MAJKA ASFALTA — Mère Asphalte
Une histoire sensible, subtile et poétique.
Par Sullivan Le Postec • 29 janvier 2011
Un téléfilm Croate sur une mère de famille qui se retrouve a la rue avec son jeune garçon et ère dans les allées d’un Centre Commercial, on va se dire la vérité, ce n’est pas ce qu’il y a de plus sexy. Pas le genre de séance vers laquelle on se précipite. Comme on a tord, parfois...

Il y a des fois où la réalité se joue totalement de vos préjugés. Il est certain que je suis allé voir ce téléfilm Croate d’une heure quarante-cinq, au pitch assez triste, plutôt à reculons. Force est de constater que j’ai peu à peu été happé par une introduction très bien exécutée — même si elle déstabilise un peu, parce que le film ne raconte pas vraiment l’histoire de son pitch, mais ça j’y reviens — puis totalement envoûté par un développement intelligent, nuancé et subtil. Un coup de cœur inattendu.

Mare et son époux Janko sont un couple habitant Zagreb avec leur fils Bruno. Quelques temps plus tôt, Mare a été licenciée. En partie à cause du chômage de la jeune femme, qui met en péril la stabilité financière du couple, sûrement aussi pour d’autres raisons, le couple qu’elle forme avec Janko bat de l’aile. Ils ne vivent plus ensemble : ils vivent l’un à côté de l’autre. Mare lui fait part de son intention de le quitter. Janko encaisse presque sans réagir.
Ce soir là, celui du réveillon de Noël, ils reçoivent à dîner un couple d’amis de Janko. Un repas lesté par les non-dits, ont découvrira la teneur par la suite. Il règne une grande tension. Mare et Janko se disputent. Janko boit… Plus tard dans la nuit, une fois qu’ils sont seuls, il passe sa colère sur elle, la frappe.
Janko se retrouve très vite bloqué par sa culpabilité tandis que Mare fait une valise pour elle et Bruno. Elle s’enfuit avec la voiture. Elle pense trouver refuge chez une amie, mais le mari de celle-ci ne l’accueille pas vraiment à bras ouvert. Mare s’en va donc. Elle se retrouve à errer sans but en voiture, annonçant à son fils faire ‘‘une aventure’’. Cette errance dans le froid Croate les conduit à passer une grosse partie de leurs journées dans les allées d’un grand Centre Commercial...

Parallèlement, on suit depuis le début Krešo, employé de sécurité de ce Centre commercial. C’est la que l’on réalise qu’au-delà de son pitch de mère à la rue se retrouvant dans un supermarché, « Majka Asfalta » raconte avant tout l’histoire d’âmes tristes à la dérive, que les courants amènent à s’entrecroiser. Krešo est rongé par sa solitude, dans laquelle sa grande timidité, qui lui interdit des interactions sociales normales, l’enferme. Il avoue lui-même ne se sentir bien que seul, et profite des heures de fermetures pour s’isoler dans le grand espace du Centre Commercial. C’est comme cela qu’il entre en contact avec Mare et Bruno. Mais Krešo est-il une aide ou un danger potentiel ?

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Après le départ de Mare de l’appartement familial, on continue aussi de voir évoluer Janko, qui dérive de son coté. Cet aspect de l’intrigue m’a d’ailleurs pas mal inquiété, puisque je craignais qu’on nous impose une forme de réunion du couple en happy-end. Même si on finit, vers la fin du téléfilm, par ressentir de la compassion pour Janko, j’aurais difficilement accepté que Mare retourne vers un homme qui était allé jusqu’aux coups de pied contre une femme à terre. Heureusement, « Majka Asfalta » fait preuve au moment de la résolution de la même finesse et de la même subtilité qu’au fil de son développement. La fin, de manière symbolique et formidable, suggère en fait que Janko ne va se rapprocher à nouveau de Mare que pour l’aider à prendre son envol, son indépendance, et à repartir du bon pied.

Pas facile de parler d’un film tel que celui-là, dont l’intérêt tient à son atmosphère, son ambiance, à la manière dont il vous envoûte et vous intègre, sans pour autant raconter des choses extraordinaires. La qualité d’écriture est très élevée, et les petits défauts qui se glissent dans le téléfilm sont aussi mineurs que peu nombreux — le mari de l’amie de Mare est un petit peu caricatural. Le plus surprenant est peut-être la réalisation, qui ne correspond clairement pas au cliché d’un téléfilm de pays de l’est. L’image et le feeling du film sont très cinématographiques, jusqu’à l’usage du format cinémascope. Mais la mise en scène est élégante, et souvent inventive. La photographie, si elle est en partie contrainte par le sujet, sait trouver des moments pour insérer des scènes chaudes et introduire de la couleur. Le cinéma français naturaliste, et ses images désespérément grises, pourrait en prendre de la graine !

Grace aux différents éléments de ce traitement subtil et poétique, cette histoire, si elle n’est pas la plus joyeuse de l’Univers, ne s’avère pour autant pas plombante. L’humour a sa place dans ce récit. Surtout, on s’attache fort à ces figures mélancoliques et principalement au visage poupon de cette femme de courage et de conviction, qui refuse le vrai désespoir que serait une résignation à une situation que rien ne justifie. Et l’on repart de « Majka Asfalta » avec un petit peu de cette combativité...

Post Scriptum

« Majka Asfalta »
Croatie. 2010. 1h44.
Une production Kinorama.
Ecrit par Tomislav Zajec et Dalibor Matanic ; réalisé par Dalibor Matanic.
Avec : Marija Skaricic (Mare).

Dernière mise à jour
le 24 juillet 2011 à 06h22