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4.13 - Whitecaps

Un petit coin au bord du paradis...

Le bateau fantôme

vendredi 15 août 2003, par LordOfNoyze

Ce dernier épisode de la saison 4 des "Soprano" fera date dans l’histoire des séries télé elles-mêmes, un peu comme "Phase One" de "Alias", ou quelques épisodes de "24", "Buffy" ou "Farscape". En effet, c’est la fin d’une ère, et même des repères narratifs principaux de la série, pour lancer la famille Soprano dans une tout autre direction dont David Chase ne nous laisse percevoir que peu. Alors, il est vrai que le terrain avait bien été préparé pour la deuxième moitié de saison, et au final, ça nous donne un mélange bizarre entre une partie de Monopoly et une partie de poker menteur pour Tony et Carmela.

Tout commence avec la tentative ultime de sauver le couple de Tony et Carmela, avec l’acquisition d’une luxurieuse villa prénommée Whitecaps par Tony. Cette villa, définition ultime du retirement des affaires de Tony, mais aussi son désir suprême, puisque c’est l’aboutissement d’une carrière de crapule sans accrocs (puisque pour beaucoup de mafieux, le crime ne paie pas...). Elle est aussi financée par le dernier gros coup de Tony : buter ni plus ni moins que l’un des cinq parrains du New Jersey, Carmine, aidé en cela par Christopher sorti de sa cure de désintoxication, et secondé par Johnny Sack, qui voudrait bien se débarrasser de la hiérarchie de Carmine fils et père. Et cela se passera si les négociations ne tournent pas à l’avantage de la clique Soprano, pour l’arnaque de l’esplanade dont il a été question depuis la saison dernière.

Dès les 15 premières minutes on pourrait croire que tout va marcher comme sur des roulettes et que Tony va enfin retrouver l’amour de sa femme et sa foi en la Famille qu’il avait un peu perdue depuis le meurtre de Ralphie et le départ de Furio, à l’abri du FBI qui continue à soutirer des informations de Adriana.

Mais à la 20e minute tout se gâte à cause d’un (en fait, deux) appel téléphonique d’une prostituée russe, travaillant pour le compte de l’unijambiste qui avait causé tant de problèmes à Janice, qui va signer le point de non-retour du destin du couple Soprano : la chute. Et cela se passe lors d’une scène incroyable et interminable, dans laquelle Carmela affronte son mari au regard perçant pour lui reprocher toutes ses aventures passagères et assumer l’argent piqué dans la mangeoire. Tony, battu, va se réfugier à "Whitecaps" mais la maison n’étant qu’en cours d’acquisition il sera enjoint de la quitter par l’agent immobillier Alan Saprisky. Un Alan qui va vite se révéler plus que méfiant, après l’intention de Tony de céder la maison et de tenter de sauver son couple. Et en guise de dernière claque dans la gueule, Tony met en hiatus son projet de meurtre pour une ultime négociation avec Carmine.

La deuxième moitié de l’épisode, ce sera donc ça : une guerre des tranchées, avec un Tony plus que jamais silencieux, et une deuxième confrontation avec Carmela où il va casser un mur lorsqu’il apprendra la passion de Carmela pour son lieutenant. Carmela a le soutien de Meadow, tandis que Anthony Junior essaie de récupérer le home cinéma paternel. Chacun sort donc ses cartes, comme au poker menteur, avec un net avantage pour Carmela. Tony va ainsi se révéler un véritable intrus (la scène de la piscine) là où on le pensait reprendre le contrôle de sa famille, son pathétique "C’est chez moi ici" ne fera que sauver les apparences.

Et puis finalement, la fin de l’épisode va nous montrer un Tony plus humain, puisqu’il renoncera à abattre Carmine, Christopher récupérant l’argent pour dissuader les gangsters blacks de manière très crue (fusillade, puis fuite...là encore de l’inspiration "Mean Streets" plein pot). Mais finalement, il ne renoncera pas à ses gosses, puisque "il vous rendra visite quelques fois par semaine" dixit Carmela, avec une moue résignée, ni à Whitecaps puisqu’il fera un chantage à son voisin...Alan Saprisky en mettant du Dean Martin de son yacht en pleine nuit, alors qu’il vient de quitter sa propre résidence. Cette scène finale, d’une banalité très crue, apporte un point final à la 4e saison des mieux lotis. D’ailleurs, encore plus étrange, cette 4e saison ne verra pas partir de Pussy Galore ou un meurtre sanglant : Soprano décide pour une fois, d’arrêter l’hécatombe et de ne pas abattre un obstacle de plus pour conserver sa mainmise sur le New Jersey.

A côté de ces scènes fracassantes, le reste n’a que peu d’importance : la relation entre Janice et Bobby Caldalla, l’acquittement d’Oncle Junior grâce à la partialité d’un des membres du jury, franchement embarrassant ; et la position à la Sydney Bristow d’Adriana, qui ne peut pas révéler ses activités d’indic à Chris alors que c’est l’être auquel elle tient le plus au monde. Tous deux ont droit à leur scène, logique, indicative, mais elles n’ont pas leur place dans un finale porté sur la déchéance d’une famille.


Compléments de Mad Dog :
1) Le divorce Tony-Carmela :
J’ai été saisi au départ par la soudaineté de cette rupture. Je pensais que Carmela était assez forte pour encaisser les diverses infidélités de son mari (voir fin de la saison, lorsqu’Irina l’appelle une première fois) et pour s’être fait une raison. De l’autre, je pensais que Tony ne quitterait jamais sa femme, comme l’avait précisé le Dr Melfi à la fin de la saison 3. "S’il y a séparation, c’est elle qui vous quittera, mais vous ne pourrez pas vous passer d’elle." (Et c’est d’ailleurs un peu ce qui s’est passé.) De plus, on pouvait s’attendre à une montée en puissance des disputes, jusqu’au divorce, pourtant dans cette saison, aucune grosse dispute n’était à tolèrer.
Pourtant au fil des engueulades on comprend que cette dispute n’arrive pas "comme un cheveux dans la soupe", mais qu’elle était préparée par une accumulation de petits détails et de petites scènes qui nous semblaient alors insignifiantes : (Carmela trouvant un faux-ongle sur le sol, Tony couchant avec Svetlana, Tony jaloux du fiancé d’Irina, scène que je n’avais pas comprise à l’époque et qui trouve ici toute sa justification, etc...)
Enfin, le déballage des reproches possède un caractère assez véridique que l’on trouve dans toutes les disputes. On découvre alors que malgré les années de mariages, les deux époux ont une image assez caricatural l’un de l’autre (Tony voit Carmela comme une femme vénale, intéressée par l’argent, et Carmela voit Tony comme un père indigne...) et dans les reproches qu’ils se font (on pourrait analyser l’évolution de la dispute pendant un bon moment...) on ne peut pas dire qu’il y aie une partie qui "aie tort". (La phrase où Tony fait remarquer à Carmela qu’elle connaissait la réputation du clan Sopranos devait bien se douter de qui "il était réellement" est très juste, tout comme "leur manque de communication " invoqué par Carmela.)

En bref, c’est l’une des plus belles engueulades qu’on aie vu dans une série télé.


2)La fin de l’arc "Carmine-Sacks" :
Là, est ma seule déception. Avec la mort de Ralphie, les engueulades entre les deux familles, la déférence de Sacks envers Paulie, puis son retirement de l’affaire, on sentait que ça allait péter..... et ça péte pas ! (Et c’est cela le vrai retournement de situation.)
N’empêche, ça fait un peu bizarre, Johnny Sacks à beau froncer les sourcils d’un air "je reviendrais me venger", on se dit "tout ça pour ça", ce qui est assez frustrant.
Peut-être que la 5eme saison viendra me prouver que j’ai tort (je l’espère...) en tout cas, c’est une déception assez forte.


Alors, époustouflant ce final ? Peut-être, mais surtout empreint de mélancolie. Dans les yeux du spectateur, qui prend la place de Meadow pour se rappeler les moments d’une famille dysfonctionnelle, mal-aimée mais tellement importante, avant qu’elle ne se désintègre. La mélancolie de Tony, qui doit se rappeler tous les évènements survenus au cours de cette saison (suicide de Gloria, meurtres de Ralphie rappelant celui de Richie Aprile, départ de Furio, hospitalisation de Christopher, et plus encore...). Et la mélancolie de cette musique, irritante, de Dean Martin, sorte de chant insistant pour sommer l’agent immobillier de céder "Whitecaps" à un Tony sans repères. Comme d’habitude, le final se termine en musique, excepté que cette fois plus personne ne veut l’entendre, puisque le chantage crapuleux prend ici une tournure de longue lamentation. On ne peut que se demander alors que va bien pouvoir faire Tony dans la saison suivante...peut-être prendre sa retraite de point central de la série, pour laisser place aux pérégrinations de son entourage : Carmela, Meadow, Christopher, Adriana, Artie Bucco, Janice, Bobby Caldalla...tous ont eu leurs petits moments à un moment ou un autre de la saison. Loin d’être une saison de remplissage, cette 5e saison sera peut-être l’occasion de commencer à boucler le destin de l’entourage de Tony, et de le laisser finalement en paix, grâce éventuellement à plusieurs épisodes spéciaux consacrés à certains personnages... Car ce que Tony recherche dorénavant, c’est un petit coin au bord du paradis pour sa rédemption.

NB : Mad Dog met 9/10 à cet épisode.