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2.21 - Somehow, the devil got behind me

Les 666 Coups des Gargouilles

Analyse Diabolique

jeudi 29 janvier 2004, par LordOfNoyze

En général les fins de saison des séries classiques grouillent d’épisodes de remplissage, avec des intrigues toutes mignonettes pour annoncer le grand final, et surtout pour faire avancer les arcs cruciaux des personnages le moins possible. Sauf que là, on est dans "MillenniuM". Et Glen Morgan et James Wong ont trouvé la parade.

Dès les premières minutes de l’épisode, une question lancinante revient dans notre esprit : comment a t-il fait ? Comment a pu faire Darin Morgan pour imposer au reste de la bande de "MillenniuM" et à la FOX un épisode qui ne traite, non pas d’un serial killer, ni de disparitions, ni d’autres formes de criminalité, mais s’attarde, 43 minutes durant, sur une réunion de quidams sexagénaires traînant dans un bar ? Comment faire un épisode de "MillenniuM" sans Frank Black, ou presque, vu qu’il aura quand même le dernier mot ? Cependant, là où ça se complique, c’est que ces quatre quidams sont en réalité des suppôts de Satan exposant leurs méthodes pour oublier leur déprime autour d’un bon café (aromatisé de substances urinaires pour l’un d’entre eux).

D’un postulat somme toute très théâtral (l’épisode est pour sa majeure partie un huis-clos très bavard, et entrecoupé de flashbacks), Morgan livre une réflexion sur la contamination du Mal par notre société, et une certaine uniformisation de notre mode de vie, riant des banalités qui se transforment en torture pour chacun d’entre nous (le speech sur le réveil, sur le parcmètre est mémorable). Tout au long de l’épisode, les démons ont en réalité un mal fou à trouver du plaisir pour damner les âmes, et les quatre cas cités sont très représentatifs d’une certaine thèse pour chacun.

Commençons par cet adepte des faits divers morbides et des carrières de "serial killer", dont une simple discussion avec l’un des démons lui fera refaire le "glorieux" parcours de son idole Johnny Mac Potter en faisant 37 victimes et en se faisant étrangler par l’un de ses compagnons de cellule, le tout sous les yeux moqueurs d’un diablotin en plastique témoin de sa déchéance. Le démon le méprise, au point que c’est lui-même qui conduira à son arrestation, non pas parce que c’est un simple mortel manipulable à merci, mais parce qu’il n’attendait que sa venue pour se fondre dans l’identité de son idole. Ce type de fanatisme pervers nous est décrit comme très ordinaire, et ça c’est vraiment flippant.

Ensuite, on arrive au plat de résistance, c’est-à-dire l’exposition de la thèse en elle-même, illustrée par un officier déprimé. On voit donc les démons se lamenter de l’accumulation des péchés de l’humanité, une façon comme une autre de dire qu’elle est condamnée. Bien sûr, Morgan manque de temps pour développer les mille et uns tracas de notre société, mais voit la laverie automatique comme un supplice démoniaque ingénieux, et le suicide de l’officier à la fin de l’acte en dit long sur le ton désabusé de cet épisode exceptionnel. L’autre surprise c’est que la seule note qui soie positive est apportée par un démon, et malgré le ton sarcastique est une punchline énorme : "Là où je me délecte c’est lorsque ces idiots se rendent compte que la vie est belle avant de s’aplatir comme une crêpe." Les dieux de l’Ambigüité sont appelés à l’accueil, merci.

Le troisième exemple est sans doute l’occasion de régler gentiment les comptes de la Ten Thirteen avec son diffuseur, grâce au personnage du censeur. Travaillant pour ATN (American Television Network ? En tout cas le logo ressemble à celui de la FOX), il n’a pas assez de mots pour décrire la perversion morale des scénaristes dont les scripts sont soumis à sa volonté. Ici, cet homme dépeint comme en proie aux peurs du sexuellement dépravant et du moralement déviant est témoin d’une apparition démoniaque qui le mènera à des moments de pure comédie. On le voit ainsi trier dans les sous-vêtements à la laverie automatique, se cramponner à une barre de strip-teaseuse pour échapper à la sécurité, etc. Mais les intentions du démon sont bien plus...malines (oui, elle est facile) : le pétage de plombs du censeur sur le plateau d’un épisode d’"X-Files" volontairement rendu cheap ne sert en fait qu’à damner des millions de téléspectateurs en leur proposant...du trash et du gore, puisque ATN diffusera les rushes du suicide de son propre censeur sous le titre "Les humains contre-attaquent". Maintenant que je copie cela, ce segment prend une toute nouvelle signification : au départ, Morgan semblait fustiger la censure à outrance, mais en dénonçant l’attitude de ATN face à une telle situation, ne semble t-il pas dénoncer au contraire une certaine complaisance d’émissions réalistes (on sent bien au début du film, la mention scintillante "Inspiré d’une histoire vraie"..) qui vont toujours plus loin dans la perversion ? Finalement une manière de ne pas tomber dans l’un ou l’autre excès, ou peut-être de dénoncer la schizophrénie rampante de la télévision américaine. Si c’est la focntion, elle est remplie à 200 %.

Le dernier exemple sera finalement le plus humain, en racontant l’histoire d’amour entre un des démons (apparaissant au reste de l’humanité comme un quadra envahissant) et une vieille strip-teaseuse. C’est peut-être le segment le plus faible, mais il n’en reste pas moins le plus touchant : seul l’amour peut aider certaines personnes à vaincre la banalité emprisonnante de la vie. Et c’est d’ailleurs dans ce segment que Frank apporte la conclusion salutaire de la thèse de Morgan : dans un monde consumé par le péché, où les pulsions sadomasochistes rendent inefficaces tous supplices infernaux, les démons ne s’amusent plus, pire, ils sont vaincus par la débauche du Mal terrestre. Il semble bien que cet épitaphe effrayant rejoigne les vues de Carter sur la série, et condense d’ailleurs la thèse de pas mal d’épisodes de "MillenniuM".


Avec cet épisode, Darin Morgan trouve la meilleure façon de faire un épisode de "MillenniuM" : ne pas le faire. La force du fond, la puissance hilarante et satirique de la forme font rejoindre cet épisode dans mon panthéon des meilleurs épisodes de séries confondues.