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3.11 - Shadows

Suis-je un meurtrier ?

dimanche 3 avril 2005, par Sygbab

Quand Johnny va à la pêche, ça augure forcément de mauvaises choses.

Voilà un épisode assez singulier. De prime abord, comparé à l’épisode précédent il paraît être un simple loner, avec une nouvelle variation sur les visions et un nouveau cas difficile auquel est confronté Johnny. Et pour être difficile, celui-là l’est pas mal : il se voit tuer un homme en l’étranglant. Bien évidemment il décide d’en savoir plus pour comprendre ce qui a pu l’amener à commettre un tel acte. C’est un début d’épisode qui lui confère tout de suite une dimension importante.

Johnny entame donc une investigation qui renvoie en quelque sorte au season premiere, quand il cherchait à savoir ce qu’il avait bien pu faire pendant sa soirée avec Rachel Caldwell (je suis sûr qu’il espérait avoir réussi à conclure, comme ça il aurait pu jouer au voyeur pour assister à ses propres ébats - pardon, je crois que je m’égare) ; sauf que dans le cas présent il tente de comprendre ce qui va se passer dans le futur, et c’est tout aussi perturbant, d’autant plus que ses visions semblent lui venir sans aucune raison, sans qu’il touche quoi que ce soit. On aura la solution de cette énigme plus tard quand il se rendra compte qu’il s’agit en fait de Bruce à l’aide d’un procédé que personnellement je n’aime pas trop dans une série (au moment où il faut expliquer quelque chose) : des flashbacks montrant pourquoi sans toucher son ami il a eu des visions. Et là, permettez moi tout de même de gueuler un petit peu sur ce coup, car c’est un peu gros. L’eau, les brindilles et le canapé qui servent de contact entre les deux (pour le billet je ne dis rien dans le sens où Bruce l’a déjà touché), c’est un peu facile ; à ce moment-là pourquoi n’a-t-il pas des visions sans cesse puisque le sol est aussi relié aux deux ? Bref, c’est un élément du script que je trouve discutable, mais je ne vais pas m’attarder plus longtemps dessus.

Les visions du medium sont en tout cas plutôt floues et ne lui donnent pas beaucoup d’indication, car elles retracent le parcours à l’envers. Autrement dit, chaque nouvelle vision lui montre un événement se déroulant juste avant ce qu’il a vu dans la dernière vision, et ainsi de suite. Cela commence donc par son meurtre de sang-froid au début de l’épisode. Si je ne suis pas assez clair, disons que ses visions sont à contre-courant et lui montrent les aboutissants avant les tenants. Et ce qui inquiète Johnny c’est qu’il apparaît comme violent, ayant perdu tout contrôle de soi, et ce n’est pas vraiment une habitude chez lui. Surtout qu’il possède un couteau ensanglanté dans les mains. Mais le fait de continuer à chercher le pourquoi du comment est-il le moyen de contourner le problème ou est-ce au contraire le provoquer ? Car après tout, qui nous dit que son meurtre dans la vision ne se déroule pas après avoir cherché à savoir pourquoi il le faisait ? Comme toujours quand on touche au temps, il ne vaut mieux pas trop chercher la cohérence extrême car cela donne vite très mal à la tête.

Un petit retournement de situation vient chambouler la perception que Johnny a de l’affaire : dans une de ses visions Bruce est victime de l’homme que Johnny tue par vengeance. Il se refuse donc à tenter le diable en ne sortant pas du commissariat où il s’est rendu avec son ami pour prévenir Walt. Mais comme le fait très justement remarquer Bruce, s’il ne veut plus influer sur le cours des évènements ce n’est pas tant pour lui sauver la vie que pour se protéger lui-même, pour ne pas commettre un meurtre. Mais ce n’est pas tout : Bruce se refuse également à rester assis les bras croisés, car selon son ami medium le crime serait raciste et il ne veut pas que quelqu’un d’autre se fasse tuer à sa place. Dit comme ça, ça paraît masochiste, mais on voit ici le sens moral aigu de Bruce, qui exhorte son ami à tirer cette histoire au clair au risque de sa propre vie.

La partie de l’épisode qui se déroule dans le parc est confuse si on ne suit pas attentivement (mon frère qui regardait distraitement avec moi hier soir s’est complètement emmêlé les pinceaux), et pour cause : Johnny a enfin une vision complète de toute la scène du meurtre au moment même où ce dernier est sur le point de se produire, et par deux fois. Il a notamment une vision dans laquelle il envoie Bruce s’occuper de la victime (oui alors, il est bon de préciser le scénario : l’homme que Johnny étrangle dans sa vision au début se fait agresser, puis Bruce vient l’aider, puis des jeunes délinquants viennent l’enquiquiner croyant qu’il le vole, puis la victime de l’agression - et de Johnny plus tard - récupère le couteau de son premier agresseur pour planter Bruce qu’il croit être son agresseur. C’est bon là ?), mais ça se termine en queue de poisson et son ami meurt dans ses bras. C’est donc logique qu’il prenne la décision de laisser Bruce s’occuper de l’agresseur et d’aller s’occuper de la victime.

J’aime beaucoup cette dernière scène, car je la trouve très astucieuse. Johnny connaît le scénario par coeur et ainsi réussit à éviter de se faire poignarder par l’homme à terre, sauf qu’il se retrouve à lutter avec lui, et enserre alors ses mains autour du cou de son opposant. Et là intervient une fois de plus le procédé des flashbacks, mais à mon sens beaucoup mieux employés car ce sont des flashbacks provenant des diverses visions qu’il a eues du futur. Il se remémore alors la vision violente du début d’épisode où il étrangle l’homme sans pitié, ainsi que la vision obtenue quelques minutes auparavant dans laquelle Bruce meurt dans ses bras et lui demande de lui promettre de ne pas oublier qui il est ; tout ça fait lâcher prise à Johnny. C’est intelligemment fait car les visions étaient ici à double fonction, et on peut littéralement dire que Johnny a eu des flashbacks du futur.

L’épisode n’est pas encore fini, mais on peut d’ores et déjà dire qu’il est bien maîtrisé. Mais il prend une dimension supplémentaire dans sa dernière scène puisque Johnny exprime enfin tout haut ce que les scénaristes veulent faire passer depuis le début de la saison (je pense d’ailleurs que le fait qu’il soit à la recherche de ce qu’il l’a conduit à tuer alors qu’il était à la recherche de peuves de son innocence dans le meurtre de Rachel Caldwell dans le premier épisode de la saison n’est pas vraiment un hasard) : il se pose des questions sur la nature de son don, et se demande si il a jamais vraiment vu le futur. Et s’il ne voyait que des fragments d’un puzzle qu’il doit reconstituer et que le futur dépend aussi de ses choix en fonction de ce qu’il voit ? Que se passera-t-il s’il commet une erreur d’interprétation ? Les éléments de réponse nous ont été distillés tout au long de la saison avec des affaires délicates qui se sont parfois soldées par des échecs complets parce que Johnny n’a pas su ou n’a pas pu intervenir à temps. Les deux exemples les plus flagrants sont Looking Glass (3x07) et Cycle Of Violence (3x09).

C’est là la preuve qu’il y a une vraie vision globale de la série, tant cette continuité thématique - dont parle mon collègue Le Trekker Greg dans le commentaire de ma précédente review qui m’a un peu devancé sur ce coup - semble maîtrisée. Rien n’est laissé au hasard, puisque Johnny revient aussi sur la fameux article que lui avait montré Wey en fin de saison 2. Il apparente ses visions à une équation : si jusque là il a sauvé des gens, c’est parce qu’il pouvait compter sur une constante, lui-même. Mais si jamais il vient à flancher et à passer du côté obscur comme sa vision lui a suggéré, qu’adviendra-t-il de lui ? Là encore, la réponse avait été donnée partiellement dans un épisode de la saison 2, Zion, où il était devenu un véritable psychopathe, et où Bruce prenait conscience du rôle qu’il a à jouer auprès de son ami. Ce n’est donc pas innocent non plus que ce dernier réaffirme avec force qu’il sera toujours aux côtés de son ami.

Mine de rien, sans y toucher, cet épisode permet de remettre au goût du jour les thématiques centrales de la saison. Si on ajoute ça au fait que l’épisode précédent rappelait qu’il y a des problèmes non résolus entre Purdy et Johnny et quil y a encore des questions en suspens concernant Wey (je ne peux imaginer le final sans lui, tout comme Stillson d’ailleurs), tout est mis en place pour le final, et de façon assez subtile finalement. De grands moments en perspective.


Un épisode qui n’est certes pas au niveau du précédent mais qui apporte son lot de satisfactions. De plus, l’intrigue est bien menée et possède de réels enjeux, non seulement moraux mais aussi parce que cela promet un final assez excitant.