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1.03 - Carentan

La Peur

Carentan

lundi 12 juillet 2004, par BuBu

La Easy Company doit reprendre la ville de Carentan pour permettre aux divisions blindés d’Omaha et Utah d’envahir la Normandie...

Ce troisième opus s’attache cette fois à exprimer un sentiment, à savoir la peur qui sourdait au fond de chaque soldat lorsqu’il se trouvait au front. Aucun n’avait jamais connu se sentiment, car pour l’immense majorité, faire la guerre était quelque chose de nouveau, l’armée US étant un armée de conscription - par opposition avec l’armée britannique, constituée de professionnels. D’ailleurs, comme a à chaque fois, les vétérans nous présentent ce que nous allons découvrir : ce sentiment qu’ils ne survivraient pas au débarquement.


Nous accompagnerons cette fois dans l’aventure une nouvelle tête, le soldat Albert Blithe. Le spectateur comprend, dès l’instant où il le voit, que quelque chose ne va pas chez lui. Son comportement et son regard sont étranges - il faut à ce titre saluer la performance de l’acteur Marc Warren, qui rend à merveille le trouble de son personnage.
Blithe est un soldat de la Easy qui, comme beaucoup, a perdu sa compagnie lors du parachutage. Accompagné d’autres soldats, il se rend dans un petit village où sont massées les troupes américaines. Mais tout le monde repart rapidement pour Carentan, point stratégique du Débarquement et réel but du 506e. Les troupes retournent au feu ; elles ne sont guère motivées bien sûr et on les comprend. Et comme souvent dans des cas pareils, c’est le gai luron qui donne un peu de baume au cœur de tout le monde, à savoir George Luz qui imite une fois de plus le discours du Général Taylor. Car l’humour est ce qu’il reste quand on a tout perdu, paraît-il. Témoin, un vétéran qui avait raconté que dans les barges, lors du Débarquement, alors que tout le monde était transi de peur, que les embarcations empestaient de toutes sortent de défécations, que chacun faisait sa prière et que les tirs allemands fusaient de partout, son voisin lui avait dit : « je crois qu’on arrive sur une plage privée et qu’on est pas les bienvenus ». L’auteur de cette phrase reste inconnu et a certainement péri à Omaha Beach...
Leur trajet se fait à travers un paysage nocturne parsemé de brûlots, plutôt joli d’ailleurs. Mais la Easy perd la Fox en route. Blithe est détaché pour aller la retrouver. En chemin, il tombe sur un cadavre d’un soldat allemand du 6e Régiment de Parachutistes, qui porte à la veste un edelweiss, fleur que chaque membre du régiment doit aller cueillir lui-même et qui est signe de son courage.


Quatre jours plus tard, les américains arrivent aux abords de Carentan. Tout semble calme et les troupes avancent dans le chemin. Mais encore une fois, les Allemands les attendent de pieds ferme arrosent le chemin, obligeant les américains à se planquer dans le fossé. Tout le monde se déploie et la prise de Carentan peut commencer. Si elle existe, aucune tactique n’est visible : des deux cotés, on tire, on balance des grenades, on allume au bazooka, les bâtiments explosent littéralement. On ne peut pas dire que tout cela soit fait dans la dentelle, mais les Alliés avaient-ils le choix ? Néanmoins, on peut, à ses images, comprendre que les « libérateurs » n’aient pas toujours été accueillis avec effusion, parfois même avec rancœur, car beaucoup de Français ont tout perdu lors du débarquement. D’ailleurs, à aucun moment on ne voit un quelconque civil à l’écran ; les Allemands avaient-ils fait évacuer la ville ? Cela dépasse mes connaissances, mais j’ai trouvé cela étrange. Toujours est-il qu’aujourd’hui encore, certains bâtiments portent la marque de cette bataille.
A noter aussi la présence d’un prêtre qui bénit les cadavres des soldats américains au milieu de la rue alors que le combat fait rage. Malarkey en profite pour railler gentiment le comportement des Irlandais. Mais il s’agit bien évidemment d’un image : il se moque des catholiques que sont les Irlandais - et les américains d’origine irlandaise - par opposition aux protestants ou anglicans, dont il fait sûrement partie. Apparemment, cet empressement d’apporter l’extrême onction en plein milieu du combat semble être typiquement catholique à ses yeux.

Carentan est finalement reprise aux Allemands. A alors lieu une scène étrange.
Winters est au milieu de la rue et son supérieur lui demande s’il peut sortir de l’endroit où il est planqué. Cela étonne Winters qui acquiesce : la ville est sécurisée et il n’y a plus rien à craindre. Le major s’éclipse sous le sourire narquois de son lieutenant qui l’instant d’après, est blessé à la cheville par un ricochet de balle - il s’agissait d’un sniper embusqué. La situation est toute ironique, car finalement c’est comme si le sort donnait raison au major d’avoir peur et que Winters était puni par excès de confiance. C’est une mise en garde surtout : toute baisse d’attention peut être fatale.
A l’infirmerie, il rencontre Blithe qui a perdu la vue. D’après le médecin, il s’agit d’un aveuglement nerveux, qui résulte de la peur du soldat de combattre. En effet, après quelques mots de réconfort de Winters, Blithe se relève et va mieux ; du moins le déclare-t-il car il semble inévitable que ce mal psychosomatique puisse frapper de nouveau.


Mais la mission du 506e est loin d’être finie : elle doit défendre les abords de la ville de la contre-offensive allemande. Speirs rameute la Dogue Company, qui s’exécutent rapidement : car les « exploits » du lieutenant - aussi bien la fusillade des prisonniers que la prise du canon - ont rapidement fait le tour de la division, déformés et amplifiés comme il se doit. Néanmoins, l’avantage est qu’il possède maintenant le respect de ses troupes, ce qui n’est pas négligeable.
Tout le monde se déplace donc dans le bocage normand pour avancer la ligne de combat quand des tirs résonnent. La 506e s’enterre et fait front. On échange des tirs. La nuit arrive, et avec elle son lot d’angoisse.
Blithe recommence à avoir très peur et le spectateur craint que sa cécité refasse surface. Son lieutenant tente de lui remonter le moral en lui disant que tout cela n’est qu’un jeu ; mais il ne semble pas en possession de tout ses moyens, et sa remarque fait plus peur qu’autre chose, d’autant que pour confirmation, on le voit un peu plus tard dire à Winters, au sujet de sa blessure au pied : « ça fait mais c’est parce que c’est la guerre ». On peut légitimement penser que la santé mentale de cet homme a été affectée par les combats. Et pour arranger le tout, un soldat étripe par erreur à la baïonnette son équipier - qui s’en sortira finalement.
Et le malheureux Blithe, qui allait aux renseignements, tombe sur Speirs. Rencontre qui lui glace le sang. Pourtant, c’est à se dernier qu’il choisit de confier ses peurs, d’expliquer qu’il a jusqu’à présent refusé de combattre ; il choisit celui qui a le moins de compassion pour la vie des autres car sans doutes pense-t-il qu’il pourra lui transmettre quelque chose qui le sortira de sa catatonie au moment du combat. Cela permet à son interlocuteur de sortir le discours qui résume à la perfection le dilemme dont le soldat au front est la proie :

« Ils ne voient pas à quel point c’est simple (...) On a tous la trouille. Vous vous êtes cachés parce que vous pensez qu’il y a encore de l’espoir. Mais Blithe, le seul espoir possible est d’accepter le fait que vous êtes déjà mort. Plus tôt vous l’accepterez, plus tôt vous pourrez fonctionner comme un soldat est sensé fonctionner : sans merci, sans compassion, sans remords... Toute la guerre en dépend. » (Ronald Speirs)




Au matin, alors que les américains prépare leur offensive, ce sont les Allemands qui engagent les hostilités. Le discours de Speirs n’a apparemment pas eu l’effet escompté sur Blithe qui commence à devenir fou ; et c’est encore une fois Winters qui vient le motive. Mais les troupes sont obligées de battre en retrait sous le regard étonné de l’incompétent major sensé les commander : les divisions blindés allemandes approchent. On tente de les arrêter au lance-roquettes - mais se mettre est découvert pour viser les chars demande beaucoup de courage et certainement une dose folie - et de repousser les troupes pédestres par un feu nourri. La 506e est débordée et ne doit dès lors son salut qu’à l’arrivée pour le moins opportune de la 2e Divion Blindé US.
Et là, le comportement des soldats virent complètement et en devient même déroutant. Ils sont joyeux, sans doutes d’être vivants, mais aussi enthousiasmés par ce qu’ils font, et leur attitude fait dès lors plus penser à des enfants qui comprennent qu’ils vont gagner la partie qu’à des hommes en train de tuer d’autres homme. Finalement, la guerre ne serait-elle qu’un jeu ?
Blithe, lui, a retrouvé des forces. Il tire même sur un Allemand. Mais il ne peut s’empêcher d’aller voir son corps, peut-être pour exorciser ses démons. Mais comme beaucoup de soldats avant lui, et particulièrement celui qui collectionne les montres, Blithe prélève un trophée : l’edelweiss que le soldat mort porte à sa veste.


Douze jours plus tard, Albert Blithe se porte en éclaireur lors d’une mission. Il est grièvement blessé et mourra de ses blessures à l’hôpital.

La Easy a regagnée l’Angleterre et un camp avec tout le confort. Les soldats sont joyeux, mais restent relativement sobres, conscient sans doutes de ce à quoi ils ont échappé.
Pourtant, la mauvaise nouvelle tombe : ils doivent repartir en France et définitivement cette fois.

L’épisode se termine, comme il se doit, par une note dramatique. Malarkey va à la blanchisserie récupérer son linge. La jeune femme lui demande s’il ne veut pas prendre aussi ceux de ses camarades : les noms qu’elle énumère alors sont ceux de soldats morts au front...


Encore une fois, très bon épisode. La peur du soldat, quel qu’il soit, quel que soit le conflit, est remarquablement mise en avant.
Le discours de Speirs lui permet d’atteindre la note maximale.