A l’Ombre des Säls

Quoi de plus normal, pour cette quête initiatique, que de suivre les traces de Frank ?


Cet épisode s’ouvre sur un contraste qui met immédiatement le spectateur en porte-à-faux. Un cadavre qui dévale une pente pour tomber dans un torrent, poursuivant son périple au gré des cascades. Pourtant, il n’y a ici rien de morbide. Car la voix-over qui l’accompagne est heureuse, bien que l’on pense qu’elle provienne de ce corps inerte - de façon symbolique, bien-entendu. La musique, elle, est tout simplement apaisante. L’image est lumineuse. Rien ne pourrait laisser penser qu’un drame est en train de dérouler.
Nouveau contraste, cette fois au nouveau de l’enchaînement des scènes. La luminosité montagnarde est remplacée par l’obscurité d’une sorte de hangar. Frank est emmené par Peter pour une confrontation avec le Conseil du Groupe. Frank se sent pris un piège : on l’attaque au sujet de tout ce qu’il fait et de tout ce qu’il pense. Le Groupe semble lui en vouloir et chercher à l’évincer. En vérité, et comme nous le découvrons à la fin, leurs intentions sont toutes autres : ils cherchent à isoler Frank pour voir comment il va réagir, s’il est prêt à aller jusqu’au bout de ce en quoi il croit, quitte même à défier l’autorité de MillenniuM justement.
Nous retournons alors avec notre corps qui continue son périple dans l’eau. Finalement, c’est avec lui que nous sommes le mieux. En ce sens, on peut presque dire que nous nous rapprochons de Frank, à qui « les morts parlent » comme le dit Peter dans La Main de St. Sébastien (1.08).


Générique.


Alors que la famille Black est réunie au planétarium, Frank fait la connaissance d’amis de Katherine, les Glaser, dont le fils Alex a disparu en Alaska. Pendant qu’il se renseigne, Katherine consulte une voyante qui lui parle d’un conflit entre Neptune et Pluton. On peut immédiatement faire le rapprochement avec leur relation tumultueuse depuis le début de cette S2. Je me garderais par contre de faire un quelconque rapprochement avec ces deux planètes, car il y aurait vite fait de raconter n’importe quoi ; il faut juste savoir que les révolutions des deux astres se croisent, ce qui est unique dans le Système Solaire - plus scientifiquement, Pluton n’est pas vraiment considérée comme une planète, ce qui ôte une partie de l’étrangeté ; mais ce n’est pas le propos ici.
Frank se rend donc en Alaska. Son arrivée coïncide avec le repêchage d’un corps. Pour le shérif, il ne fait aucun doute sur son identité, malgré le visage ravagé, et sur les raisons de la mort - il énumère les méfaits de Alex. Frank, lui, est persuadé du contraire malgré que le cadavre ressemble en tous points à celui de l’aîné des Glaser. Cependant, notre héros est troublé lors de l’autopsie ; il ne regarde pas ce que fait le médecin. Ce qui est d’autant plus étrange car que ce n’est pas sa première, et qu’il semblait protégé de ce genre de choses. Frank aurait-il soudain peur de la mort, lui qui la côtoie sans cesse ?


Pour mener son enquête à bien, il décide d’utiliser la base de donnée de MillenniuM. Mais découvre que son accès a été fermé. Le message est clair : s’il souhaite continuer dans cette voie, il devra le faire seul. Ce dont il ne se doute pas - et le spectateur avec lui - c’est qu’on le surveille et le soutient moralement. Il décide donc de faire appel à la seule personne qui ne l’a jamais lâché : Katherine - car si elle s’est éloignée, c’est par peur de Frank et de ce qu’il pourrait transmettre à Jordan. Grâce à elle, il découvre que Alex Glaser a acheté un télescope d’une valeur de 500$ à un commerçant du village ; il en a fait don à une école de Bering. Frank commence à comprendre que le jeune homme a cherché à se débarrasser de tous ses biens matériels qui le rattachaient à la civilisation. c’est pendant cet échange que le Groupe surgit de nouveau pour couper les liens de Frank. Peter vient chez lui et débranche l’ordinateur malgré les protestations de Katherine qui, selon lui, n’est pas encore prête à l’écouter. Sur ce passage, je me suis dit que la présence de Katherine était gênante car elle empêchait le total isolement de Frank. Et puis, en y réfléchissant bien, elle a un rôle dans cette histoire : elle montre que le couple se resserre alors qu’ils sont très éloignés l’un de l’autre et que l’espoir subsiste.
Frank se retrouve donc dans les même conditions que Glaser : seul et sans autres ressources que lui-même. On accepte de le conduire jusqu’à l’endroit où un pilote a déposé Glaser, mais c’est tout. c’est à ce moment que reprend la voix-over de Alex. Et le spectateur, de comprendre que si ces paroles racontent le périple du jeune homme, elles s’appliquent aussi à Frank. Véritablement, il marche sur ses traces. Et fini par retrouver ses affaires : mais Alex a disparu. En parallèle à son périple, Katherine retrouve Frank qui lui explique qu’il ne peut rien faire, sous-entendu que Frank doit trouver seul le chemin s’il veut que le Groupe l’accepte.
La nuit tombée, le ciel se pare de ses plus beaux atours : des aurores boréales, pareilles à celles de ses visions. Et qui le guident jusqu’à Alex Glaser. Celui-ci est blessé à la jambe et risque de bientôt mourir. Frank n’a alors parcouru que la moitié du chemin : il lui faut maintenant ramener Alex à la civilisation. Il marche le restant de la nuit et le jour suivant, transportant le jeune homme dans un attelage de fortune.
Lorsque l’équipe de secours arrive, elle se prépare à aller chercher deux cadavres. Mais Frank arrive sur pied, portant Alex dans ses bras. Peter se précipite pour l’aider : l’épreuve est terminée et il veut aider son ami comme il n’a pu le faire jusqu’à présent. On le sent nerveux. Pourtant, alors que Frank s’éloigne de l’hydravion, signifiant sa volonté de rester, Watts ne prononce aucune parole et le laisse sur place. En effet, à l’image d’Alex, il n’est plus le même et le plan sur le visage de Lance Henriksen, dans une composition remarquable, nous montre le regard éclairé qui voit plus loin que ce qui l’entoure. Frank ne peut se résoudre à rejoindre tout de suite le monde qui est (était ?) le sien ; il va lui falloir se réadapter.
Une large ellipse nous amène à l’hôpital où Frank vient voir Alex. Celui-ci n’est plus là. Il a choisi de repartir. Mais il a aussi pris soin de laisser son cahier, à l’attention de ses parents mais aussi de Frank qui va pouvoir y trouver par écrit la transformation qui s’est opérée en lui. Frank choisi de leur lire le contenu du cahier, mais les Glaser ne le comprennent pas.
En partant, Katherine remet une enveloppe à Frank de la part de Peter. Et lorsqu’il lit les mots « Tu as réussi le Premier Examen », il n’exprime ni joie ni ranc’ur vis-à-vis du Groupe qui l’a utilisé. Comme il le dit à Katherine, cela n’a aucune d’importance. Désormais, il a accédé à un stade supérieur de conscience et le monde ne lui apparaît plus de la même façon.




Peut-être est-il temps de revenir sur un point un peu obscur : qui était l’homme dont le cadavre a été repêché au début ? Ceci n’est pas explicité dans l’épisode. On peut même dire qu’il est rapidement oublié. Mon explication - qui n’engage que moi - est qu’il s’agit effectivement du corps d’Alex Glaser. Mais comment est-ce possible ?
Eh bien je crois qu’il ne s’agit que d’une métaphore. Alex Glaser s’est éveillé à la sagesse, il est devenu un autre homme - comme cela est dit dans l’épisode. Le corps, que les habitants du coin trouvent et voient, est Glaser ; Frank ne le croit pas car il cherche en fait Alex Ventoux, celui qu’Alex est devenu - mais il ne le comprend qu’en suivant le chemin initié par Glaser. Frank, grâce à son Don, a perçu le changement, et le fait qu’il n’a en face de lui qu’une enveloppe vide. D’ailleurs, le visage d’Alex commence à être rongé lui aussi - au niveau de la lèvre. Glaser n’existe plus ; c’est aussi pourquoi il n’a plus de visage. Et ce qui me conforte dans cette idée, c’est que le légiste répète sans cesse « comme Alex Glaser » pour chaque détail de l’autopsie.
Tout ceci est très symbolique, je vous l’accorde, mais c’est comme cela que je le perçois.


Je suis vraiment désolé de me répéter sans cesse, mais encore une fois, Mark Snow nous sort une bande originale tout simplement magnifique, encore meilleure que ce qu’il avait déjà fait sur la série, ce qui n’est pas peu dire. Elle nous porte réellement, comme le fait l’eau du torrent avec le corps de Glaser : doucement, sans violence...


La mise en scène de Thomas J. Wright réussit donc à mettre le spectateur dans le même état d’esprit que Frank et Alex. De ce fait, beaucoup de choses ne sont pas à raconter mais à vivre.
Il n’y a rien à redire, c’est beau.






Luminary : se dit d’une personne qui connaît une réalisation absolue et brillante d’elle-même ou encore d’un corps céleste dont émane la lumière.
("MillenniuM" de E. de Teyssière, éd. Naturellement)


Säls : nom des arbres jumeaux sous lesquels Siddharta Gautama, dit Bouddha, s’est allongé pour la dernière fois.
A noter qu’en sanskrit, buddha signifie « éveillé ».