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3.20 - Jose Chung From Outer Space
Roswell ! Roswell !
Le Seigneur du Magma
dimanche 25 janvier 2004, par
Darin Morgan possède, outre le talent, l’honnêteté intellectuelle que n’ont pas ses pairs. Quand il juge avoir exploité toutes ses idées, il s’arrête de créer.
Et à la fin de la Saison 3, il avait tout donné et voulait ses vacances. Ce quatrième et dernier épisode de X-Files signé de sa main constitue selon lui les dernières tripes qu’il avait à cracher au sujet de Mulder et Scully. Ou plutôt au sujet de l’univers de Mulder et Scully, car on reconnaît aussi une histoire de Darin Morgan au fait que les héros de la série ne sont pas ceux de l’épisode. Reste que son dernier essai est son plus bel essai, une réussite de bout en bout vouée à rester parmi les quatre ou cinq meilleurs épisodes de la série.
Pourtant, il est peut-être le moins philosophique, le moins profond, le moins révolutionnaire qu’ait engendré Darin Morgan. En revanche, il représente la culmination absolue de l’auto-parodie dans une série télévisée. Chris Carter l’admet, cet épisode sera difficilement dépassable dans sa catégorie, d’ailleurs il ne le sera jamais. Pour Gillian Anderson, c’est aussi le meilleur segment de la Saison 3. Pour la simple et bonne raison que « Le Seigneur du Magma » synthétise tout X-Files mais sous le prisme malicieux de l’exagération.
L’épisode s’acharne à ridiculiser l’ufologie, et par là même tout le moteur de la série. Les effets spéciaux lors de l’intervention de l’alien cyclope Lord Kinbote, volontairement rustiques, sont autant un hommage kitsch aux techniques jadis utilisées par Ray Harryhausen, que la première gifle attribuée à la Vérité de la série.
La paranoïa y atteint des degrés tellement abusifs que le tout vire volontairement à l’exercice comique. De ce militaire qui doute même de sa propre existence, de la bouffe qui orne son assiette et des questions de Mulder, convaincu que la réalité n’est pas réelle car construite de toutes pièces par l’Armée. De ces hommes en noirs, qui pour faire taire les témoins de leurs malversations recrutent le présentateur télé de Jeopardy dans leurs rangs afin de décridibiliser quiconque parlerait de leur visite. De Rocky, ce soit-disant témoin qui aurait reçu un message de la part du seigneur du magma et qui a désormais pour mission de sauver l’humanité au travers de sa secte de quartier.
De ces soldats qui se déguisent en petit gris afin de rendre les histoires de soucoupes volantes totalement incroyables. De Blaine, l’adolescent attardé et agoraphobe qui rêve d’être emmené sur une autre planète et qui voit des complots partout, hurlant "Roswell ! Roswell !" en guise de leitmotiv. Et bien sûr de Jose Chung, cet écrivain excentrique qui sans le savoir sert la conspiration en rédigeant son livre sur les enlèvements aliens, puisque sa maison d’édition a été infiltrée par le complexe militaro-industriel qui selon Mulder mène la danse du debuncking.
Tout dans cet épisode, finalement extrêmement rationnaliste, n’est qu’extrapolation, de sorte que cinquante années de mythologie OVNI sont brassées, triturées, secouées puis éjaculées à l’écran sous le point de vue moqueur d’un Darin Morgan, qui à l’inverse de son maître Chris Carter, n’encourage pas à croire mais à prendre le surnaturel à la légère.
Car comme le conclut Jose Chung en fin d’épisode, sur la note pessimiste voire déprimante qui caractérise chaque épisode de Darin Morgan, rester focalisé sur les étoiles ne peut que détourner les humains de ce qu’il se passe sur la terre ferme.
Mais la dérision portée par l’histoire n’exclut pas un regard tendre sur l’ufologie. Les fanas d’OVNI, exhibés en beauté comme des illuminés notoires, des simplets d’esprits ou des charlatans chroniques, sont la partie la plus visible de l’imbriglio construit par le scénariste. En vérité l’histoire fourmille de références diverses, qu’il serait inutile d’énumérer ici, notamment au travers des noms de personnages et des lieux, qui rendent hommage à de vieux films de science-fiction et à de célèbres ufologues internationaux.
Car si Darin Morgan ne croit pas en la véracité du complot et aux soucoupes volantes, il n’en demeure pas moins extrêmement admiratif des gentils fous paranos qui l’ont fait rêver jeune avec leurs bouquins ringards. Et toute la nostalgie des années naïves de l’ufologie et de la science-fiction est résumée par les premières images du prégénérique, où le téléspectateur croit voir un OVNI qui s’avère finalement, par un ingénieux procédé filmique, être une simple plateforme mobile de réparateur de câbles.
Mulder et Scully dans cette affaire ne sont que les intermédiaires de toute une série de flashbacks, dont la mise en scène excessivement complexe aurait facilement pu tourner à la sauce indigeste sans les trouvailles tactiques du réalisateur Rob Bowman, tout à fait inspiré, bien plus que sur le film X-Files par exemple.
Mulder et Scully sont bien entendu eux aussi amochés par l’auteur, mais sans être dénaturés car présentés via des angles extérieurs, principe que l’héritier Vince Gilligan ne maîtrisera jamais vraiment sur ses épisodes. Mulder est ainsi assimilé à un androïde amorphe et Scully se voit ôtée sa féminité sous le prétexte que ses cheveux roux sont trop roux. Les autres nombreux personnages secondaires, de l’inspecteur Manners au langage coloré en passant par le stupéfiant Yappi, qui refait ici une apparition éclair lors d’une caricature de l’autopsie de l’extraterrestre de Roswell, contribuent à rappeler que Darin Morgan possède son véritable univers au sein même de l’univers de X-Files. Et cet univers se met en scène une dernière fois, segmenté et commenté par un Jose Chung oscillant entre la futilité la plus manifeste et la sagesse eschatologique intégrale.
Le tout décoré d’une bande-son formidable et annonciatrice d’une évolution à venir, où Mark Snow intègre pour la première fois le thème de la série hors de son générique. Et n’oublions pas le petit cri efféminé de Mulder devant le pseudo-cadavre alien dans les herbes, et qui mérite à lui tout seul l’effort intellectuel qu’impose la compréhension totale de cette œuvre géniale.
Quel dommage que les épisodes parodiques des saisons suivantes, bien que très drôles pour certains, n’aient pas le quart de la densité du dernier classique de Darin Morgan. En fait, il faudra attendre la Saison 5 et le très beau « Prométhée Post-Moderne » pour retrouver un peu de l’esprit qui animait les quatre joyaux du frère Morgan. Purée de purée.
Un épisode exceptionnel. La Bible de la série, le condensé parodique de tout ce qui en a fait la spécificité. Un départ par la grande porte pour Darin Morgan, qui signe là son indémodable chef-d’œuvre X-Filien absolu. Et il faudra attendre deux années supplémentaires pour que Darin Morgan ressuscite Jose Chung dans la série MillenniuM, et par là même se surpasse à nouveau en signant l’un des épisodes les plus profonds et inépuisables de la télévision américaine.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires