentuent l’horreur du geste dont elle a été victime, tout en montrant l’indécence humaine face à la tragédie. Le corps de Lilly n’est absolument pas présenté dans une pose glamour mais ressemble plutôt à un pantin désarticulé. Ainsi la série semble vouloir réparer la banalisation des actes de violence dont est responsable ce support en filmant une mort qui n’a rien de divertissante. Et elle y arrive plutôt bien...
Il est difficile de ne pas voir en Lilly Kane la nouvelle Laura Palmer. Belle blonde populaire et aimée de tous, elle détenait des secrets qui ont probablement marqué sa perte dans cette ville imaginaire peuplée de personnages intrigants où chacun peut être responsable de sa mort. Mais nous ne sommes pas pour autant dans Twin Peaks. Rob Thomas, le créateur, démarre son histoire d’un principe assez proche mais s’en éloigne radicalement par sa façon de l’aborder. Si la série ne s’appelle pas « Neptune », c’est bien parce qu’elle se focalise principalement sur une seule personne : une jeune enquêtrice aux enjeux tous personnels dans ses recherches. Il y a une ressemblance évidente entre les deux amies de l’époque et le changement physique de Veronica depuis n’est certainement pas fortuit. Voir son double, son modèle, se faire tuer est un évènement fortement marquant psychologiquement. Ceci explique d’autant plus le besoin de vérité de Vero, qui cherche peut-être inconsciemment à se démarquer de Lilly. La question n’étant peut-être pas « qui a tué Lilly ? » mais « pourquoi l’a-t-on tué elle et pas moi ? ». Je sais, cette façon de voir est bien égocentrique mais n’oublions pas que la série ne porte pas son nom pour rien. Tout tourne autour d’elle et ce fait est déjà très clair. Quoiqu’il en soit, Lilly incarne le grand mystère de cette saison qui démarre. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
Bienvenue à Neptune, snich !
Comme le dit si bien Veronica, à Neptune il n’y a que deux catégories de personnes : les riches et ceux travaillant pour les riches. D’emblée, le décor est posé. La comparaison à Twin Peaks n’est pas uniquement due à Lilly Kane car Neptune est une ville façonnée sur les apparences, d’où son nom : en astrologie, cette planète est associée à la tromperie et à la provocation de déceptions. Une ville très superficielle en somme, où quasiment tous les personnages ont l’air de gravures de mode et l’argent est roi. Cela tend tellement vers l’exagération que cela ne peut que cacher de sombres choses, ce que ne tarde pas à nous confirmer Veronica, ayant elle-même fait autrefois partie de cette mascarade de perfection. Puisqu’on parle de planète, sachez que Mars est celle par qui toute action est entreprise. Thomas ne choisit vraiment pas ses noms propres au hasard...Prenons par exemple la famille Kane, première puissance de la ville, dont le fils Duncan est par conséquent frère de Lilly, la meilleure amie de Veronica, elle-même ex-petite amie de Duncan (ah, j’aime bien les petits airs de soap !). Phonétiquement leur nom est semblable à Caine (Caïn en français), le personnage biblique qui tua son frère Abel. L’homme accusé du meurtre de la fille Kane se nomme Abel Koontz, mettant en place une vérité qui se fera constante dans cette série : toute situation bien connue sera renversée.
Une floppée d’autres personnages sont introduits rapidement, du salaud de shérif Lamb à Weevil le chef des racailles (quand t’es latino ici, apparemment tu ne peux finir que brute à moto) en passant par Logan Echolls (quand t’as de l’argent, tu peux au moins devenir brute à voiture), Neptune n’est pas en manque d’enflures auxquelles Veronica pourra se frotter. En particulier nos deux petites frappes de classes sociales diamétralement opposées. Pour la petite histoire, le bong retrouvé dans le casier de Logan devait originellement être en forme de pénis, ce qui aurait été franchement drôle et culotté. Sacré Rob !
Et puis arrive Wallace, l’élément vierge de Neptune. Fraîchement débarqué, il ne connaît rien de cette ville, de son histoire (dont l’affaire Kane) et encore moins la mauvaise réputation que se traîne Veronica (dont l’origine est plutôt dramatique). Qui plus est c’est un garçon bon, honnête et intelligent, bref en total décalage avec le panorama. Il ne tarde d’ailleurs pas à être victime de la cruauté des autres lycéens, de la bande à Weevil et du shérif d’un même coup. C’est ce qu’on appelle une entrée fracassante ! Les deux parias se rapprochent inévitablement et ainsi débute une amitié qui se scelle sur la plage, leurs visages tournés vers l’immensité du ciel dégagé semblant indiquer un avenir prometteur à cette nouvelle relation. L’histoire de cette précieuse amitié nous est donc mise en parallèle à celle perdue. Wallace n’est bien sûr pas là pour remplacer Lilly mais pour apporter à Veronica un confident, un allié et un point de repère autre que son père. Il est surtout la preuve que malgré la perte d’un être cher et les bouleversements que cela conduit, la vie continue toujours. Leur première rencontre est par ailleurs très significative. En venant au secours du jeune homme, Veronica montre qu’elle est la seule à oser prendre des risques pour aider les plus faibles, son sens de la justice et son courage étant clairement très développés. Quant à Wallace, sa position face à elle lui donne une allure d’icône religieuse. Wallace Fennel, sauveur de Veronica Mars ? Seul le temps nous apprendra son rôle exact, mais il semble bien que sa venue marque un changement dans la vie de l’héroïne. Après tout, la série ne commence que maintenant et non un an plus tôt. Les véritables bouleversements de l’histoire sont à venir et si Wallace n’est pas le déclencheur de ce renouveau, on peut dire que sa présence tombe à pic. Chaque élément de cet univers semble avoir été clairement pensé, ce qui laisse espérer que ce sympathique garçon aura une utilité plus importante que « meilleur copain officiel de Veronica Mars ».
« Life’s a bitch. And then you die. »
Quelques mots obligatoires sur la version française : elle n’est pas si mal. Et j’en suis la première surprise. Evidemment les dialogues sont assez allégés mais le doublage est en général plutôt correct. M’étant écouté celui de Firefly, le doublage le plus abominable qu’il m’ait été donné d’entendre, je peux vous dire qu’à côté celui de VM est franchement supportable. Quand j’entends la voix nasillarde et molle attribuée à Logan ou qu’Inga a gardé son superbe accent (« Ach, Vvverrronica ! »), je me dis qu’il y a eu un minimum d’efforts. Veronica et Keith sont les seuls bémols car je ne trouve pas du tout que ces voix leur correspondent. La doubleuse de Veronica aurait été beaucoup mieux pour Lilly par exemple. Le chien Backup est appelé Patrouille ce qui gâche un jeu de mots que j’aimais bien (« Take Backup with you » : « Prends des renforts ») et ma phrase préférée de l’épisode passe à la trappe (une guimauve ? N’importe quoi !). Mais là je chipote. Cette version française passe encore et ne détruit pas la série, ce qui de nos jours est assez rare pour qu’on puisse dire « ouf, merci ».
En conclusion, tous les éléments sont lâchés dans cette série où rien n’est ni tout blanc ni tout noir, y compris son emblème et héroïne. D’ailleurs l’épisode se termine sur une note assez négative. Non, nous ne sommes vraiment pas à Petiteville. Veronica Mars instille une atmosphère bien particulière et mélange les genres : polar, teen soap, comédie, drame (je vous vois venir mais non, avoir une blonde intelligente n’est pas encore considéré comme de la science-fiction) avec aisance, où la légèreté contraste parfaitement avec les aspects les plus sordides. Le spectacle peut commencer...
Les pièces de ce puzzle géant se mettent en place avec force et non sans quelques accros. Mais bien qu’il ne soit pas totalement réussi, ce pilote présente de solides bases pouvant aboutir à une œuvre de grande qualité, alors mieux vaut arrêter tout de suite les comparaisons et se concentrer sur ce qui fait l’originalité de VM. Rob Thomas définit bien son univers et son héroïne charismatique tout en posant beaucoup de questions qui ne demandent qu’à trouver des réponses palpitantes. Une héroïne est née. Et dorénavant, il n’y a plus qu’un mot d’ordre : éviter tout spoiler comme la peste !
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