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5.12 - Bad Blood

Vean Pierre, t’as pas vu mon dentier ?

samedi 1er octobre 2005, par Sygbab

Loner décalé. Cette seule expression suffit au bonheur de tout X-Phile qui se respecte.

Vince Gilligan n’est pas Darin Morgan. Passé ce constat évident, je vais peut-être expliquer pourquoi non ? C’est simple, Darin Morgan est le maître incontesté des loners décalés, c’est d’ailleurs lui qui est à l’origine de ce concept dans la série, mais il s’est retiré à la fin de la saison 3 après le fameux Jose Chung’s From Outer Space qui reste son chef-d’oeuvre ultime. Il fallait donc bien quelqu’un pour reprendre le flambeau et exploiter le filon, afin de nous offrir quelques pépites scintillantes de mille feux. Ce successeur, c’est Vince Gilligan, qui s’était essayé à cet exercice périlleux avec Small Potatoes dans la saison 4. Seulement, il n’a pas été bête : il a tout de suite compris qu’il n’était pas de la même trempe que Morgan et qu’il ne pourrait jamais être à la hauteur s’il tentait d’avoir la même profondeur que son illustre prédecesseur. Il a donc tablé sur autre chose : les personnages. Mulder et Scully étaient secondaires pour Morgan, ils servaient surtout sa réflexion ; Gilligan choisit de centrer le propos sur eux et de tourner en dérision leurs défauts, leurs travers. Et pour ce faire, il les place dans des situations totalement ahurissantes, du nawak total complètement jouissif. En revanche, les dernières minutes tranchent de manière singulière avec le début de l’épisode puisque le ton est comique au départ pour ensuite aboutir à une situation assez stressante pour les deux agents qui se font une très grosse frayeur. Il me semble que c’est un point qu’il est important de noter car son style est un prolongement de celui du maître en la matière tout en y apportant une touche très personnelle qui se ressent et qui montre que la démarche est sincère et non forcée.

Certes, le principe de base de cet épisode est on ne peut plus usé et a été vu maintes et maintes fois dans de nombreuses séries : une même histoire narrée selon différents points de vue. C’est toutefois la meilleure manière de montrer ce que pense Mulder de Scully et inversement, mais bien entendu de façon exagérée. Les éléments scénaristiques amenant à cette situation ne sont de plus pas des justifications faciles ou sorties du chapeau : si les deux agents donnent chacun leur version des faits, c’est pour voir si elles ne divergent pas (Mulder va passer en commission pour répondre de ses actes car il a enfoncé un pieu dans le coeur d’un jeune homme, pensant que c’était un vampire, et il serait dommage que Scully ne corrobore pas sa version des faits) ; et si les langues se délient au point de s’envoyer des fleurs (en fait, c’est l’inverse, mais bon) c’est sans nul doute parce qu’ils sont encore sous l’influence de la drogue qu’ils ont absorbé à leur insu dans la communauté de vampires qui est au centre de l’intrigue. Mulder dénonce ici toute la froideur de Scully envers lui, rabat-joie avec son esprit rationnel et hermétique, alors qu’elle est tombée sous le charme du shérif ; Scully accuse Mulder de ne jamais rien lui expliquer et de l’emmener de force sur ses nouvelles affaires sans lui demander son avis. L’un dans l’autre, personne n’a tort, mais c’est l’exagération abusive qui rend le tout absurde.

Ce ne sont pas les seuls aspects concernant les deux personnages qui sont tournés en dérision. Mulder apparaît comme un obsessionnel outrancier qui s’attache aux moindres détails insignifiants, comme le lacet défait d’une des victimes. Malgré tout, cela aura son importance, comme il le pressentait, car cela trahit les besoins compulsifs des vampires. Ce qui le sauvera d’ailleurs, car il obligera Ronnie - le supposé vampire qu’il croit tuer dans le teaser - à ramasser en les comptant des... graines de tournesol. Pour une fois, ça lui aura vraiment servi d’en avoir sur lui. Quant à Scully, elle bénéficie de scènes très drôles : les séquences autopsies. On la voit fatiguée de devoir procéder à cette opération, du coup elle les balance (au propre avec les organes comme au figuré). Le contraste est d’ailleurs saisissant avec les séquences habituelles, qui sont généralement filmées suggestivement, apparaissant par reflet dans un objet ou dans les lunettes de Scully. Ici, pas de chichis : le coeur, les poumons, les boyaux encore dégoulinants, tout passe à l’écran. Ainsi, Gilligan montre qu’il a vraiment compris l’esprit des loners décalés, qui consiste à se moquer des éléments et schémas habituels de la série. Et Mulder et Scully en prennent vraiment pour leur grade.

Il n’oublie pas non plus de semer quelques références par ci par là. Pour commencer, nous avons droit à la sacro-sainte séance de diapos dans le bureau de Mulder, qui est très caractéristique des débuts de la série. Scène qui fait d’autant plus plaisir aux assidûs car ces diapos montrent des vaches dont le cou est percé de deux petits trous. Et ce sont exactement les mêmes que dans l’épisode 1.11, Eve... Une des possibilités évoquées pour ces morts mystérieuses est le Chupacabra, faisant référence au mauvais épisode de la saison 4 signé John Shiban (rien que le nom de ce scénariste me donne des sueurs froides, lui qui a commis l’affreux Teso Dos Bichos). Gilligan montre donc ainsi qu’il a une connaissance parfaite de la série, et ce genre de petits détails est toujours un plus énorme.

La deuxième partie de l’épisode est cependant un tout petit peu plus faible, mais pas de beaucoup. Le jeune homme que Mulder était censé avoir tué s’est échappé de la morgue, ce qui confirmerait la théorie de Mulder selon laquelle c’est un vampire. Il retourne donc enquêter, pour mieux s’apercevoir qu’il n’y a pas qu’un seul vampire... Outre le fait qu’elle soit aussi bourrée de gags (Mulder arrêtant Ronnie Strickland en faisant du rodéo sur un cercueil, Mulder essayant de repousser la horde de vampires qui l’assaillent en faisant une croix avec des bananes, etc...), j’aime beaucoup la façon dont Gilligan dépoussière le mythe des vampires. Si le shérif possède un charisme caractéristique des vampire, et qui fait se pâmer Scully, la petite communauté cherche avant tout à rester discrète. Sauf un dissident, le jeune Ronnie Strickland justement, qui est légèrement frustré à force de boire du sang de vache, décidant de devenir un vrai vampire de ce nom en tuant des humains, en dormant dans un cercueil et en portant des canines... En bref, il veut ressembler à Dracula en s’appropriant tous les clichés des vampires le concernant, véhiculés par les films et les livres.


C’est tout simplement mon épisode préféré de la série, et pas parce que j’adore Buffy. Tout simplement parce que c’est drôle, maîtrisé, et que les personnages s’en prennent plein la tronche.