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11.15 - Alone In A Crowd

Introspection forcée

samedi 26 novembre 2005, par Yerno

Dis maman, ça fait quoi quand on se retrouve dans un endroit rempli d’inconnus, sans pouvoir ni bouger ni parler ?

Je suis bloqué. Le syndrome de la page blanche. Et ça a le don de m’énerver. Et comme je m’énerve, je trouve encore moins les mots, du coup je m’énerve encore plus, bref, c’est un véritable cercle vicieux. Cet épisode, je l’ai aimé, beaucoup aimé. Mais voilà, je ne sais pas par quel bout le prendre. Je pourrais en suivre l’ordre chronologique, mais c’est un système dans lequel je ne me sens pas franchement à l’aise, j’aime mieux traiter chaque storyline une par une. Bon, d’accord, il n’y a pas cinquante storylines dans cet épisode, celle d’Elie Shore écrasant toutes les autres (heureusement, serais-je tenté de dire, parce que côté vie personnelle de nos urgentistes, c’est pas franchement la joie).

Je suis bloqué.

Elie Shore l’est aussi. (merci Jade pour la suggestion de transition... non, vous ne connaissez peut-être pas Jade, mais sachez que c’est une fille bien. très très bien.)

Prisonnière

Notre propre moi est généralement considéré comme un lieu sécurisant, un lieu dans lequel on peut se réfugier. En parfait égocentrique, c’est une « activité » (je ne sais pas trop quel autre terme employer) que j’aime « pratiquer », me renfermer sur moi-même. Ca me fait paraître asocial alors que je ne le suis pas du tout, mais le fait est que pas mal de monde, je pense, aime ces instants de solitude où l’on s’isole complètement du reste du monde.

Ces fameux instants peuvent toutefois virer au cauchemar lorsque l’isolement est total et non voulu. Ca peut paraître une évidence, mais j’avoue que je n’avais jamais pensé à cela avant même de commencer à écrire cette critique (même en voyant l’épisode !). La sensation de solitude est en cela très bien rendue, et évolue logiquement.

Le questionnement

Elie Shore perd connaissance dans sa cuisine. Quand un épisode s’ouvre sur une parfaite inconnue, on s’imagine tout de suite qu’un drame va arriver. Au début, je pensais qu’un hélicoptère allait tomber du ciel et défoncer la cuisine (et la femme avec), mais non, juste une petite perte de connaissance. Je suis déçu, Urgences, c’est moins impressionnant qu’avant... (employez un ton ironique pour prononcer la phrase précédente, merci). Le voyage dans l’ambulance, la voix off de la femme, tout nous laisse deviner que l’épisode sera centré sur Elie Shore, et plus précisément sur sa vie « intérieure », sur son questionnement - sur son propre état, l’environnement dans lequel elle va évoluer, sur les médecins et infirmières qui vont s’occuper d’elle.

Plusieurs personnes dans mon entourage ont fait un parallèle avec le 11.06 « Time of death », chose que je comprends avec le recul, mais sur le coup, j’avoue n’avoir pas du tout fait de rapprochement. Je sais, c’est pourtant assez évident, la structure est assez similaire, même si l’issue n’est pas fatale (oui, c’est une référence à un titre d’épisode d’Urgences, je vous laisse chercher), toutefois je n’ai pas fait la comparaison sur le moment. Et quand je lis la critique de Joma datant de l’année dernière, je suis plutôt content de n’avoir pas fait le rapprochement, puisque apparemment cela a gâché quelque peu sa vision de l’épisode.

La famille

Réflexe logique, Elie pense d’abord à ses enfants, à son mari, aux gens qui l’entourent et qui l’aiment. Ses enfants vont se retrouver livrés à eux-mêmes... mais heureusement, ils sont amenés à l’hôpital par une voisine. Bon, toute l’histoire autour de la famille n’a rien d’exceptionnel, je serais même tenté de dire que c’est devenu routinier aux Urgences. Toutefois, j’ai été très touché par la scène où les enfants voient leur mère allongée sur ce lit d’hôpital, où elle est paralysée, incapable de parler, et Elie qui tente désespérément de leur dire des mots de réconfort, de leur expliquer qu’elle ne va pas mourir (à ce sujet, j’ai beaucoup aimé les voix mêlées de Luka et Elie). Voilà, une scène qui m’a piqué les yeux, mais elles sont nombreuses dans cet épisode.

L’équipe médicale

C’est l’aspect plus « comique » de l’épisode : les commentaires sur les médecins et infirmières, et aussi la façon dont Elie interprète leurs mines. Le visage grave d’Abby, le sourire de Sam. Très intéressant d’avoir ce regard extérieur, presque le regard d’un téléspectateur, face aux réactions des médecins. Nous sommes de l’autre côté, aujourd’hui, et sans que l’épisode soit une succession de révélations sur « l’envers du décor » (qu’y aurait-il à révéler ?), c’est très sympa de suivre les réflexions d’une patiente. D’autant plus sympa qu’on ne peut s’empêcher de partager son point de vue sur les médecins. Notamment cette phrase d’une infirmière : « Je vais vous raser une partie du pubis ». Et Elie de penser « Génial ! ». C’est tout bête, mais cela m’a fait sourire, parce qu’un ou deux sarcasmes parmi toutes ces scènes assez traumatisantes, c’était vraiment loin d’être mal venu.

Le crush d’Elie sur Luka aide aussi à rendre l’ambiance de cet épisode un peu moins sombre et à nous faire sourire entre deux scènes tristes. C’est drôle, c’est frais, et à mon avis ça résume l’avis de pas mal de groupies sur Goran Visnjic (mais non, je ne vise personne en particulier). Ce Goran, quel homme populaire... même auprès des femmes mariées avec trois enfants. D’ailleurs, j’ai bien aimé la réplique d’Elie sur le fait qu’elle ait quatorze ans d’âge mental.

La panique

Diverses crises d’angoisse. Le sentiment de panique, les cris intérieurs d’Elie sont saisissants, et pour cela, je pense qu’il est préférable de voir l’épisode en version originale, la version française faisant souvent perdre de la qualité au jeu des acteurs, surtout quand le jeu repose, comme ici, entièrement sur la voix - oui, pendant les scènes de réanimation, on voit finalement assez peu le visage d’Elie. Il y a tout de même un passage que je souhaiterais commenter rapidement, celui qui à mon sens a le plus mis en valeur le jeu de Cynthia Nixon dans cet épisode. Cette scène où Abby, Luka et Sam discutent de son état. Et où nous sommes gratifiés d’un gros plan sur son œil. Il faut mettre beaucoup de force, beaucoup d’émotion dans son regard pour à ce point marquer un esprit (en l’occurrence le mien, je revendique ma subjectivité totale, chacun a ressenti cette scène à sa façon, moi j’ai été bouleversé) par un seul œil. Un œil qui exprime tant de choses... La perte de repères, la peur, l’appréhension, beaucoup de sentiments qui se rejoignent mais qui ont leurs nuances, nuances très bien exprimées par ce simple regard. Grand, très grand !

La scène dans le scanner est celle qui m’a le moins plu, tout simplement parce que cette scène est la moins « surprenante » de ces moments de panique. Des crises de « claustrophobie » dans un scanner, on en a vu plus d’une. L’état d’Elie l’empêche cependant d’alerter les médecins, et j’ai été beaucoup plus touché dans la suite de la scène, tandis qu’une larme s’échappe de son œil pendant que Sam confie ses histoires de cœur (toujours aussi gavantes et clichées, par la même occasion) à Abby. Tout ce jeu sur les yeux d’Elie m’a fait beaucoup plaisir, peut-être parce que je suis toujours très touché par ce que peut exprimer un regard, surtout au cinéma ou à la télévision. En effet, si je peux envisager qu’on puisse faire passer une émotion par le visage, par les gestes, autant je suis toujours aussi impressionné et surpris quand on arrive à me bouleverser par un simple plan sur le regard, sur ce qu’expriment des yeux, surtout quand il y a absence totale de larmes. Je vais me permettre un léger écart : la scène qui m’a le plus « choqué », le plus marqué, dans tous les films que j’ai pu voir (bon, c’est vrai, je n’en ai pas vu tant que ça), est la scène finale du film Mulholland Drive, que je ne raconterai pas pour ne pas gâcher la fin de ceux qui ne l’ont pas vu. Toujours est-il que dans cette scène, nous avons droit à un superbe gros plan sur un œil de Naomi Watts, un œil qui exprime énormément de sentiments (je ne dirai pas lesquels, ce serait spoiler ;-) ), c’est un plan qui m’a vraiment bouleversé. Non, ce n’est pas une justification, d’ailleurs je n’ai pas prétendu vouloir me justifier, parce qu’on n’a pas à justifier pourquoi telle ou telle chose nous touche plus qu’une autre. Je voulais simplement donner une illustration hors Urgences (j’arrête pas de raconter ma vie aujourd’hui, pardonnez-moi).

La peur

J’ai séparé cette partie de "La panique", parce que je ne vais pas parler de la peur d’Elie quand son cœur s’emballe ou quand quelque chose de physique en elle cloche. Non, je voudrais parler d’une autre scène qui m’a beaucoup marqué et plu, celle où son mari ne sait pas quoi faire, si Elie doit être opérée ou rester dans cet état indéfiniment. Elie hurle en elle, lance des insultes qui font sourire mais avec amertume (« Un peu de couilles ! »), parce qu’on a quand même très peur pour elle (même si on se doute de l’issue de ce dialogue de sourds - pour le coup l’expression est assez ironique). Finalement son mari s’approche d’elle, suite à un mouvement de la main gauche, et encore un de ces regards qui expriment tant. Un regard qui fera tout comprendre au mari d’ailleurs. Elie doit être opérée.

L’incohérence

Scène un peu plus « conceptuelle ». Elie est en train d’être opérée. Et un peu comme ce cliché très répandu qui dit que toute notre vie défile devant nos yeux quand on s’apprête à mourir, des mots défilent dans la tête d’Elie. On ne peut qu’entendre, on ne voit rien, mais on suppose que des images sont associées à ces mots. J’ai aimé ce court passage, plein de poésie et un peu plus inhabituel, plus onirique (c’est là que je me rends compte qu’on peut faire un nouveau rapprochement avec « Time of death », dans cette oscillation entre rêve et réalité, comme si on était au bord d’une falaise, avec un pied dans le vide, ne sachant pas si on va sauter ou pas). Bien sûr, l’oscillation est moins présente que dans « Time of death », mais elle ne passe que par les mots, et provoque ainsi une émotion toute différente. On peut pousser le parallèle jusqu’à dire qu’ici, on est presque dans l’inverse des hallucinations de Charlie dans « Time of death », qui lui voyait des images sans rien entendre ou presque, à peine un sifflement assourdissant. Elie, elle, entend des mots. Charlie meurt. Elie vivra.

Pourtant, j’en ai douté pendant une bonne partie de l’épisode. Tel que cela se présentait, et avec mon habitude des fins d’épisodes tragiques, je pensais sincèrement qu’Elie allait mourir à la fin de l’épisode. Ce happy end n’est pas superflu, il permet une bouffée d’air frais, comme un besoin de bonheur dans une série aussi dramatique.

La lassitude

Dernière étape du voyage d’Elie au Cook County. Etape la plus surprenante. Si tout a été pris avec beaucoup de sérieux tout au long de l’épisode, insistant sur les aspects les plus dramatiques de ce qui arrive à Elie, notre patiente finit par s’ennuyer. Pendant que d’autres tentent de lui sauver la vie. J’ai trouvé ce passage très bien trouvé également, parce que surprenant, justement, et parce qu’il a été bien amené. Les réactions d’Elie sont logiques et dans la continuité de ce qui lui arrive sur un plan plus physique.

La citation du jour

Dan, le mari d’Elie : Ce n’est pas un état végétatif, n’est-ce pas ?
Elie : C’est encore pire, Dan ! Je suis consciente, j’ai même pas la chance d’être dans le coma !

Touché.

En vrac

- Morris va se présenter au titre de Chef des Internes... laissez-moi rire.
- On en vient à supplier Pratt de se présenter ! Si ce n’est pas la preuve qu’il y a une grave crise des internes en ce moment aux Urgences du Cook County.
- Carter et Wendall... rappelez-moi ce que leur storyline vient faire là ? Ah, oui, il n’y avait que 38 minutes dans cet épisode, il fallait bien meubler pour atteindre les 42-43 minutes habituelles. Bon, en bon meublage, cette histoire est inintéressante, clichée et insipide. Je suis content qu’ils se séparent, peut-être que ça va nous permettre de passer à autre chose. Pitié, ne nous ramenez pas une autre groupie de Carter ! Non parce que, déjà que le personnage est devenu de plus en plus fade depuis la saison 7, si en plus vous lui collez une idiote, y’a pas de danger qu’on s’intéresse de nouveau au « doyen » d’Urgences.
- Neela et Ray... je ne vois pas trop où on veut en venir, mais si c’est là où je crois, je pars pas franchement enthousiaste.
- Abby et Dubenko... mort-de-rire ! Enfin un ship qui ne se prend pas au sérieux ! Non, franchement, autant j’aimais pas Dubenko, autant j’adore sa relation avec Abby... je ne veux surtout pas qu’ils finissent ensemble, mais s’il se met à la draguer, je sens que ça va devenir encore plus barré, donc encore plus drôle ! Continuez les amis, vous êtes pratiquement la seule storyline secondaire intéressante (ou du moins pas ennuyeuse) dans cet épisode !
- « Alone in a crowd » est le titre original de cet épisode. Pour les non anglophones, cela signifie plus ou moins « Seul parmi la foule ». C’est tout de même autre chose que ce pathétique « Peur muette » dont le 11.15 a été affublé en version française, non ?


Un bon épisode qui repose sur sa storyline principale et rend le reste assez indigeste. Toutefois, ces histoires secondaires occupant un temps très limité, l’on passe un très bon moment devant un épisode original, bien écrit, brillamment interprété, le tout servi par une réalisation toujours aussi soignée. Urgences n’est pas morte !