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2.02 - Beware The Dog
Grrrr ! Wouf !
Attention, Chiens Méchants
vendredi 29 août 2003, par
Le Groupe Millennium aurait-il pêté un boulon ? Voilà qu’il envoie Frank chasser des dobermans dans la forêt. A moins qu’il y ait autre chose derrière tout ça...
Un revirage à 180°. Alors que le mysticisme contenu du season premiere pouvait encore laisser penser à une anomalie exceptionnelle, "Attention Chiens Méchants" enfonce le clou et représente au mieux l’orientation nouvelle que Glen Morgan et James Wong font prendre à la série. Ce n’est donc plus de tueurs en série qu’il s’agit, mais d’une bande de carnivores canins bien complaisante à dévorer les touristes de la région. Cette trame ludique a fait sourire a priori tous les fans de la première heure, et pour cause aucun d’entre eux ne savaient alors où les deux nouveaux producteurs exécutifs comptaient en venir. La Saison 2 démarrait sans aucun ménagement pour le téléspectateur, les deux auteurs encore frustrés par l’échec de "Space : Above And Beyond".
Pourquoi diable le Groupe MillenniuM envoyait-il Frank Black, profiler de son état, dans la bourgade abandonnée de Bucksnort, sachant très bien que les victimes avaient été achevées non pas par des hommes mais par des chiens ? Peter Watts n’offrira pas davantage d’informations à celui qu’il envoie directement à la rencontre du Vieil Homme. Ce vieux barbu, situé entre le griot et le bûcheron, n’inspire pas confiance au téléspectateur : au départ, il semble même contrôler les chiens meurtriers. En fait il ne fait que les dominer, et semble suivre la progression de Frank. Dans cette commune de montagne isolée où chacun considère Frank comme étant le nouveau shériff venu les délivrer de ces meutes de dobermans, tout le monde ferme les porte à clef à la tombée de la nuit. Michael Beebe, qui a quitté la violence de Los Angeles pour s’installer ici récemment, confie à Frank qu’il ne pensait pas laisser derrière lui la violence des hommes pour la remplacer par une phobie canine. A ce stade de l’épisode, tout est dit pour comprendre l’histoire atypique qu’il nous déroule.
Parcourant la forêt adjacente, Frank trouvera le sigle du Groupe Millennium gravé sur des pierres entourant une rustique maison en bois. A l’intérieur, en rupture méditative avec le monde, le Vieil Homme agence les vérités les unes après les autres : chef spirituel du Groupe Millennium, il a pour fonction première d’initier les candidats potentiels aux réalités inconnues du cosmos. Frank subit un test et comprend qu’aucun chien ne mordra tant qu’on lui fera face, car c’est la peur qui attire les cerbères du Mal. Michael Beebe a transporté le Mal de Los Angeles jusqu’à Bucksnort, en ne parvenant pas à se débarasser de sa crainte d’être agressé, de sa crainte de mourir : en fuyant plutot qu’en restant droit, le nouveau venu a créé un déséquilibre local entre le Bien et le Mal, l’un n’existant pas sans l’autre et l’un étant nécessaire à l’autre. Et le Vieil Homme de résumer le tout par ce leitmotiv que ne connaît que trop bien Frank : il faut se faire respecter du Mal. Et Frank finit par faire battre en retraite le chien tueur qui le scrute. Cette longue scène, cruciale, trouvera des répercussions durant toute la saison, et est parcourue de discussions autour de l’Ouroboros typiquement écrites dans le but de faire taire cette question récurrente des journalistes : c’est quoi ce serpent qui se mord la queue ?
Dans la maison neuve de Michael Beebe, qui mêle l’aspect campagnard pépère de Bucksnort et la technologie pointue de la mégalopolistique Los Angeles, Frank tente de persuader son occupant de quitter la région sous peine d’être la prochaine victime du meilleur ami de l’Homme. Bien évidemment, son interlocuteur ne croit pas une seule seconde à toutes ces histoires et fait amplement confiance au système de sécurité dont est dotée son habitat adoré. Mais l’attaque soudaine des chiens contraint les deux hommes à user d’un fusil pour se défendre. En vain, puisque chaque animal abattu est remplacé par un semblable dans la seconde qui suit, sorti de nulle part : on n’arrête pas le Mal avec des rafales de douilles. Intervient alors le Vieil Homme, torche en main, et qui brûle la maison interdite, celle-là même responsable du déséquilibre cosmique répandant la mort dans la contrée. Automatiquement, les chiens quittent Bucksnort et s’évaporent dans la nature. De son côté, Frank comprend que Peter et le Groupe Millennium passent au stade suivant le concernant : après lui avoir fait combattre le résultat physique du Mal, les assassins en série, ils l’amènent maintenant à considérer le Mal en lui-même comme entité pouvant interagir directement. Mais plus encore, jusque là consultant, Frank est intronisé à son insu comme membre potentiel du Groupe Millennium, qui n’est plus du tout le simple organisme d’enquête criminelle jadis revendiqué, mais bel et bien un rassemblement d’hommes ayant un but et un message à l’échelle internationale. L’initiation de Frank débute.
Allen Coulter signe une réalisation anecdotique, pour un épisode qui ne l’est pas une seule seconde. La petite ville abandonnée près des bois et ses habitants originaux évoquent discrètement "Twin Peaks", et l’entrée de Frank dans la cabane vide du Vieil Homme un RPG antique. Après s’être débarassé du cliffhanger Saison 1 dans l’épisode précédent, Glen Morgan et James Wong partent à fond les bananes dans leur trip : vous vouliez que MillenniuM soit moins sombre ? On multiplie les gags lourds et clichés, avec des habitants analphabètes et un Michael Beebe super artificiel. Vous vouliez que MillenniuM soit moins serial killer of the week ? On met des clébards dans le rôle des assassins. Vous vouliez plus de potentiel commercial ? On place le logo de la série Ouroboros jusque dans les épisodes, et en prime on disserte dessus. Vous vouliez des scenarii moins linéaires ? Dans "Attention, Chiens Méchants", il n’y a même pas de vrai scenario : Frank marche un peu au hasard et finit par tomber sur le Vieil Homme. Tout l’épisode n’est que le prétexte à ce que ces deux là se confrontent, ou non pardon plutôt : que l’un des deux écoute l’autre. Géniale, leur confrontation ni rivale ni amicale semble tout droit sortie d’un autre temps. Mais le contenant anachronique révèle un contenu des plus intemporels : est-ce la violence qui créé la peur ou bien la peur qui génère la violence ? Fermerez-vous vos fenêtres à double tour lorsque la nuit tombera et que les chiens erreront dans vos rues ?
Terrifiant et fascinant, encore et toujours MillenniuM.
Un épisode difficile et qui nécessite un second visionnage pour être complètement assimilé. Il comporte parmi les répliques les plus cultes de la série et se révèle par la suite tout à fait capital pour la saison. Avec une réalisation banale et un scenario correct mais très peu scenaristique, ce sont essentiellement les dialogues de "Attention, Chiens Méchants" qui marquent l’esprit au fer rouge. D’une rare profondeur, ils représentent au mieux cette année de grande télévision qui s’amorce.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires