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9.11 - Audrey Pauley
De l’autre coté du miroir (obscur)
Audrey Pauley
vendredi 11 juin 2004, par
Après 4-D, Steven Maeda poursuit sa vaillante tentative de développer les personnages de Doggett et Reyes. Le pauvre, il n’avait pas du encore remarquer que tous les autres étaient sur mode script automatique et qu’il était seul sur ce coup !...
Toute la ‘magie’ d’X-Files dans ses dernières saisons, c’est de faire livrer à la chaîne des tas d’épisodes à des scénaristes attachés à la série depuis des années et un peu en bout de course en terme d’inspiration (la clique John Gilnitz), et de signer contractuellement des auteurs plus frais (Jeff Bell, Maeda) pour un seul ou deux épisodes par saison.
Pour ses deux épisodes de la saison 9, donc, Maeda a choisit de travailler en priorité sur les personnages, réalisant sans doutes que c’est là qu’il y avait le plus à faire, tout en mixant ces études de caractère avec un élément paranormal fort. Ses deux épisodes, 4-D et celui-ci, Audrey Pauley, sont comme les deux faces d’une pièce de monnaie. Dans chacun, un des deux nouveaux agents est confronté de manière forte à la mort annoncée de l’autre. Après le Doggett grièvement blessé et entièrement paralysé de 4-D, nous retrouvons cette fois-ci Monica Reyes en état de mort cérébrale après un accident de voiture. En revanche, contrairement à Doggett dans 4-D, son personnage n’est pas mis sur la touche puisque nous la suivons enfermée dans un monde étrange. Là encore, Maeda manifeste un certain sens des priorités en ne laissant pas de coté le personnage qui a le plus besoin d’une caractérisation censée. (Un peu l’inverse de ce à quoi elle a eu droit quand Doggett était dans le coma dans Providence, quoi : Reyes à l’église, sure, fine, whatever)
Tant que je suis sur le sujet, on peut trouver regrettable que cet épisode enferme à nouveau nos deux agents dans un hôpital avec l’un d’eux proche de la mort. Mais concernant 4-D et Audrey Pauley, il s’agit d’une vraie démarche censée et réfléchie de concevoir deux épisodes miroir l’un de l’autre. Le problème, pour moi, n’est donc pas du tout ces épisodes mais que les autres scénaristes n’aient pas eu l’intelligence de faire attention à ne pas tirer sur les mêmes fils comme ils l’ont fait dans le double-épisode de mi-saison.
Nous sommes un vendredi soir. Après le boulot, Doggett et Reyes sont allés boire un verre et ils rentrent maintenant chez eux, vaguement pompettes. Alors que Reyes dépose Doggett chez lui, il lui livre le passionnant programme de son week-end (pizzas au micro-onde et télé par satellite), de quoi rendre la vie de Reyes excitante, lui rétorque-t-elle. Elle se demande si cela ne leur ferait pas du bien d’avoir un animal de compagnie. Mais à Doggett qui pencherait pour l’achat d’un chat parce qu’il n’attend rien et qu’on ne peut donc pas le décevoir, Reyes répond que de part sa fidélité, sa gentillesse et sa compagnie agréable, il est plutôt un type à chien. Un petit moment agréable passe avant que les deux agents ne se séparent jusqu’à lundi. ‘‘John, John, John...’’ murmure Reyes en repartant.
L’épisode est commencé depuis deux minutes et à ce stade, une bonne moitié des fans a déjà commencé à jeter des tomates sur la télé. Reste à savoir quelle moitié ? Et bien c’est celle qui nous permet de dire que, du coup, l’épisode démarre sous les meilleurs auspices ! :o)
En effet, cette scène n’aurait jamais pu appartenir aux premières saisons, et elle n’aurait jamais pu avoir lieu entre Mulder et Scully. C’est bien pour cela qu’elle est précieuse et qu’elle a toute sa place. Elle définit Doggett et Reyes comme des personnages singuliers, différents. Derrière ces quelques mots, on ressent la chaleur latine de Reyes, les conflits interne de Doggett liés à la mort de Luke. Bref, on brosse une véritable caractérisation ; ce genre de scènes-vignettes manque cruellement par ailleurs à la saison et à ces personnages.
Loin de ces considérations, Reyes arrive à un carrefour, se fait percuter par une voiture et est transportée d’urgence à l’hôpital. Alors qu’on l’ausculte, elle ouvre les yeux dans un hôpital bleuté et désert. Un hôpital qui flotte dans le vide...
Le néant d’Histoire sans Fin aurait-il dévoré le monde des X-Files ? Que nenni, comme la suite de l’épisode va nous le révéler.
Reyes a tôt fait de découvrir qu’elle n’est pas réellement seule dans cet hôpital fantôme qui ne comporte nulle part aucune inscription. En effet, deux hommes sont là, qui viennent aussi de vivre un grave accident. L’un d’eux, Murdoch explique à Reyes qu’ils pensent qu’ils sont mort.
Dans un premier temps, l’épisode nous amène à penser que Reyes se situerait en effet dans une anti-chambre menant au paradis ou à l’enfer. Très intelligemment, la B.O. de Mark Snow souligne cette fausse piste en réutilisant quelques mélodies de l’épisode One Breath où Scully, elle, avait vécu cette exacte situation.
Mais Reyes est persuadée d’être vivante, et l’absence de toute inscription attise sa curiosité. Elle y voit un indice en mesure de les conduire vers la solution. Mais quelle solution ?
Pendant ce temps-là, Scully débarque aux urgences où elle retrouve Doggett. Devant lui, elle consulte le dossier médical de sa collègue et lui confirme le diagnostique du médecin. Reyes en état de mort cérébrale. Et la mort cérébrale n’est rien d’autre que la mort elle-même... Mais Doggett ne peut que constater que le cœur de Reyes bat, que sa poitrine se soulève au rythme de ses respirations. C’est bien qu’elle est vivante, non ?
La détermination de Doggett à se raccrocher à tout espoir, aussi illusoire soit-il, est mise à mal lorsque le docteur qui s’occupe de Reyes vient leur indiquer que l’agent était porteuse d’une carte de donneuse d’organe. L’hôpital se prépare donc à suive ces volontés.
Lorsque Soggett retourne au chevet de Monica, il trouve à ses cotés une aide-soignante, Audrey Pauley. La jeune femme, qui semble mentalement retardée, lui explique qu’elle s’occupe principalement de livrer les fleurs. Elle demande à Doggett s’il est le mari de Monica. Il ne l’est pas mais, lui dit-elle, il l’aime beaucoup malgré tout. Audrey lui dit aussi que Monica n’est pas partie, que son âme est toujours présente.
Reyes aperçoit au bout d’un couloir de son hôpital bleuté une jeune femme qui s’éclipse. Il s’agit d’Audrey Pauley... Elle essaie de la suivre mais la jeune femme a bel et bien disparu. Le troisième homme présent dans l’hôpital bleuté est soudain pris de convulsions. Il disparaît. Monica explique à Murdoch qu’elle pense que l’homme est mort. Ce qui confirme qu’eux ne le seraient pas (encore).
Au moment où elle commence à se décourager de recherche Audrey, celle-ci ré-apparaît. Elle explique qu’elle ne peut pas les aider à sortir. Elle lui confie aussi que son ami est à son chevet. Monica demande a Audrey de passer un message à John pour qu’il sache qu’elle est en vie : il est un type à chiens.
Cherchant à savoir ce qui a provoqué la mort cérébrale subite de sa collègue alors qu’elle était protégée par sa ceinture, son airbag et que les ambulanciers ont rapporté qu’elle était consciente sur les lieux de l’accident, Doggett met son nez dans les dossiers médicaux. Du coup, une infirmière vient rapporter au médecin de Monica qu’il manque quelque chose dans le dossier de la patiente, une injection qu’il lui a faite mais qui n’apparaît pas sur les relevés. Le docteur la tue.
Alors que Doggett est perdu dans ses pensées, à considérer ce qui aurait pu être, la relation qu’il aurait pu avoir, le baiser qu’avec Monica il aurait pu échanger ce soir là, le corps de l’infirmière est retrouvé, ce qui éveille immédiatement la suspicion de Doggett. Scully accepte pour lui de rechercher des traces d’un assassinat mais elle le prévient une fois encore qu’il ne doit pas croire pour autant que Monica pourra être sauvée...
Tandis qu’Audrey Pauley transmet le message de Monica à John, la famille de Murdoch accepte qu’il soit débranché. Dans l’hôpital bleuté, il commence à souffrir. ‘‘Ce n’est qu’une question de temps’’, dit à la famille le docteur.
Audrey mène Doggett jusque sa chambre dans l’hôpital. Il s’y trouve une maquette de l’hôpital qu’elle a fabriqué. Elle s’y trouvait seule avant, et aimait le calme de ce lieu. Mais depuis peu, il est habité par d’autres. Doggett lui demande de lui dire par qui.
Tandis que Scully s’est occupée de faire venir de Mexico les parents de Monica, Doggett vient la voir avec les dossiers des deux autres patients que côtoie Monica. Tous ont comme elle vécu la mort cérébrale et tous ont été soignés par le même docteur. Pour Doggett, il s’agit d’un tueur qui prend plaisir à débrancher ses patients. Il leur reste peu de temps.
D’autant moins que Murdoch meurt, disparaissant d’entre les bras de Monica...
Doggett retourne voir Audrey. Il lui demande de dire à Monica que le temps presse : dans une heure, l’hôpital doit la débrancher. Ne sachant trop ce qu’elle peut faire, Audrey va effectivement retrouver Monica, maintenant seule dans l’épisode bleuté. Bien évidemment le message de John lui est particulièrement inutile et elle renvoie à Audrey sa frustration. Mais Audrey ne sait comment et ne peut aider. Elle lui explique que même les livraisons des fleurs, elle ne peut les faire elle-même car elle ne peut lire les cartes. Monica comprend alors que cet hôpital-là est une création de l’esprit d’Audrey, qu’elle fait les règles ici. Audrey tente de comprendre ce que Monica lui dit et disparaît des lieux pour y réfléchir. Mais le Docteur a suivi Doggett jusque la chambre d’Audrey et a compris que c’est elle qui l’a aidé dans son enquête. Elle aussi comprend qu’elle va mourir.
Audrey apparaît à Monica. Elle lui explique qu’elle doit sauter dans le vide, et qu’elle doit le faire vite avant que ce lieu ne disparaisse et qu’elle disparaisse avec lui. Surmontant son appréhension, elle saute alors dans le vide... Une chute onirique dans un "air" dense sui vous avez accroché, un vol kitchissime sinon.
Dans la chambre de Reyes, Scully argumente avec Doggett que celui-ci n’a toujours apporté aucune preuve que sa partenaire est en vie, et qui justifierait que les transplantations soient annulées. Mais à cet instant la voix de Monica se fait entendre. Elle interpelle John et lui murmure le nom d’Audrey.
Doggett arrête le docteur au moment où il sort de la chambre d’Audrey Pauley. Celle-ci gît sur le sol, morte...
Quelques jours plus tard, Doggett raccompagne Reyes chez elle. Ils se disent au revoir. Tout a beau être différent, rien n’a vraiment changé...
Là où le script de cet épisode se révèle particulièrement intéressant, et notamment vis à vis de 4-D, c’est qu’il amplifie et retourne les éléments et thème de ce premier épisode. Les deux agents en vie sont ainsi amenés à ce poser la question de l’acharnement thérapeutique contre l’euthanasie, et des réponses différentes et nuancées sont apportées à chaque fois. Dans 4-D Reyes acceptait finalement la requête de ‘Doggett’ et mettait fin à sa vie de légume amélioré, tandis que dans cet épisode Doggett refuse d’admettre la mort de sa collègue, que la science déclare morte.
La science, justement, permet à Scully d’apparaître dans cet épisode - comme déjà dans 4-D - d’une manière justifiée et satisfaisante. Son passé médical ne peut que la forcer à tenter de freiner les espoirs de Doggett. On remercie le scénariste d’avoir traité la situation avec intelligence plutôt que d’avoir fait en sorte que Scully soit du coté de Doggett dans cet affaire juste parce qu’elle est devenue croyante. Le genre de traitement neu-neu des personnages dans lequel cette saison neuf s’est trop souvent fourvoyée. La mission de faire mimer à Doggett et Reyes les affrontements de Mulder et Scully s’étant traduite en une constante caricature de leurs positions vis à vis du paranormal, pourtant introduites avec complexité, justesse et originalité dans la saison précédente. D’ailleurs, pour mémoire, on rappellera que dans l’épisode One Breath, Scully était revenue d’un coma, ce qui n’a rien à voir avec l’état de mort cérébrale et ne justifierait donc en rien une acceptation de Scully de la possibilité que Reyes soit en vie.
De manière intéressante, aussi, la décision des deux personnages vis à vis de ce dilemme est une illustration de leur propre personnalité : on peut comprendre que Reyes, avec sa sensibilité New Age, et son inclination à croire à un ’après’, à la ré-incarnation, accepte cette possibilité de mettre fin à la vie. Tandis qu’un Doggett plus fermé sur ces questions et surtout déjà marqué par la mort et la cruautré de l’absence s’y refuse.
Le couple d’épisode met en avant l’importance de la réflexion personnelle sur ce sujet, qui permet d’en venir à sa solution propre.
L’ambiance et l’étude de caractère prévalant largement, l’épisode en dit très peu sur les motivations du docteur. Certains s’en sont offusqués, je dois simplement dire que cela ne m’a jamais manqué. Rappelons aussi qu’une ligne de dialogue introduit l’idée que le docteur est basiquement un tueur en série qui prend plaisir à débrancher ses patients. Ce qui n’est pas sans bases dans la réalité. Le produit qu’il leur a injecté et qui les plonge dans un état simulant la mort cérébrale a donc fait basculer leurs consciences dans le monde imaginaire qu’Audrey Pauley avait préalablement créé.
Audrey est un personnage difficile, à la fois essentiel est rare, son temps d’antenne étant somme toute assez limité. Il fallait bien une actrice aussi exceptionnelle que Tracey Ellis, qui s’était déjà illustrée dans Souvenirs d’Oubliette, pour lui donner corps. Elle le fait brillamment.
L’ensemble de la distribution offre des prestations remarquables dans cet épisode et Gish comme Patrick y trouvent plusieurs occasions de briller.
Avec le pré-générique et ses types à chien, une autre scène de l’épisode aura fait largement vociférer les gardiens du temple : celle du flash-back de Doggett sur cette séquence et la variation qu’il y place, faisant se conclure la scène sur un baiser entre John et Monica. Encore une fois une scène qui se démarque en caractérisant avant tout la nouvelle génération et qui, surtout, se justifie en cela qu’elle met en évidence un thème qui courre lui aussi à la fois sur 4-D et Audrey Pauley : celui des choix qu’on ne fait pas, et des possibilités qu’on laisse passer de changer sa vie. Dans 4-D, le concept même des Univers parallèle illustrait cette thématique. Ici Murdoch meurt en disant qu’il y a tant de chose qu’il aurait aimé faire différemment.
Je me suis toujours surpris moi-même en ne détestant pas DRR (Doggett - Reyes Relationship). C’est qu’elle transcende son aspect le plus agaçant - rejouer à nouveau après Mulder et Scully le thème de l’attirance entre les deux agents des X-Files - en abordant cette relation d’une manière fondamentalement différente de celle des deux anciens occupants des Affaires Non-Classés. Plus directe et pourtant plus lointaine. Car si objectivement rien n’empêchait Mulder et Scully de sauter le pas (d’où le fait qu’il devenait impossible de ne pas y arriver dès l’instant où on commencer à jouer avec cette idée), de nombreux obstacles se dressent entre les sentiments plus évidents de Reyes et Doggett : les circonstances de leur rencontre (lors de l’enquête sur la disparition puis la mort de Luke Doggett), l’existence de Barbara Doggett, la culpabilité de Doggett qui s’interdit de se remettre en position de devoir veiller sur quelqu’un.
J’adore le traitement très Humain des personnages dans cet épisode (comme avant dans 4-D, John Doe et, plus loin, dans Release, les quatre petits épisodes de la saison 9 où les scénaristes se montreront capables de faire exister vraiment les nouveaux personnages).
Enfin, je conclurai en mentionnant que pour sa 50ème réalisation de la série, Kim Manners ne démérite pas, loin de là. Le réalisateur fait partie des quelques éléments encore motivé d’une équipe créative usée, mais qui refuse pourtant de se renouveler. Il offre ici de quoi faire passer ce qui reste un bottle show filmé dans un seul décors pour quelque chose de bien plus grand. Mieux que d’autres épisodes de la saison, il sait faire oublier les contraintes budgétaires fortes qui poussent à la création d’épisodes confinés à des décors de studio.
Un des épisodes essentiels de la saison 9, ceux qui montrent ce qu’aurait pu être la Nouvelle Génération si les gens à la barre avaient allumé leur cerveau.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires