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2.01 - The Beginning and the End

Le Fond de l’Abysse

Le Début et la Fin

vendredi 22 août 2003, par BuBu, LordOfNoyze

Frank recherche le kidnappeur de sa femme. Ce qui va l’entraîner dans les noirs abîmes de l’âme humaine...

Pour débuter cette nouvelle saison, Morgan et Wong choisissent de ne pas reprendre à l’endroit exact où nous avions laissé Frank, colombe en papier à la main. S’opère un léger retour en arrière afin de nous montrer la dernière scène du final de la saison 1 de façon plus complète et ensuite embrayer.

Cet épisode est en fait la conclusion de la première saison et la seconde ne commence réellement qu’au deuxième épisode Chien Méchant (2.02). Certains prétendent que notre duo a expédié le cliffhanger pour ensuite commencer la saison, sa saison, qui donne une nouvelle direction à la série.
Pourtant, si l’on s’arrête sur cette histoire, on ne peut que se rendre compte que non seulement elle conclue à merveille la S1 mais quand plus, elle est indispensable à la S2. Ce qui arrivera à Frank par la suite est la conséquence de ce qui se passe ici. Les évènements futurs ont d’autant plus d’intérêt que Frank, justement, se demande s’il est arrivé au bout du chemin ou si ce n’en est que le commencement.


Il ressort de cet épisode que l’on voit assez peu le Groupe. Pourtant, son ombre inquiétante plane sans cesse au-dessus des protagonistes. De petites phrases, par-ci par-là tendent à penser que MillenniuM, s’il ne dirige pas les évènements, est parfaitement conscient de ce qu’il en retourne. Il ne semble pas surpris par ce qui arrive ; il en serait même presque content, comme le sous-entend le Elder à l’attention de Peter.

Le tueur connaît Frank par cœur. La mise en scène est à ce titre très bien faite, avec une voix-over sur les images quasi-muettes de Frank en train d’enquêter.
On peut alors se demander comment il peut savoir tant de choses à son sujet. Le fait que le Polaroids Man soit connu de Groupe laisse à penser qu’il en a fait parti et qu’il a eu accès à des archives. Il connaît Frank parce qu’il l’a étudié. C’est aussi la raison pour laquelle il le suit depuis plusieurs années, l’inondant de photos de sa famille.
Question subsidiaire : MillenniuM est-il dans le coup ? Le Groupe a de grandes ambitions pour Frank et le Polaroids Man veut mettre un terme à tout cela. De la façon dont ils parlent, on a l’impression qu’il a déjà eu à subir des épreuves de la part du Groupe, mais qu’il a échoué. Mais pourquoi dit-il que le Don de Frank est inutile dans son cas ? Beaucoup de mystère entoure ce personnage et surtout son passé.

D’ailleurs, Frank est d’emblée en opposition avec MillenniuM, lui reprochant de ne pas lui avoir livré d’information, sciemment. Pourquoi, si ce n’est pour préparer quelque chose ?
Peter tente de s’attirer la sympathie de son ami, qui est déboussolé. Il lui parle de sa famille, de Dieu, de son impossibilité d’avoir un garçon. Non seulement, en parlant de son vécu, il tente de convaincre Frank qu’il agit pour le bien de celui-ci, car il est « un élément exceptionnel ».
Il parle aussi d’une ancienne affaire, qui a bouleversé sa vie. Ce jour où, agent du FBI, il enquêta sur la disparition et la mort d’un nourrisson ; ce même en enfant qui fut retrouvé dans une glacière de camping, sur la berge d’une rivière. Un horreur que l’on perçoit dans ses paroles. Mais surtout, sans trop en dévoiler, cette affaires va refaire surface bien plus tard dans Le Quatrième Cavalier (2.22) où l’horreur, sans jamais être montrée, sera pourtant bien plus palpable. Un élément important de la mythologie donc, qui explique en partie le fait que Peter ait intégré le Groupe. Et qui me persuade un peu plus que tout est prévu de la part des scénaristes. Le hasard n’a pas sa place ici.

Les derniers mots de Peter - lorsqu’on le revoit à la fin, il ne parle pas - sont éloquents.
« Il va y avoir des bavures que MillenniuM ne pourra expliquer ». Comment ne pas comprendre que le Groupe sait ce qui va se passer ? comment ne pas saisir qu’il tire les ficelles en coulisses ? Peter sait. Donc le Groupe en sait au moins autant que lieu. Quel est son but ?
« Explore sa personnalité, pas son âme ». Un avertissement. Ni plus, ni moins. Peter tente de prévenir Frank, de le protéger.


Je pense en vérité que MillenniuM pousse Frank à sombrer du coté de Legion. Maintenant, Frank connaît le Mal plus qu’il ne l’a jamais connu, car il l’a laissé l’envahir. Et ne dit-on pas que pour combattre son ennemi, il faut le connaître ?
Ce faisant, il va de surcroît se rapprocher du Groupe, seule entité à pouvoir le sortir du gouffre dans lequel il a sombré et réaliser l’être exceptionnel qu’il est visiblement. S’il s’en sort - car rien n’est moins sûr pour le moment - il aura alors approché le Mal plus près que quiconque, il l’aura touché du doigt.
Comme nous le verrons un peu plus tard dans la saison, un certain Crocell s’en est approché aussi, sans aller aussi loin que Frank, et il n’en est pas sorti indemne.



Qu’est-ce qui fait que cet épisode sort du lot ? Qu’a-t-il en lui de plus ?
Pour comprendre pleinement les enjeux de ce qui se trame dans cette histoire, il est à mon avis indispensable de connaître quelques bases du profiling tel qu’il existe réellement.

Robert Ressler, ancien agent du FBI, est l’un des pionniers de ces nouvelles méthodes d’enquêtes et de la traque des tueurs en série - avec John Douglas et Robert Hazelwood notamment. Au-delà de ses expériences professionnelles, il nous livre aussi un avis éclairé sur son métier et sur les risques non négligeables qu’il comporte.
En effet, contrairement à une idée très répandu, sans doutes à cause du cinéma et de la télévision, les profilers du FBI ne vont quasiment jamais sur le terrain. Mis à part le fait que, en général, on fait appelle au FBI lorsque la piste est froide, tout le travail s’effectue sur la base de photos de scènes de crimes, de rapports, de témoignages, analysés dans les sous-sols de Quantico - ce n’est aujourd’hui plus le cas, les profilers disposant désormais de vrais locaux avec fenêtres. Et pour Ressler, il s’agit de la base du métier.
Car le but d’un profiler est de rassembler toutes les données concernant les crimes afin de rentrer dans l’esprit du tueur, de se mettre à sa place, de devenir lui. Cela peut sembler surréaliste, mais il s’agit du même fondement de cette technique.
Or, Ressler explique que les risques encourus en se rendant sur le terrain sont plus importants car dans ce cas, le profiler se met un peu plus encore à la place du tueur. Et cela peut avoir de terribles conséquences sur sa santé mentale. A force de voir les horreurs perpétrés et de se mettre dans la peau du criminel sur le lieu même de ses actes, il existe un risque non-négligeage qu’il franchisse la barrière et deviennent lui-même la proie des pulsions qui animent ceux qu’il traque. En clair, le policier se transforme en criminel.
De ce fait, l’équipe en charge des crimes violents du FBI est régulièrement renouvelée afin que les agents ne restent pas trop longtemps au contact de ces atrocités.

Il est intéressant aussi de s’attarder sur le cas de Micki Pistorius, profiler sud-africaine.
Tout d’abord, on peut se demander si Chris Carter ne s’est pas en partie inspirée d’elle pour créer le personnage de Frank Black, car certains de ses « faits d’armes » sont suffisamment étonnants pour se demander si Frank possède vraiment un don. Je ne vais pas m’étendre et je vous laisse découvrir par vous même ce qu’il en est.
Ce qui est intéressant dans son cas, c’est que justement elle se rendait elle-même sur le terrain. Si j’utilise le passé, c’est qu’aujourd’hui, Micki Pistorius a quitté la police. Hantée par toutes les horreurs auxquelles elle avait été confrontée, elle n’en dormait plus et se plaçait constamment dans l’esprit des tueurs passés ou présents. Une situation invivable qui l’a conduite à s’éloigner de sa famille et à finir par démissionner. La pression était devenue trop forte.

Si je parle de tout cela c’est parce qu’à mon sens, Frank a franchi le pas. Il est devenu ce que tout profiler redoute : un tueur.
Cet épisode remet alors en perspective toute la saison qui vient de s’écouler. Frank a été submergé par ses pulsions et a sombré dans le Mal. Ces pulsions de morts qui existent en chacun de nous, qui n’attendent que de s’exprimer - voir les atrocités commises durant une guerre - et qui sont exacerbées chez les criminels en série.


On peut donc presque dire que Nietzsche hante la série :

« Quiconque combat des monstres, doit s’assurer qu’il ne devient pas un monstre lui-même. Car lorsque tu regardes au fond de l’abysse, l’abysse aussi regarde au fond de toi. »






Du point de vue de la série maintenant et de sa mythologie, on ne peut pas dire que l’on soit finalement surpris par ce qui arrive. Entre autres parce que ces évènements ont été annoncés.
En effet, dans Le Juge (1.05), Légion demande à Frank d’œuvrer pour lui. Surtout, il lui précise que l’offre n’a pas de limite dans le temps. Il peut l’accepter dans 1 semaine, 1 mois, 1an...
Et ce que fait Frank, sans s’en rendre compte. En tuant, il laisse parler ses pulsions meurtrières et se place sous l’emprise du Mal, ce Mal dont il est question depuis le début. D’ailleurs, à cet instant, Légion n’a-t-il pas gagné la bataille ? Et cela aussi n’a-t-il pas été annoncé ? Lorsque le Frenchman lance dans le Pilote (1.01) « Vous croyez que vous pourrez L’arrêter ? Rien ni personne ne pourra ! », ne fait-il pas référence à Légion ?


Frank a donc échoué.
Il n’a pas su protéger sa famille, ni repousser l’offre du Mal.

Pour reprendre les termes de Nietzsche, Frank est au fond de l’abysse...




NOTA : à l’heure où j’écris ses lignes, je n’ai pas en ma possession les DVD de la série. Je ne peux donc pas m’appuyer sur le documentaire Chasing the Dragon qui recèle peut-être quelques éléments intéressants concernant le thème développé ici. A voir donc.


Un épisode incontournable, véritable charnière entre les deux saisons.