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1.08 - Out of Gas

Quand Mal rencontre Serenity

La Panne

lundi 17 octobre 2005, par Black Widow

Des passagers perdus au milieu de nulle part, un problème principal à régler, des flashbacks venant éclaircir la situation présente...non non, vous ne vous êtes pas trompés de série, vous êtes bien devant le plus bel épisode de Firefly !

Difficile de résumer Out of Gas, que l’on doit à la talentueuse plume de Tim Minear, tant sa construction est complexe. Alors je vais tâcher de replacer les points principaux de l’histoire dans un minimum d’ordre.

RAPPEL

5 ans auparavant
Le Sergent Malcolm Reynolds, fraîchement ressorti de la plus grande guerre que l’espace ait jamais connu, s’achète un joli vaisseau cargo qu’il baptise Serenity. Ravi comme un gosse à qui on vient d’offrir une panoplie du Parfait Petit Incendiaire, il fait faire le tour des lieux à son amie Zoe, loin d’être aussi enthousiaste à l’idée de devoir gagner sa vie grâce à un tas de boue qui présente tous les atouts pour signer leur arrêt de mort. Qui plus est, la tête du pilote ne lui revient pas (ça doit être la moustache...). Mal a aussi engagé un mécano hors pair, qu’il ne tarde pas à remplacer par une fille avec un réel talent et qui aime Serenity presque autant que lui. Un mercenaire un peu stupide mais efficace se joint vite à eux. Il ne reste plus qu’à louer une des navettes à une Compagne, histoire de pouvoir s’ouvrir quelques portes vers des coins intéressants, et l’équipage du tout nouveau Capitaine est prêt à travailler.

Maintenant
Mal est à terre, grièvement blessé et seul à bord de Serenity. Il tente désespérément de remettre en place un objet dans la salle des machines. Il gèle, l’alarme est déclenchée et un message ne cesse d’annoncer qu’il n’y a plus d’oxygène à bord. Les souvenirs liés à Serenity et les évènements ayant conduit à la mort prochaine de celle-ci (ainsi que la sienne) se bousculent dans la tête du Capitaine.

Quelques heures plus tôt
Alors que l’équipage fête joyeusement l’anniversaire de Simon, une énorme explosion survient dans la salle des machines, blessant gravement Zoe sur son passage. Tandis que Simon la soigne, les autres s’occupent des dégâts causés. Serenity ne bouge plus, qui plus est le catalyseur permettant de faire fonctionner le brassage d’air est irréparable. S’ils n’en trouvent pas un autre d’ici quelques heures, ils mourront tous d’asphyxie. Hors des radars de l’Alliance, éloignés de tout et de tous, personne ne répond à leur signal de détresse. Ils décident par conséquent de partir à bord des deux navettes en espérant trouver une planète assez proche. Mais Mal refuse de quitter Serenity, préférant attendre au cas où leur signal serait entendu. Lorsque c’est le cas, il tombe inévitablement sur une bande de mercenaires (seuls à s’aventurer vers les territoires éloignés), qui lui tirent dessus durant la transaction. Après les avoir chassés, Mal prend le précieux appareil...et s’écroule.

Maintenant (bis)
Le temps presse et Mal est sur le point de sombrer en même temps que son vaisseau. Pour tenir le coup, il va jusqu’à l’infirmerie s’injecter de l’adrénaline directement dans le cœur, tel qu’il avait vu Simon le faire précédemment à Zoe. Puis il continue vers la salle des machines, où il remet le catalyseur en place. Une grande bouffée d’air frais vient frapper son visage soulagé, avant qu’il ne tombe inconscient sans avoir eu le temps de rappeler ses compagnons. A son réveil dans l’infirmerie, ils sont tous revenus (sous les ordres de Zoe) et l’entourent d’affection. Il peut se rendormir tranquille, en ayant la certitude qu’ils seront toujours là à son réveil, à bord de la flamboyante Serenity.

CRITIQUE

L’intro donne le ton : Mal est à terre sans que l’on sache pourquoi, puis un flashback nous renvoit au jour où il fit découvrir pour la première fois Serenity à Zoe, avant de nous faire comprendre que Mal est en fait blessé. En moins de 5 minutes l’intérêt est là, les questions se bousculant dans la tête du spectateur. Et le jeu sur la temporalité a déjà commencé : les lointains flashbacks, les évènements ayant conduit à ce résultat (que s’est-il passé ?), et ce qui va en découdre (que va-t-il arriver maintenant ?).

Valse en trois temps
Afin d’assimiler plus facilement l’époque dans laquelle se trouve une scène et de faciliter le passage de l’une à l’autre, le réalisateur David Solomon (connu pour son remarquable boulot sur Buffy) a opté pour trois visuels bien distincts :
- des tons très bleus, beaucoup de sombre et une impression de brouillard pour le présent, avec Mal blessé et seul dans le vaisseau.
- la photographie habituelle pour les scènes précédant la blessure de Mal.
- des tons verts, une forte lumière jaune et un aspect brumeux pour les flashbacks les plus éloignés dans le temps.
Le montage est compliqué mais reste totalement cohérent et l’histoire facile à suivre, en particulier grâce aux partis pris visuels. Scénaristiquement c’est un sacré tour de force, d’autant que cela suit une véritable logique tout en renforçant le suspense, alternant les moments de tension et de calme. Malgré le grand nombre d’informations fournies au fur et à mesure, on ne cesse de se poser des questions, qui ne trouveront la totalité de leurs réponses que durant les dernières minutes de l’épisode. La tension et l’émotion montent, et les enchaînements sont calculés dans les moindres détails. A titre d’exemple, lorsque Zoe regarde en bas et demande « C’est quoi ça ? », elle désigne l’endroit exact où se trouve Mal blessé quelques heures plus tard. C’est par ce genre de détails que le montage reste fluide, tout en créant des effets de seconde lecture (une prémonition dans ce cas précis). La mise en scène met également une fois de plus en avant le contraste entre la vie à l’intérieur du vaisseau (explosion, panique) et le vide sidéral à l’extérieur (silence dans l’espace) à travers la trajectoire du feu de l’explosion vers la sortie. Ainsi la situation de Serenity, perdue au milieu de nulle part, est rappelée au spectateur avant que cette solitude n’ait un enjeu dramatique. Tout comme la fonction de chaque personnage est nommée (pasteur, Compagne, fugitif, mari, etc) durant un dîner, remettant rapidement en mémoire qui ils sont avant de raconter comment ils en sont arrivés là. Cette scène joyeuse où Mal est entouré de ses amis autour d’un repas, image parfaite du bonheur familial, fait subitement suite au plan d’un Mal agonisant seul. En voyant cela il m’a été difficile de ne pas penser à l’enchaînement similaire dans l’épisode The Body de la saison 5 de Buffy, où une découverte dramatique se trouve coupée par un flashback identique. Deux scènes totalement opposées sont donc mises côté à côte afin de créer un effet de contraste plus marqué, rappelant de manière brutale ce qui n’existe plus.
Ajoutons à tout cela que la musique est mélancolique à souhait et que le travail sur la lumière n’a jamais été aussi beau. Solomon a eu peu de temps de préparation pour cet épisode à cause d’un script arrivé assez tard, et cela ne l’a pas empêché de faire un travail remarquable. Décidément je ne cesse d’admirer le travail des gens de la télévision qui font aussi bien en une semaine, voir mieux, ce qu’au cinéma ils mettent trois mois à mettre en boîte. Pardon pour la digression, mais ils méritent qu’on les félicite de temps en temps.

“Ship like this, be with you ’til the day you die.” - Mal (“Un vaisseau pareil reste avec toi jusqu’à ta mort”)
Le trajet que suit Mal blessé est monté en parallèle avec les évènements ayant amené à cette situation, en ajoutant des flashbacks plus lointains sur l’arrivée de chacun. Le trajet à l’intérieur de Serenity est le même. Chaque geste déterminant effectué par Mal a été appris auparavant. Au final, c’est comme si le vaisseau lui-même le guidait, réparant l’erreur de l’explosion en l’amenant où il faut pour pouvoir l’y ramener par la suite quand cela sera nécessaire. Ainsi l’accident de Zoe aura permis à Mal de voir comment Simon se sert de la seringue d’adrénaline, ce qui lui servira à un moment critique. Si Zoe n’avait pas été blessée par l’explosion, Mal ne s’en serait peut-être pas sortit vivant et Serenity aurait sombré dans l’espace à jamais. Mal sauve Serenity, et celle-ci lui rend la pareille. Le pistolet qui se trouve pile au bon endroit lorsque Mal se fait tirer dessus peut paraître bien commode, mais est tout à fait logique si l’on reste dans l’optique du vaisseau ange gardien. Prête à être arrachée à Mal, elle lui offre le cadeau qui les libérera tous les deux. Out of Gas conte simplement l’histoire d’amour entre un capitaine et son vaisseau. Elle est sa vie, sa liberté, ses derniers rêves et espoirs. Sans elle, il ne peut pas continuer à voler, ce qui signifie à vivre (au sens alimentaire comme symbolique). Mal affirme que nous mourrons tous dans la solitude, mais décide pourtant de mourir avec elle. Difficile de ne pas remarquer, dans le premier plan, que sa position et son léger sourire oscillent clairement vers la caresse. Cet engin est l’amour de sa vie et il le choisira même face à Inara. Si certains doutaient encore du fait que Serenity est un véritable personnage, alors cet épisode ne peut qu’achever de les convaincre. Comment pourrait-on être si touchés par sa lente agonie si elle n’en était pas un à part entière ? Bien sûr nous vivons beaucoup cet amour à travers celui que lui porte Mal, mais depuis huit épisodes nous avons aussi appris à aimer cette carcasse volante, connaissant chaque recoin de ce foyer pour nos héros. La vision de ses compartiments vides est déprimante, comme si la vie s’échappait d’elle (Kaylee ne dit-elle pas qu’elle lui parle ?). Comme le fait remarquer Simon, son nom prend tout à coup une sonorité funèbre. Alors oui, elle est vieille, lente, et ses rhumatismes ont bien failli coûter la vie de quelqu’un. Mais elle est toujours là, accomplissant parfois de petits miracles, et servant de refuge à ses passagers autant que de clé vers leur liberté. En définitive, Minear nous livre là le plus bel hommage à l’emblème de la série, concluant son histoire sur le regard de Mal emplit d’amour à la première vision du firefly. Et Nathan Fillion démontre une fois de plus qu’il a tout d’une grande star, tenant à bout de bras la quasi-totalité de l’épisode.

Premiers pas
L’agonie de Serenity est l’occasion de revenir sur la construction de cette famille improbable. A l’article de la mort, les souvenirs de sa naissance refont surface. Car si Mal l’a adoptée puis baptisée, le reste de l’équipage a également apporté sa contribution à « l’accouchement ». C’est Kaylee qui l’a remise en état et Wash qui lui a fait faire ses premiers pas dans l’espace. L’arrivée de chacun à son bord nous est racontée, à l’exception de celle des Tam et Book, vue dans le Pilote. Zoe est arrivée tout naturellement, restant proche de Mal après la guerre. De tels liens sont difficiles à défaire. Sa rencontre avec son futur mari est, elle, plutôt comique et tranche nettement avec la tension de la scène précédente. Wash, petit rigolo moustachu en chemise hawaïenne, est l’exact opposé de la sérieuse militaire Zoe. A les voir, qui pourrait s’imaginer que ces deux là tomberaient éperdument amoureux ? Pourtant les choses ont bien changé, et la dévotion de Wash envers sa femme mourante n’a rien de drôle. Il n’a même peut-être jamais été aussi sérieux que lorsqu’il refuse d’obéir à Mal.
Le génie de la mécanique dont parle Mal n’est pas Kaylee, à notre grande surprise, mais un homme. Mal avait d’abord engagé ce mec aux allures de surfeur californien, dont l’intelligence n’a d’égale que la blondeur de ses racines. Je n’ai pas retenu son nom, alors on va l’appeler Ken. Donc Ken n’a eu qu’une seule brillante idée de toute sa vie : amener notre miss adorée à bord de Serenity et ainsi lui offrir la chance de sa vie. Idée qui n’était d’ailleurs probablement pas la sienne mais celle de Kaylee, avide de découvrir un vaisseau de l’intérieur. On se doute qu’elle sort avec lui parce qu’il est mécanicien et non pour sa brillante personnalité, lui qui est la parfaite antithèse de Simon. D’ailleurs, en plein ébats avec lui, elle en profite pour repérer l’état du moteur de Serenity, c’est dire où son intérêt est porté. Il faut dire qu’elle a tout de la pauvre fille qui s’ennuie, scotchée sur sa petite planète, et rêve de voir des vaisseaux, rencontrer plein de gens, voir le reste de l’univers en somme. On y reconnaît là son côté très sociable et ouvert aux autres.
Quant à Inara, elle se présente pour la première fois à Mal masquée. C’est uniquement une fois à bord de sa (future) navette qu’elle enlève son masque. Ce simple détail en dit long sur elle et confirme ce qu’elle disait de manière plus ou moins explicite dans Shindig : son véritable foyer est ici. Il n’y a que depuis qu’elle est à bord de Serenity qu’elle se révèle réellement, elle dont le métier (et la vie entière) n’est fait que d’apparences. Mal se demande, à juste titre, pourquoi une femme de haut rang comme elle s’embarque sur un vaisseau cargo aux activités plutôt illégales. D’autant que les convictions de l’équipage sont aux antipodes des siennes (Inara a voté pour l’Unification. Ce détail, loin d’être insignifiant, rendait ses rapports avec Mal difficiles dès le départ). Fuit-elle quelque chose ou a-t-elle un but précis ? Aucune réponse ne nous est fournie quant à la vie d’Inara avant son arrivée sur le vaisseau, mais il paraît évident que sa vie est radicalement différente depuis. Et c’est le cas pour chaque passager. Rappelons-nous que la première apparition de River s’est faite sur le vaisseau, nue et dans une position fœtale. Il n’est pas difficile d’y voir là le symbole d’une renaissance pour ce personnage, tout autant que la naissance de cette famille ainsi que de la série en elle-même. Depuis, ils ont tous évolué en temps que personne mais aussi dans leurs rapports entre eux. Serenity a définitivement changé leur vie.


Pour finir sur une jolie note, voici une petite histoire rapportée par Tim Minear : Joss Whedon fit tout un foin pour qu’au montage il y ait un insert du gros bouton rouge sur lequel Mal doit appuyer en cas de réponse au signal de détresse. Après l’annulation de la série, il demanda à ce qu’on lui livre ce fameux bouton rouge dans son bureau. Il le reçu avec ce petit mot : « Quand ton miracle arrivera, appuie sur ce bouton. » Ce qu’il ne manqua certainement pas de faire quand il eu le feu vert pour tourner le film Serenity...


Voici 42 minutes de pure merveille, centrées sur LA grande histoire d’amour de la série : celle d’un ancien combattant pour un superbe tas de ferraille. C’est absolument magistral, l’émotion est forte, la tension à son comble, la construction complexe et l’ensemble totalement maîtrisé d’un bout à l’autre. Jaynestown a beau être mon coup de cœur, Out of Gas est incontestablement l’épisode que je considère le meilleur. Une réussite grandiose !