AVANT-PREMIERE — Xanadu, épisodes 1, 2 & 3
Une série expérimentale et radicale
Par Sullivan Le Postec • 28 janvier 2011
Difficile de se faire un avis à partir des trois premiers épisodes de « Xanadu ».En tout cas, on y verra beaucoup plus clair quand on pourra évaluer la destination de la saison, pas évidente de prime abord. Tentative d’en dire malgré tout quelque mots.

Les trois premiers épisodes de « Xanadu » étaient présentés en avant-première mercredi 26 janvier au FIPA. Une projection de presque trois heures, donc, qui ne donne pas le sentiment d’avoir réellement permis de saisir ce qui devrait rester comme un objet sériel non-identifié...

Tout commence par une négociation. Une propriétaire de galerie essaie d’arracher au patriarche de la famille Valadine une exposition sur l’égérie disparue de son empire du porno, Xanadu. A l’image, les cadrages racontent leur relation. Dans le coin en bas à droite de l’écran, Alex Valadine semble chercher à s’enfuir de cette image. Dans le contrechamp son interlocutrice, au contraire, occupe tout l’écran et semble peser sur la droite. Elle essaye de lui arracher quelque chose qu’il ne veut pas lui donner, et on le comprend en trois secondes, sans même avoir besoin des dialogues.

Pas de doute donc : Podz (Daniel Grou) est bien derrière la caméra. C’est lui qui avait mis de manière si sublime en image le chef d’œuvre venu du Québec qu’est « Minuit le soir ». La série présente un grand nombre de ces plans qui racontent quelque chose, qui sont osés, fort, dramatiques. On pense au travail de Xavier Dolan (sur « J’ai tué ma mère », notamment) et on se demande s’il y a une sorte d’école québécoise du cadrage. Je n’ai pas l’impression de voir en France des images qui en disent si long de manière si affirmée, quitte à déranger un public qui pourrait ne pas goûter à cette forme de radicalité esthétique.

D’une manière générale, la radicalité caractérise tout ce projet. Sur le plan visuel, encore, le premier épisode n’hésite pas à montrer des corps nus de manière très crue. Trop pour Arte, nous avait dit depuis déjà quelques semaines la rumeur. Effectivement, on constate qu’elle a demandé que certaines images soient floutées, notamment les sexes en érection.
Quand on prend un moment de recul, on réalise que cela signifie que personne, chez Arte, n’a regardé les rushes. C’est franchement inquiétant !

« Xanadu » raconte donc l’histoire de la famille Valadine, qui règne sur un petit empire du porno. Mais l’empire est déclinant. Le patriarche Alex n’est plus à la page et les producteurs de gonzo sont en train de prendre la laine sur le dos de l’entreprise qui revendique de continuer de produire des films plus léchés. Laurent, le fils aîné, qui voit un hardeur lui apparaître pour lui signifier qu’il serait temps de se laisser pousser une paire de couilles, trouve enfin le courage de dire a son père qu’il est temps qu’il prenne du recul. Il recrute Lago, le frère cadet, réalisateur de porno l’air d’être en permanence en plein trip, déterminé à faire de l’art. Au même moment, la sœur, Sarah, revient du Québec, fauchée. Elle va se retrouver obligée de travailler elle aussi pour l’entreprise familiale. Toute cette famille est hantée par la mère des enfants, ex-égérie de Xanadu disparue – son corps n’a jamais été retrouvé, mais Alex l’a faite déclarer morte et est aujourd’hui remarié à une ex porn-star.

« Xanadu » traite du monde de la pornographie sans concession. Il n’est nullement question ici de détourner cet univers pour y situer une comédie romantique, comme dans « Hard ». Il est ici montré dans ce qu’il a de glauque et de violent. Mais pas pour dénoncer le porno. Au contraire, la série veut dire que le jugement qu’on porte sur ce milieu est hypocrite. Que la violence du porno n’est jamais que l’exact reflet de la violence de notre monde. D’ailleurs, les rapports du couple formé par Laurent et Anne sont eux aussi violents, malsains et imprégnés du sentiment qui parcours tout la série que notre société toute entière est irrémédiablement sexiste et terrible pour les femmes. De la à tomber dans l’écueil consistant à dire que tous les hommes sans exceptions sont des salauds et/ou des lâches et/ou des cons, il n’y a qu’un pas que ces trois épisodes donnent parfois l’impression de franchir. On verra si la suite permet de nuancer notre perception des scénarios de Séverine Bosschem.

La série expérimente dans son écriture. Elle joue avec la chronologie. Elle mélange le rêve et la réalité, le concret et l’hallucination. Si bien qu’à force, elle nous perd, parfois. A un moment donné, Sarah voit une femme blonde avec à la main une assiette infestée de vers lui apparaître. Un peu plus tard, la même assiette la mène jusqu’à une blonde dans un squat (la même ? Je ne sais pas). Je n’ai rien compris à la relation entre ces deux-là. Et l’assiette de vers, elle hante aussi des hallucinations de Laurent. Peut-être qu’on y reviendra ?
La série mélange beaucoup de fils, se montre souvent très audacieuse dans sa manière de raconter les intrigues bouclées des épisodes. Elle donne forcément le sentiment d’en faire beaucoup, de partir dans tous les sens. A ce niveau, le cliffhanger du premier épisode est aussi surprenant qu’il est grotesque et incongru. D’autant que l’événement majeur qu’il met en scène n’est qu’un incident périphérique par rapport à l’intrigue.

Et puis la série est ponctuée de petits moments — souvent très brefs — complètement ratés. Notamment des petites scènes de transition où des dialogues rajoutés en post-synchro sont tellement platement joués qu’on a l’impression de voir à l’écran les acteurs enregistrer leur texte dans une cabine, devant un micro.

Malgré tout ça, ou grâce à tout ça, je ne sais plus, « Xanadu » intéresse et fascine et déstabilise et dérange. Est-ce qu’elle donne envie de revenir la semaine suivante pour voir la suite ? Pas sûr. Parce que l’attraction pour l’objet télévisuel radical et étrange qu’est la série ne suffit pas à compenser l’absence totale d’empathie. La série ne provoque pas d’émotion, pas d’attachement pour ses personnages. Même Swann Arlaud, qui provoquait une empathie totale en deux secondes de temps d’antenne dans la saison 2 de « Engrenages » se retrouve coincé dans un personnage si dérangé et dont certains aspects sont si monstrueux qu’on ne peut plus être proche de lui. Le personnage haut en couleur incarné par Vanessa Demouy, qui arrive dans l’épisode 3, apporte une note différente à la série. On jugera donc de l’ensemble sur la longueur et dans cette attente, on s’abstiendra de formuler un véritable avis global.

De toute façon, je n’en ai pas…


Retrouvez notre entretien avec la créatrice/scénariste Séverine Bosschem et le réalisateur Podz : S. BOSSCHEM & PODZ — ‘‘Xanadu, c’est l’histoire du retour du refoulé’’

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Dernière mise à jour
le 30 avril 2011 à 11h09