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3.07 - Looking Glass
Minority Vision
dimanche 6 mars 2005, par
- Les visions de Johnny ne sont jamais fausses.
- En cas de doute, se reporter au 1.
Depuis le début de la série, si on aime quand même bien notre héros aux pouvoirs psychiques peu communs, on pouvait quand même se poser des questions sur ce que son don entraînait comme conséquence pour les autres. Pendant deux saisons, les scénaristes ne s’étaient pas attachés à ce problème pour se concentrer à chaque épisode sur une variation de ses visions ; ils ont décidé de le faire avec la saison 3. En effet, tout le monde aura remarqué que cette saison est plus sombre que les précédentes, que ce soit au niveau des intrigues ou au niveau de l’ambiance visuelle (tout le monde aura remarqué que la plupart des épisodes se déroulent souvent de nuit depuis le début de la saison), et il est surtout question de de s’interroger sur les pouvoirs de Johnny sans le ménager. Dans le season premiere, Johnny demande à Bruce s’il croit qu’il est plus proche de la folie que de la vision, puis il est ensuite accusé de meurtre, ce qui lui vaudra bien des désagréments et une remise en doute de ses pouvoirs. Cette remise en cause est ici bien plus poussée et se place du point de vue juridique : dans quelle mesure Johnny porte-t-il atteinte à la vie privée des gens ?
Un coup monté préparé avec soin
Pour répondre à cette question, quoi de mieux que de mettre en scène deux jeunes étudiants en droit voulant piéger Johnny Smith ? Ceux-ci ont donc préparé une jolie mascarade : ils comptent jouer la scène d’un meurtre dans une petite pièce, avec des masques de tragédie sur le visage. Ces masques ne sont d’ailleurs pas innocents : dans l’absolu, ils sont surtout une protection pour leur visage, de façon à ce que lorsque Johnny évoquera ses visions en mentionnant les masques, on se posera la question de savoir comment il a pu identifier des personnes dont le visage n’est pas visible. Mais c’est peut-être aussi un indice pour le téléspectateur - et pour Johnny - que la mise en scène théâtrale va mal tourner.
La deuxième étape de ce guet-apens est de provoquer Johnny pour qu’il voie la vision, afin qu’il fasse ce qu’il a l’habitude de faire : s’immiscer dans la vie des gens pour ne pas que sa vision se réalise. Il vient donc les rencontrer à la Fac en les accusant directement, et finit par pénétrer chez eux en défonçant une porte à l’aide de Walt, avant de se rendre compte que tout est filmé. Les deux jumeaux peuvent alors prouver leur point : par ses visions Johnny porte une grave atteinte à la liberté d’autrui, car celles-ci peuvent se révéler fausses comme ils l’ont montré. Hors, alors qu’il a été inculpé récemment de meurtre, peut-on courir le risque de laisser cet homme s’immiscer dans le système policier comme le montre son association avec Walt, qui avait déjà été critiqué par Jéricho car ne sachant plus résoudre une affaire sans Johnny ? L’autre problème qui apparaît en filigrane est la présomption d’innocence. Avec Johnny, elle est fortement bafouée : peut-on en effet arrêter quelqu’un avant même qu’il n’ait commis un meurtre ? Question qui rappelle fortement le film de Spielberg, Minority Report - d’où le titre de ma review -, et ce n’est pas le seul point commun qui existe entre les deux.
Le plus fort dans l’histoire, c’est que si les deux jumeaux ont mis à mal la perception des visions de Johnny par les gens, ils ont aussi instillé le doute en lui. Il semblerait que le médium dans cet épisode oublie que ses visions ont toujours une raison précise, elles ne se contenteraient pas de lui montrer simplement une mise en scène qui n’apporte rien, qui ne lui fait pas sauver une vie ou résoudre une situation complexe. Pourtant, dans la vision qu’il a de la mère des deux jumeaux, Purdy (que l’on ne voit apparaître dans l’épisode seulement dans cette vision, assez original comme caméo) parle clairement de sa Destinée, ce qui aurait pu le faire tilter. Mais quand il s’aperçoit qu’il n’avait pas tort, il est bien trop tard...
Un plan machiavélique, ou deux
L’épisode avançant, Johnny se rend compte que les motivations des deux jumeaux ne sont pas simplement de s’interroger sur son don dans l’intérêt public mais ont quelque chose de plus personnel. Il se trouve que leur mère a fait don de toutes ses finances à la fondation que dirige le révérend Purdy et qu’elle a quitté ce monde sans rien. Franchement, c’est d’un banal de se venger parce qu’on a pas eu droit à l’héritage (humour je précise). Mais la petite pièce des deux jumeaux a encore une autre raison : le véritable meurtre de la petite amie de George orchestré par son frère Lenny. Celui-ci ne supporte pas que la jeune femme soit rentrée dans leur vie car elle met à mal la relation fusionnelle qu’il a avec son frère en tant que jumeau, et décide donc de l’éliminer de l’équation.
C’est là le deuxième point commun avec Minority Report : tout comme Lamar dans le film de Spielberg qui joue du rapport minoritaire pour commettre son meurtre, Lenny reproduit le schéma de la petite mise en scène qu’il a montée avec son frère pour le canular-piège pour assurer ses arrières et tuer la petite amie de son frère en toute quiétude. Là où il est encore plus malin, c’est qu’il a compté avec le foin médiatique qu’il y aurait autour de Johnny Smith après leur petite plaisanterie. Ainsi, il peut se retrancher derrière le fait que n’importe qui aurait pu commettre le crime en utilisant le même modus operandi. A ce point là de l’épisode, Johnny a perdu sur toute la ligne : sa réputation en a pris un sacré coup et va encore plus l’isoler, il n’a pas pu sauver la jeune fille, et il est dans l’incapacité de prouver la culpabilité de Lenny.
Mais il va finalement prendre Lenny à son propre piège en organisant lui aussi une petite mise en scène visant à lui faire croire que George est mort d’une balle dans la tête en étant aux prises avec l’adjoint de Walt. Le meurtrier va donc craquer et révéler quelles étaient ses motivations, avant de se rendre compte que son frère était de l’autre côté du miroir sans teint de la salle d’interrogatoire, dans une scène assez symbolique que je vais tenter d’analyser de plus près (parce que le symbolisme et moi, on n’est pas vraiment copains non plus).
C’est un bel isthme
Le lien qui unit les deux frères est très puissant, quasi-fusionnel, je l’ai déjà dit. Cela est fortement souligné par la scène de l’interrogatoire en montage alterné où l’on voit les deux jumeaux tenir le même discours à un Walt qui perd patience. Seulement, à partir du moment où Johnny découvre que Lenny a tué la petite amie de son frère et l’accuse directement devant ce dernier, ce lien si puissant vacille et devient très ténu (ce qui d’une certaine manière justifie doublement mon jeu de mots symbolique vachement subtil pour le titre de cet axe d’analyse), jusqu’à finalement céder. La dernière scène l’illustre : le miroir qui les sépare indique que le lien est brisé, et j’irais même jusqu’à dire que le fait que le fait que George apparaisse de façon décalée par rapport au reflet de son frère symbolise ce désunissement. Ils n’étaient qu’une seule et même entité auparavant, et Lenny a voulu que cela reste ainsi. La dissociation entre leurs deux images prouve qu’il a échoué et qu’ils sont maintenant deux entités disctinctes et indépendantes l’une de l’autre. Bon, là j’avoue, il y a une grosse part d’interprétation de ma part.
L’autre aspect intéressant, c’est le dernier regard que Johnny porte sur le masque de tragédie que portait les deux jumeaux et qui marque la fin de l’épisode. Intéressant car tout au long des 42 minutes, il n’est question que de mises en scènes, on a l’impression d’assister à une sorte de pièce de théâtre ; sauf que celle-ci se termine mal et Johnny n’a pas de quoi être satisfait de la résolution de l’affaire car personne n’y a gagné. C’est finalement une tragédie.
Un épisode remarquable dans le traitement de son thème, qui allie réflexion et symbolisme avec beaucoup de maîtrise, tout en reproduisant un schéma faisant penser à Minority Report en le modifiant à la sauce de Dead Zone.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires