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11.14 - Just As I Am
Dieu est amour
samedi 12 novembre 2005, par
Nouveau pari, nouveau risque pour Urgences : la série ne cesse les initiatives enthousiasmantes, pour notre plus grand bonheur. Un épisode brillant.
Avant toute chose, je tiens à m’excuser pour le retard accumulé dans mes critiques. Mon ordinateur m’a malheureusement lâché tandis que je m’apprêtais à écrire la critique de ce magnifique épisode et je n’avais plus accès au net. Mille excuses, je vais tenter de rattraper mon retard au plus vite - sans pour autant bâcler mon travail, tout de même !
Cela faisait donc longtemps que j’attendais un épisode de ce genre dans Urgences. En effet, la série s’est souvent posée la question de la religion, de l’existence de Dieu, mais aussi et surtout du rapport de l’Homme à la foi, le point culminant de la problématique résidant selon moi dans la storyline de Luka dans la saison 7, dans sa relation avec le prêtre atteint du lupus. Connaissant la fascination constante des producteurs pour le sujet, et le personnage de Kerry Weaver, devenue un peu « la lesbienne de service » (dommage, son acceptation avait été si bien traitée, on était en droit d’attendre mieux par la suite), j’attendais donc avec impatience un sujet qui traiterait d’homosexualité et religion. Quelque part, je ne me faisais pas trop d’espoirs, je me disais que cela n’arriverait pas de sitôt... et pourtant, le voici. Mais loin de se limiter à une thématique aussi vaste que délicate, l’épisode enrichit également le personnage de Kerry, qui n’est heureusement pas réduite à un prétexte pour aborder ce thème et faire discuter dans les chaumières.
D’une part, Kerry me manquait beaucoup, et voir son visage dès la première seconde de l’épisode m’a fait un plaisir (et une surprise) fou, au-delà de ma perplexité face à cette scène d’ouverture, mais j’en reparlerai plus tard. Il semblerait que Laura Innes ait demandé elle-même à ce que ses apparitions se fassent plus rares afin de consacrer davantage de temps à sa vie personnelle, ce qui est compréhensible. C’est une mince consolation, mais cela me rassure de savoir que l’abandon soudain du personnage est justifié.
De plus, dans le contexte actuel, cet épisode a une résonance tout à fait singulière. En effet, le Vatican poursuit ses attaques contre l’homosexualité avec toujours plus de véhémence, et j’ai véritablement la sensation que de plus en plus de personnes partagent cette opinion comme quoi les homosexuels menacent l’avenir de l’humanité et autres horreurs que je ne veux même pas mentionner (pensez à ce cher Vanneste qu’on autorise à faire de la politique, et après on vante les mérites de l’ouverture d’esprit et de la « tolérance » - même si dans l’idée même de tolérance il y a celle d’exclusion, on ne tolère que ce qu’on considère comme différent, « anormal »).
« Je suis ta mère »
Non, cette phrase n’a pas été prononcée dans un film de science-fiction, le personnage concerné ne s’appelle pas Luke, et aucun sabre laser n’a été impliqué dans la scène en question. Tout s’est passé sur le parking des urgences du Cook County General Hospital de Chicago.
Quatre mots si simples vont pourtant bouleverser l’avenir de Kerry Weaver... au moins le temps d’un épisode, mais on sait bien que même si cela ne nous est pas montré, la question résonnera toujours en elle, surtout si l’on considère la fin de l’épisode. Mais je ne vais pas commencer dès maintenant à lâcher l’ordre chronologique, sinon cette critique va être un vrai désordre. On sait depuis nombre de saisons que la quête de sa mère biologique est très importante pour Kerry, elle a fait de nombreuses recherches, et même si la storyline a été abandonnée aussi souvent qu’elle a été abordée, on finissait toujours par y revenir. Et cela se soldait systématiquement par un échec. Ici, pas de longue entrée en matière, pas de recherche de la part de Kerry, pas de détective privé.
La première scène de l’épisode ne nous laissait même pas entrevoir l’arrivée de la mère de Kerry - et pourtant on voyait les deux femmes proches, parler de quelque chose dont on n’avait pas la moindre idée. Sur le moment, et même après le générique, je n’ai pas compris que nous étions revenus en arrière, et je m’étais figuré que Kerry était en train de mettre sur pieds un plan étrange dans je ne sais quel but, et qu’elle avait besoin de cette femme - une amie très proche ? - pour l’aider avec ce plan. C’est ce que je pensais jusqu’à la scène où Sharon Williams demande à Kerry si elle a réalisé son rêve en devenant médecin. Oui, j’ai mis du temps à réagir et à me dire que finalement, peut-être qu’il s’agissait effectivement d’un retour en arrière... Puis est arrivée la scène sur le parking, où là, je crois qu’à tout moment j’attendais cette phrase où elle lui dirait qu’elle était sa mère. Arrive enfin la révélation, la terrible vérité, la claque en pleine figure pour Kerry : il n’y a pas de Sharon Williams, et Helen Kingsley est sa mère.
« Elle a dit des choses très troublantes »
A peine revenue aux urgences que Kerry repart déjà, et va discuter avec sa mère. Il y a tant de temps à rattraper... tant de questions à poser... tant de vérités à révéler. Et puis arrive un semblant de point qui fâche. Helen Kingsley est dans une chorale religieuse, et semble y être très attachée - semble être très attachée à sa foi, par conséquent. Kerry ne sait pas trop quoi en penser, elle ne réagit pas trop, le cerveau encore embrumé par le choc de découvrir sa mère, de découvrir la vie qu’elle a eu sans elle... Très vite, Helen doit partir. Très vite, elles vont se retrouver. Kerry repart au travail et est odieuse avec tout le monde, probablement rongée par l’impatience, par la volonté de connaître sa mère, par l’angoisse de la découvrir... Tant de choses ont déjà été bouleversées en si peu de temps, et tant de choses à venir... L’influence de la vie personnelle d’un médecin (ou de tout autre professionnel) sur son travail est ici plus flagrante que jamais. Harcelant Jake de questions pendant la réa d’un patient, Kerry semble s’en vouloir tandis qu’elle se fait envoyer paître par une Susan qui a décidément gagné en assurance.
Kerry finit par quitter une nouvelle fois l’hôpital, suivant à la lettre le conseil de Susan (« Vous savez, la pause que vous avez pris ? Prenez-en une autre ! »), et se rend à l’Eglise où répète sa mère. Arrive alors une petite révélation qui constituait tout de même jusqu’ici LE grand mystère de la série (je me figurais déjà qu’on ne saurait la vérité qu’à la toute dernière minute de la série... sans doute dans l’espoir que Laura Innes reste jusqu’au dernier souffle d’Urgences) : Kerry Weaver souffre d’une dysplasie congénitale de la hanche ! Voilà, on sait pourquoi elle a une béquille, ce n’est plus la peine de regarder Urgences.
Plus sérieusement, Kerry et Helen parlent. Beaucoup. Du passé, du présent, de la famille... Les réponses aux nombreux « pourquoi » de Kerry... Pourquoi a-t-elle été abandonnée ? Pourquoi attendre si longtemps avant de donner des nouvelles ?
« Tous les enfants de Jésus sont parfaits. »
Oui, Helen dit des choses très troublantes, de plus en plus alarmantes pour la pauvre Kerry, pécheresse par excellence, qui s’est effondrée dans le gouffre de l’homosexualité et ose ne pas s’en cacher.
« Je l’ai invitée à dîner »
La fameuse scène du dîner. Elle fait désormais partie de mes scènes préférées de toute la série. Elle est bouleversante, intelligente, subtile, elle est remarquable.
C’est une journée difficile pour Kerry, et la soirée ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. L’on continue de parler du passé, et les références à la religion, à la Bible, à la foi chrétienne dégoulinant de bons sentiments (quand on pense que ce sont ces mêmes personnes qui brûlaient les hérétiques et en feraient sûrement de même maintenant si personne ne les en empêchait). Kerry est de plus en plus inquiète, son visage est marqué par l’angoisse... les lèvres qui tremblent, les yeux qui retiennent leurs larmes... Laura Innes est une actrice bouleversante, et elle parvient avec une justesse incroyable, sans effusion, à faire passer une émotion extrêmement forte. Le personnage prend véritable vie à travers son interprète, qui elle s’efface complètement et laisse la place aux sentiments qui étreignent à présent le docteur Weaver.
Et les larmes viennent, parce qu’il arrive un moment où l’on ne peut plus les retenir.
La minute suivante, pourtant, Kerry est de nouveau à table, radieuse, comme si rien ne s’était passé. Ce passage m’a rappelé l’épisode pilote de Desperate Housewives où Bree allait se réfugier dans les toilettes de la chambre d’hôpital de Rex pour verser toutes les larmes de son corps et revenait plus parfaite que jamais.
Il est temps pourtant de dire la vérité, il est temps de faire ce que Kerry fait si bien depuis plusieurs années, depuis ce fameux baiser aussi fougueux qu’inattendu à l’accueil des Urgences, avec Sandy, dans l’épisode 8.12. Il est temps d’assumer pleinement ce que l’on est, même si en l’occurrence, le risque est gros, même si cela peut lui coûter très cher. Helen semble sous le choc d’apprendre que non, Kerry n’a pas pris une photo avec sa baby-sitter et son enfant. Pourtant, elle ne s’en va pas, elle n’insulte pas Kerry ni ne la noie sous des dogmes sur le parfait schéma familial qu’elle n’a pas suivi. Sa déception est lisible, Helen cherche même à prier pour Kerry... Non, elle n’est pas l’enfant parfaite dont elle rêvait peut-être à ses heures perdues. Mais Helen ne veut pas pour autant sacrifier sa relation presque « naissante », serais-je tenté de dire, avec sa fille retrouvée.
« C’est parce que je t’ai abandonnée ? »
Réaction intéressante : Helen se sent responsable de l’homosexualité de Kerry. Il est toujours « amusant » de voir qu’on cherche toujours des causes tragiques à l’homosexualité, qui a beau n’être plus considérée comme maladie mentale, en garde certaines caractéristiques aux yeux de la société, en ce sens où elle représente un objet de honte, et où, comme Helen, beaucoup de parents cherchent les failles dans l’éducation de leurs enfants pour qu’ils deviennent aussi « marginaux ». Sauf que voilà, non, être homosexuel, ce n’est pas être malade, et cela ne doit pas être source de culpabilité, de la part de la personne concernée comme de son entourage.
Cela me fait penser au film Pourquoi pas moi ? où les parents s’accusent mutuellement de l’homosexualité de leur fille : « Ca vient forcément de ton côté ! ».
« Je ne veux pas d’amour sans acceptation »
Je parlais dans mon introduction de ma gêne vis-à-vis du mot « tolérance ». Peut-être que c’est une sensation très personnelle et que je me fais des illusions, mais pour moi, « tolérance » a une légère connotation négative, en ce sens où « tolérer » implique une distanciation. Quand on dit qu’on « tolère » l’homosexualité, ça me donne presque l’impression qu’on ne va pas cracher au visage d’homosexuels mais qu’on ne les laisserait pas s’approcher de nos enfants - on sait jamais, quelque fois que ça soit contagieux ! Mais peut-être suis-je un peu trop sensible sur le sujet, peut-être vois-je le mal partout... Non, bien sûr, je ne vais pas reprocher à quelqu’un de dire qu’il est tolérant, surtout que dans la plupart des cas, cela signifie qu’il ne fait aucune différence entre homosexualité et hétérosexualité, qu’il s’en fout, que chacun vit sa vie comme il l’entend, merci bien.
Pour moi, un autre des points forts de cet épisode, c’est justement qu’on ne parle pas de tolérance. Kerry emploie le mot « acceptation ». Cette phrase en fin d’épisode, et qui constitue le titre de mon petit discours, est pour moi tout à fait représentative de cette nuance entre « tolérance » et « acceptation ». Malgré sa religion et les dogmes chrétiens, Helen est prête à tenter d’ouvrir son esprit, elle est prête à aimer Kerry malgré son « défaut », elle est prête à la tolérer. Voilà pourquoi je n’aime pas ce mot, parce qu’on « tolère » les défauts de quelqu’un, or selon moi, l’homosexualité ne constitue absolument pas un défaut... c’est comme si on allait reprocher à un type de préférer les brunes. Ben moi, je préfère les mecs et je vois pas en quoi cela fait de moi un être inférieur. Kerry refuse l’amour de sa mère, et je n’ose imaginer le sacrifice que cela représente pour elle qui a passé tant d’années à l’attendre. Kerry ne veut pas d’amour, elle veut être acceptée, parce qu’elle ne mérite pas moins.
Cette phrase sonne le glas de la relation entre Kerry et sa mère. Ce fut bref mais tellement intense. Il est intéressant de constater comme une relation sur 40 minutes peut être mille fois plus subtile qu’une autre étalée sur une saison entière (je pense notamment à Luka et Sam, même si le contexte est évidemment très différent). Cette conclusion est à la fois facile et logique. Facile parce qu’elle se finit de manière très abrupte, que ça sent un peu le souci « pratique » de ne pas développer cette storyline à l’avenir et de se cantonner à un épisode. Logique parce que cette conclusion est bien amenée, elle ne représente pas un coup de théâtre, et sans être prévisible, elle n’est pas surréaliste. Bref, c’est très bien joué.
« Je suis comme je suis »
Autre point global sur l’épisode. Oui, j’ai beaucoup insisté sur la subtilité des rapports entre les deux personnages centraux, mais je vais en rajouter une couche. Sauf qu’au lieu de me fixer sur la subtilité des rapports, je vais me pencher sur la subtilité des personnages en eux-mêmes, dans leur individualité.
Il n’y a ni bien ni mal dans cet épisode. En effet, même si on penche tous en faveur de Kerry parce qu’on y est attachés et qu’on considère tous que l’homophobie tue, le personnage de la mère n’est toutefois pas présenté comme un monstre avec une Bible dans chaque poche pour diffuser la bonne morale chrétienne. Certes, l’homosexualité de Kerry pose un problème, mais elle ne s’enfuit pas en courant pour autant, ni n’insulte sa fille. Car oui, c’est sa fille, et malgré toutes ces années où elles ne se sont pas connues, un lien très fort est établi entre elles, et même cette révélation, et la déception que la mère peut ressentir, elle est prête à faire un « sacrifice » de son côté, à laisser un peu à part la morale chrétienne et à aimer Kerry. Tout n’est pas aussi simple, j’en ai déjà parlé, mais j’ai vraiment aimé le fait qu’il n’y ait ni bon ni méchant dans cet épisode. Il y a simplement une divergence d’opinions, et là où je me serais révolté qu’au XXIème siècle l’on puisse encore penser qu’on pouvait aimer mais à condition d’entrer dans les rangs du parfait schéma familial chrétien, je ne peux pas me résoudre à poser des cornes sur la tête d’Helen Kingsley et faire d’elle la représentation du Mal véritable.
Elle ne peut pas lâcher la religion, elle ne peut pas fuir sa foi, la renier ainsi alors qu’elle s’y est tant attachée, alors que, comme elle le dit, l’Eglise l’a sauvée. C’est quelque chose qui m’échappe, personnellement, mais je conçois que certaines personnes aient besoin de se raccrocher à une foi préétablie, même si je déplore qu’on nous dicte une loi de conduite, une « bonne » parole aussi discriminatoires, à la limite de la haine (mais oui, Dieu est amour... mais pas pour tout le monde). Elle a beau ainsi n’être développée que sur un épisode, la mère de Kerry n’en est pas moins un personnage passionnant et multiple, prête à suivre une route différente, ou du moins à s’écarter légèrement du droit chemin tracé par la Bible pour donner son amour à sa fille, malgré leurs divergences.
La citation du jour
« Qu’y a-t-il chez nous de si particulier qui vous paraît bien plus menaçant que toutes les horreurs qui se passent dans le monde ? »
Merci Kerry d’avoir su mettre des mots sur une question que je me posais depuis pas mal de temps.
Des volontaires pour envoyer la cassette de cet épisode au Vatican ?
En vrac
Le reste de l’épisode semble assez anecdotique à côté de la storyline de Kerry, c’est pourquoi je ne développerai pas davantage.
J’aime de plus en plus Jane.
Kerry et Jake, c’est une affaire qui roule ! Les scènes avec Kerry sont en plus de véritables moments de bonheur. Et Jake a cette réplique, qui en plus d’apporter un brin d’humour, ajoute à l’idée que la vie privée influence forcément la vie professionnelle, qu’on ne peut jamais totalement séparer les deux : « Elle a des personnalités multiples ? »
Un joli clin d’œil à l’amitié Susan-Kerry. Non, elles ne font pas que se taper dessus du début à la fin de l’épisode, même si leurs rapports sont assez tendus au début. Le fait que Kerry se confie à Susan m’a fait très plaisir.
Cet épisode était risqué : les retrouvailles avec la mère de Kerry, la religion, l’homosexualité... Tant de thématiques vastes et complexes qui auraient pu faire individuellement l’objet d’un voire plusieurs épisodes. Mais c’est grâce à un traitement intelligent, une écriture brillante et subtile des personnages et une interprétation bouleversante que l’on obtient l’un des meilleurs épisodes, si ce n’est le meilleur, de cette saison.
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