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Six Feet Under

5.09 - Ecotone

Am I gonna have to separate you boys ?

dimanche 7 août 2005, par Feyrtys

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien,
Mais l’amour infini me montera dans l’âme ;
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, heureux - comme avec une femme.

Sensation, Arthur Rimbaud.

C’est à ce poème que j’ai pensé après avoir vu cet épisode. Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas tout de suite pensé à Rimbaud, j’ai d’abord découvert que l’expression « éclater en sanglots » n’était pas qu’une image, et après avoir fini la boîte de mouchoirs, j’ai repensé à ce poème. Ca tient un peu du masochisme, parce que je ne peux réciter ce poème sans finir par fondre en larmes (et là encore, c’est loin d’être une simple métaphore).

Je déteste les expressions « il s’en est allé », « il est parti », « il n’est plus », « il est décédé », tout ce qui parle de la mort sans la nommer. Tout ce que j’arrive à écrire, c’est « Nate est mort ». C’est un peu brutal, pourtant, c’est tout ce que j’arrive à dire.

Nate est mort.

Est-ce un bon signe que d’avoir la tête qui explose après avoir fait l’amour à une femme ? Si mourir dans ces conditions pourrait paraître enviable une fois atteint un âge respectable, c’est déjà beaucoup discutable quand on a seulement 40 ans et une épouse enceinte que l’on vient de tromper.

Je n’arrive pas à me décider. Est-ce que Nate avait enfin atteint l’état de bonheur qu’il recherchait ? Ou bien a-t-il fui Brenda parce que, en tant que narcissiste absolu, il ne pouvait affronter les obstacles sur leur route ? Nate était-il lâche ou au contraire, a-t-il, pour la première fois de sa vie, eu suffisamment de courage pour prendre une décision ?

J’aime beaucoup Maggie. Depuis le début. Je la trouve douce, paisible, sereine, et en même temps fragilisée par les drames qu’elle a vécu. Forte, mais pas tant que ça. Le problème c’est que j’aime beaucoup Brenda également. Son énergie, son amour profond pour Nate et Maya, sa façon de gérer (ou de ne pas gérer) ses problèmes, son côté complètement « fucked up » qui fait qu’elle est aussi beaucoup plus humaine que la quasi parfaite Maggie. Mais l’on sent Maggie plus ouverte, plus à même d’être réconfortée par Nate, alors que Brenda ne laisse jamais personne l’aider. Peut-être Nate avait-il besoin de se sentir utile, besoin de savoir qu’il pouvait rendre quelqu’un heureux. Peut-être a-t-il vraiment trouvé la paix avec une femme, après des années de lutte avec Brenda. Il croyait que leur amour était passionnel, il s’est rendu compte que ce n’était que du théâtre, une façon (peu épanouissante) de s’aliéner à une personne. Ou bien a-t-il joué l’autruche encore une fois, et cherché du réconfort là où il était sûr d’en recevoir, comme à l’époque où il est retourné chez Lisa…

Je crois surtout que Nate a étouffé sa personnalité pour devenir une personne qui lui était étrangère. Il l’a étouffée parce qu’il a tout fait pour répondre aux attentes des gens autour de lui. En bon fils, il est revenu à la maison après la mort de son père. En bon père, il a épousé une femme qu’il n’aimait pas et élevé un enfant dont il ne voulait pas au départ. En bon compagnon, il a demandé en mariage une femme dont il n’était pas sûr de pouvoir vivre avec et lui a fait un enfant parce qu’elle le désirait plus que tout. Nate est devenu un être frustré, perdu, à la recherche d’un bonheur qu’il ne s’autorisait pas. Incapable de prendre une décision, il a surtout erré, cherché à savoir s’il était véritablement heureux ou si tout ça n’était qu’une mascarade.

Je pense qu’il a été attiré par la sérénité de Maggie, et surtout par l’image qu’elle lui renvoyait de lui-même : un homme qui pouvait connaître la paix.

Seulement c’était trop tard.

Maggie vient de laisser partir les ambulanciers. Elle rentre dans la voiture de Nate (la sienne est en panne et c’est l’excuse que Nate avait eu pour venir la chercher) et ne répond pas au portable que Nate a laissé dans son blouson. Elle sait que c’est Brenda, que celle-ci s’inquiète de ne pas voir rentrer son mari. Maggie appelle David à la place, et le prie, sans rien ajouter, de contacter Brenda. David comprend immédiatement ce qui a pu se passer entre eux, mais ne s’attarde pas sur cette situation : il appelle Brenda et lui explique rapidement la situation, sans répondre aux questions fatidiques : où était Nate au moment où il a perdu connaissance, et qui a prévenu David plutôt qu’elle ?

Claire est au restaurant avec Ted lorsque David la prévient à son tour. Claire et Ted étaient en pleine discussion pour le moins animée, à propos de la guerre en Irak. L’avocat se révèle être un républicain pro-Bush, ou du moins, pro-interventionniste. Claire se démenait pour lui montrer à quel point il avait tort, mais le Ted ne se démontait pas et le rendez-vous aurait pu se finir là. Mais après le coup de téléphone, tout change. Claire se rend à l’hôpital, panique, imagine le pire pour son frère, pour sa mère qui reste injoignable, et ne trouve de réconfort qu’en la présence de Ted.

D’ailleurs, le réconfort est difficile à trouver dans la salle d’attente de chirurgie. Brenda se retrouve seule de son côté, Maggie à l’autre bout de la salle, Claire et Ted ensemble et David comptant sur le soutien de Keith et des enfants. Brenda est complètement isolée du reste de la famille Fisher, c’est flagrant dans cet épisode.

Brenda n’est pas aveugle, elle sait très bien que pendant les deux heures où elle attendu Nate à l’église, puis chez eux, il s’est passé quelque chose entre lui et Maggie. Elle le sait, elle l’a compris, tout comme David, qui est cependant assez intelligent pour ne pas juger Maggie. Mais l’heure n’est pas aux règlements de compte, et je suis contente que les scénaristes n’aient pas donné à Brenda une scène d’hystérie dans laquelle elle aurait sauté à la gorge de Maggie. Non, l’heure est à l’inquiétude, parce que la vie de Nate est en danger, parce que l’avenir est incertain et parce que tout est arrivé trop vite. Brenda aura tout de même des mots durs envers Maggie, à qui elle demandera en sous-entendus s’ils ont pensé à elle, enceinte et inquiète, pendant qu’ils faisaient l’amour.

Ruth est absente du huis-clos qu’est devenu la salle d’attente ; elle reste injoignable. Son coup de tête, partir en camping avec Hiram, a des conséquences tragiques...
En plus, sa nuit romantique tourne au fiasco : elle n’en veux plus du désir des hommes, elle n’en veux plus de la « luxure » qui l’aveugle et qui l’empêche de prendre des bonnes décisions. Hiram est à mille lieux de comprendre ce qui se passe dans la tête de Ruth et finalement, les deux se disputent et Ruth décide de rejoindre Los Angeles par ses propres moyens. Sur la route, elle profitera de sa solitude pour faire le point de sa vie amoureuse : tous les hommes qui sont entrés dans sa vie ont plus ou moins profités d’elle. Sa façon de se défaire de ce passé ? S’imaginer abattre, un à un, les amants qui ont parcouru sa vie. Elle commence par le premier, Hiram. Puis vient le russe, ensuite Arthur, et George. Pour finir, Nathaniel, le premier, le père des enfants. Il croyait y réchapper, mais non, il est certainement celui qui est le plus responsable du ras-le-bol de Ruth.

La scène est hautement jouissive. Frances Conroy y est exceptionnelle. Sa façon de recharger son fusil de chasse pour achever Nathaniel est tout simplement grandiose. Je propose de garder cette scène comme catharsis pour toutes les femmes célibataires de plus de 45 ans qui ont accumulé les relations bancales, les hommes abusifs et les mauvaises décisions sentimentales. En somme, j’offre cette scène à ma chère mère, en souvenir de toutes les fois où elle s’est dit : mais enfin, pourquoi faut-il que je tombe toujours sur des hommes pareil ?

Je pensais que Nate ne survivrait pas à l’opération. Je m’attendais déjà aux complications, à l’arrêt cardiaque, j’imaginais le pire en même temps que Claire qui paniquait dans la salle d’attente. Pourtant, il s’est réveillé. Alors que les médecins ne pouvaient être sûrs qu’il sortirait du coma dans lequel il était après l’opération, il finit par ouvrir les yeux, parle, semble parfaitement normal.

La première personne qu’il voit est Brenda, qui était à son chevet. Elle lui demande s’il se rappelle qui elle est ou il se trouve ; les réponses sont justes mais Nate les prononce comme une défaite… Ce n’est pas Brenda qu’il souhaite voir, c’est Maggie. D’ailleurs, quand celle-ci entre dans la chambre un peu plus tard, le visage de Nate rayonne autant qu’il s’assombrit au contact de Brenda… Il a l’attitude de ces jeunes couples amoureux qui ne peuvent se quitter des yeux, ceux qui vous donnent envie de les séparer avec un seau d’eau froide… Et pourtant, ils sont beaux tous les deux, souriant, heureux, vivant dans le présent. On voudrait les détester mais on n’y arrive pas vraiment…

Brenda, pendant ce temps, est allée chercher Maya, qu’elle a été obligée de laisser à sa mère (la nouvelle a failli provoquer une autre attaque cérébrale chez Nate). Rien, absolument rien, ne la laissait présager de la conversation qu’elle allait avoir avec Nate à son retour. Elle était prête à tout lui pardonner (comme quoi, pour tromper votre femme, le meilleur moment est encore quand vous risquez d’y passer), à tout faire pour essayer d’arranger les choses entre eux. Mais Nate ne veut plus essayer. La rupture est odieuse, insupportable, mais elle est aussi incroyablement juste. Nate a failli mourir. Il n’est plus question de « tenter » quoi que ce soit, il doit agir et il ne peut attendre plus longtemps. La conversation qu’ils ont tous les deux est d’ailleurs à mettre en parallèle avec une autre de leur conversation, mais celle-là rêvée par Nate alors qu’il était toujours inconscient. Brenda, assise dans le même rocking-chair où elle avait accepté la demande en mariage de Nate la saison dernière, l’entend lui dire que tout est fini entre eux., qu’il a réalisé que lui et elle n’étaient pas fait pour être ensemble, n’étaient pas "destinés" l’un à l’autre.

« Meant to be ? What quaker bullshit… You think you and Maggie are meant to be after you slept with her, what, once ? How old are you ? Fifteen ?

- No, I’m forty years old. »

C’est là qu’est peut-être la réponse. Nate pourrait paraître odieusement narcissique, immature et lâche, mais il pourrait également enfin vivre pour lui, se débarrasser de tout ce qui le frustre et l’empêche d’être lui-même. Les deux sont parfaitement possibles.

Et c’est en pensant à cela que j’ai vu un lien entre le mort de l’épisode et Nate. C’est peut-être un peu tiré par les cheveux, je ne sais pas, mais voilà comment je le vois : le mort de l’épisode est un sportif courant sur les hauteurs de Los Angeles qui se fait dévorer par un couguar. Lorsque Rico parle de cet étrange accident à Nate, celui-ci parle d’"écotone", qui décrit une zone où deux écosystèmes se rencontrent.

Dans le cas de Nate, il me semble qu’il y a deux éléments qu’il ne faut pas oublier en ce qui le concerne : sa rencontre avec le serpent, dans l’épisode 6 de la saison 3 intitulé « Making love work », et sa rencontre avec l’oiseau, lors de son anniversaire un peu plus tôt dans cette saison. Dans le premier, Nate avait violemment tué un serpent qui menaçait sa fille. Maya, lui et Lisa étaient partis en camping avec un couple d’amis et étaient bien décidés à faire fonctionner leur couple, à "faire fonctionner l’amour". Nate était à ce moment là en pleine frustration sexuelle et émotionnelle, loin, très loin d’être heureux avec Lisa mais incapable de changer sa situation. Le serpent, sur lequel il s’était largement acharné, représentait de mon point de vue le désir étouffé de Nate, le sexe dont il avait besoin mais qu’il ne pouvait réclamer, parce que Lisa n’était plus son amante, mais la mère de sa fille.
L’oiseau, dans l’épisode Time Flies, était encore une fois une image de cette nature un peu sauvage qui s’introduisait dans la vie de Nate. Là encore, Nate achevait l’animal sans ménagement pour finalement le jeter avec les ordures… On pourrait dire que l’oiseau représentait cet état de liberté et de simplicité que Nate recherchait sans vraiment se l’autoriser.

D’un côté nous avons la nature et son côté sauvage, menaçante ou inoffensive, et de l’autre, un homme qui réfrène ses désirs, ses envies, pour se conformer à une certaine image qu’on attend de lui. D’un côté, nous avons un Nate muselé et lâche, et de l’autre, un Nate amoureux et enfin serein.

Lorsqu’il se réveille, Nate vit dans son propre écotone : la rencontre entre ces deux états, l’un la frustration et la lâcheté, l’autre le bonheur. A l’annonce de leur rupture, Brenda lui avoue qu’elle ne pense pas qu’il puisse s’engager envers quiconque, même pas lui-même… C’est possible. Mais l’autre Nate, celui qui rayonne aux côtés de Maggie, est également présent. Les deux états cohabitent en lui au même moment. Il ne s’agit pas de décider lequel de ces deux "Nate" est le "vrai". Il s’agit de montrer la complexité de l’être humain et son opacité. Il nous est impossible de dire si Nate est sincère avec lui-même tout simplement parce qu’il n’arrive pas à le savoir lui-même. Les plus optimistes diront, comme je suis encline à le penser, qu’il a enfin trouvé le bonheur. Les autres, peut-être plus réalistes, diront qu’il a encore fui devant la difficulté et qu’il s’est inventé des excuses pour se réconforter dans les bras de Maggie.

De toutes façons, cela n’a plus beaucoup d’importance, il est mort.

Il n’était pas complètement seul cependant. David était avec lui, et les deux frères ont partagé un étrange rêve en guise d’adieu…

Dans ce rêve, David prend l’apparence d’un surfeur bronzé et dopé qui l’entraîne, à l’arrière d’une fourgonnette, sur la plage. Le conducteur n’est autre que… leur père, en costume de croque-mort. Nate avoue à David qu’il avait une toute autre idée de lui, sérieux, presque opprimé dans son costume de travail. Est-ce David qui voudrait que son frère le voit tel qu’il voudrait être, à savoir décontracté, jeune et insouciant ? Ou bien est-ce Nate qui voudrait que son frère "se lâche" ? Impossible de le savoir. Les deux frères partagent un fou rire et la fourgonnette fait un arrêt brusque. Le conducteur, Nathaniel, gronde : « Am I gonna have to separate you boys ? », puis éclate d’un rire bizarre, presque inquiétant.

Arrivés sur la plage, Nate est attiré par la beauté de l’océan. « I’m going in ! » annonce-t-il, le sourire aux lèvres. « It’s up to you », répond son père. David est plus réservé : « Don’t be stupid ».

« Stupid ? stupid ? this is what we came here to do, you asshole ! », lui rétorque Nate, visiblement prêt à franchir le pas…

« There could be sharks. » prévient son frère, soudain paralysé par la peur.

Le rêve change alors brusquement de couleurs. David revêt son habit de croque-mort et apparaît en noir en blanc alors que le bleu de la mer est beaucoup plus intense. « Why don’t you join him ? », lui demande son père, qui soudain ressemble plus au diable, ou à la mort, qu’à un vrai père. « Why don’t you join him ? » rétorquera David, durement.

Et Nate plonge dans l’océan, non sans essayer de convaincre son frère une dernière fois. L’eau est tellement bonne… Puis il disparaît en y plongeant, et l’on entend au loin un bip strident. Nathaniel s’approche alors de David et lui propose du crack… David se réveille brusquement pour découvrir que son frère est mort.

C’est un rêve très mystérieux, mais suffisamment puissant pour faire parler facilement les métaphores de vie, de mort, de choix et de risque.


C’est un épisode magnifique, qui nous prend par surprise, qui nous assomme et nous dit : la mort est partout. On croyait Nate sauvé, on le croyait incroyablement chanceux, mais il n’était qu’en sursis. Et finalement, on est tous comme lui. La mort n’est pas qu’au bout du chemin, elle est partout, elle nous entoure et comme dirait un autre poète, elle nous poursuit d’un zèle imbécile.