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3.14 - Grotesque
Gargoyle’s Quest
Le Visage de l’Horreur
jeudi 12 février 2004, par
Il est profiler, mais il ne s’appelle ni Sam Waters ni Frank Black. Qui est-il ?
Je vous le donne en mille : Fox Mulder, agent du FBI qui s’occupe des X-Files. On ne s’en rappelle peut-être pas car ce n’est pas souvent évoqué - sauf dans la première saison qui sert à introduire les personnages -, mais Mulder est avant tout un criminologue qui a écrit une thèse. Il est donc spécialiste des comportements criminels. Et c’est un trait de sa personnalité que l’on ne verra que trop rarement dans la série, ce qui est bien dommage au vu de l’épisode que je suis en train de critiquer. Car oui, cet épisode - qui commence pourtant exactement comme toutes les affaires non-classées - est très spécial car non seulement il se déroule à Washington même (chose qui arrive rarement vu que nos deux agents traversent sans cesse le pays) mais en plus l’enquête de Mulder est beaucoup plus "orthodoxe" qu’à l’accoutumée.
Le teaser nous propose l’équation suivante : un immigré Russe appelé John Mostow se fait arrêter par une unité du FBI qui le traquait depuis 3 ans. Il a laissé derrière lui un grand nombre de victimes auxquelles il crevait les yeux et mutilait le visage en entaillant la commissure des lèvres jusqu’aux oreilles, leur conférant ainsi une expression grotesque avec ce "sourire". Hors, ce dernier affirme qu’il est possédé par Satan, ce qui explique les nombreux dessins de gargouilles que l’on peut trouver chez lui, les gargouilles étant censées - selon la légende - repousser le Malin et les Démons de l’Enfer. Étant donné qu’il a eu des antécédents dans un asile psychiatrique, on pourrait penser qu’il est fou. Mais comme un meurtre a été commis après son arrestation, où se trouve la vérité ? (Le premier qui dit ailleurs je le trucide).
Pour nous mener à sa conclusion, l’épisode s’articule autour de trois phrases majeures, ainsi que de deux monologues de Mulder en voix-off, un à l’Université de Georgetown et l’autre en guise de conclusion à l’épisode, tous les deux très riches de sens. Étant donné que toutes les questions qui sont posées et que tous les éléments de réponse sont entremêlés avec maîtrise et subtilité, je vais axer ma review sur ces trois phrases, qui seront en italique dans le texte.
Le Reflet du Diable
La première étape de l’enquête est bien évidemment d’aller rendre visite à John Mostow, ce à quoi s’attellent donc les deux agents. Lorsqu’ils le rencontrent, celui-ci dessine un visage hideux sur le sol de sa cellule, et Mulder lui demande alors si cette face représente celui qui le possédait pendant ses meurtres, c’est-à-dire Satan. C’est là que Mostow prononce l’une des trois phrases dont je parlais : "Alors que lui, d’un claquement de doigts, fait lécher aux hommes le sol poisseux de l’Enfer, juste pour y voir son propre reflet".
Il parle bien entendu de Satan, et dit en substance que le Démon asservit celui qu’il contrôle afin de "contempler son reflet". Ce reflet qu’il évoque correspond à la mutilation des victimes qui leur confère un visage hideux, celui de Satan. Ainsi, sa phrase lui permet à la fois de s’ôter toute responsabilité par rapport à ses actes et de donner une explication au motif des crimes.
Cette scène est d’une intensité rare, sans musique, ce qui renforce le sentiment d’oppression. L’acteur qui joue Mostow y est d’ailleurs incroyable, sa composition est remarquable car elle laisse paraître toute l’ambiguïté de son comportement : il est submergé par la peur et tremble frénétiquement lorsque Scully lui annonce qu’il y a eu d’autres morts, car cela voudrait dire que le Démon a trouvé quelqu’un d’autre, comme il l’avait trouvé lui. Son état laisse penser qu’il resonge aux moments abominables qu’il croit avoir vécus quand il était possédé. Soit il était réellement sous le contrôle de Satan, soit il souffre d’une grave dissociation mentale.
Etre ou ne pas être un monstre, telle est la question
Après cet entretien avec le meurtrier, Mulder rencontre un ancien de ses professeurs à l’Académie, Bill Patterson, qu’il n’ a jamais porté dans son coeur car il ne l’a jamais mis sur un piédestal ; et celui-ci lui en voulait certainement à ce propos. Patterson travaille selon une méthode bien précise : "Si vous voulez connaître un artiste, étudiez son art". Et, bien malgré lui, c’est ce que Mulder fait à la bibliothèque de l’Université de Georgetown en se documentant sur les gargouilles pour mieux appréhender l’affaire. Cette scène, qui fait fortement penser à Se7en, est l’occasion d’une longue réflexion de Mulder pendant près d’une minute.
Une réflexion basée sur la légende des gargouilles, qui représentent en quelque sorte les gardiens de l’Enfer ou du Royaume de notre imaginaire et de nos peurs obscures. Cette phrase a énormément de sens, car elle se rapporte à l’ambiguïté de l’affaire : les gargouilles sont-elles destinées à repousser le Mal en tant qu’avatar, ou nous gardent-elles de nos propres pulsions ? En d’autres termes, lorsqu’un individu confectionne une gargouille, n’est-ce pas pour exorciser ses peurs, pour se protéger de sa propre folie ? Cette expression torturée des visages ne représente-t-elle pas la lutte qui déchire notre âme entre le Bien et le Mal ? Finalement, le Mal n’est-il pas tapi en chacun de nous, et le monstre qui asservit notre volonté comme cela a été le cas pour Mostow n’est-il pas ce que l’on appelle la folie ? Autant de questions qui à ce stade de l’épisode ne restent que des ébauches de théories.
Mais Mulder ne s’arrête pas là, il veut aller plus loin, s’enfoncer plus profondément dans l’esprit du tueur. Ces questions qui le torturent, il va essayer de les résoudre en se mettant à la poterie lorsqu’il va découvrir l’atelier secret de Mostow. Sans s’en rendre compte, il franchit un nouveau palier. Cela est d’ailleurs souligné par les couleurs qui passent d’un bleu plutôt terne en début d’épisode à un bleu beaucoup plus prononcé qui crée une ambiance à part. Et lorsque Mulder se fera attaquer tout en travaillant, il verra la face du Démon. Mais comme le dit Scully, ne l’a-t-il pas vue parce qu’il le voulait ? Mulder lui rétorque qu’il n’aurait jamais envie de voir une telle horreur, mais n’est-il pas déjà allé trop loin, n’est-il pas déjà devenu John Mostow ? Où peut-être que le Démon l’a contaminé aussi ? Il est en tout cas rare de voir Mulder en telle déperdition, incapable de savoir où il en est.
Lorsque Mulder découvre enfin que le deuxième tueur n’est autre que Patterson, la solution s’offre enfin clairement à nos yeux : à force de traquer Mostow et de rentrer dans son esprit et ses cauchemars, Patterson est devenu un monstre. Ce qui répond en même temps aux questions posées sur la fonction des gargouilles : elles servent donc à repousser le Mal qui se tapit en nous, inhérent à notre condition d’humain.
La possession n’est qu’une excuse pour se distancier de ses actes
Tout comme Mostow au début de l’épisode, Patterson commence à parler de possession par le Malin à partir du moment où il est emprisonné. On en revient donc à la phrase prononcée par Scully en début d’épisode : "C’est un argument récurrent chez les criminels souffrant de troubles mentaux, ils se distancent ainsi de leurs actes". Cette volonté de se persuader que l’on était possédé n’est qu’un déni de la vérité, afin de se dédouaner.
Mais la véritable conclusion de l’épisode nous est offerte par le petit laïus de Mulder en voix-off lors de la scène de fin : que ce soit Patterson ou Mostow, les deux étaient possédés, mais par leur propres démons, et le visage qu’ils contemplaient en mutilant leur victimes n’étaient que le reflet de leur propre folie. Visage qui constitue d’ailleurs la toute dernière image de l’épisode.
Complément
L’épisode traite donc ici d’un problème essentiel, celui des profilers. Leur métier est en effet à très haut risque, ils ne sont pas à l’abri de devenir des déséquilibrés à force d’en étudier. Mais cela ne peut se passer que si ces dernies vont sur le terrain au lieu de prendre de la distance.
D’ailleurs, en parlant de MillenniuM, il n’est pas inutile de remarquer que cet épisode a servi à Carter pour montrer ce qu’il voulait faire avec la série fétiche du FLT, puisque Grotesque a été diffusé en février 1996 et le pilote de MillenniuM en octobre de la même année. Et au vu de l’ambiance créée, de la qualité soignée de la photographie et du thème mis en exergue qui sera prépondérant dans sa deuxième série (le basculement du Bien vers le Mal), le pari fut plus que réussi.
Une ambiance oppressante à souhait, une bande son à couper le souffle car adhérant totalement à l’esprit de l’épisode et un script de haute volée d’Howard Gordon (pour une fois seul) font de cet épisode un véritable bijou télévisuel.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires