Accueil > Reviews > Saison 2005/2006 > Six Feet Under - Saison 5 > 5.12 - Everyone’s waiting
Six Feet Under
5.12 - Everyone’s waiting
Dolce Agonia
mardi 13 septembre 2005, par
Nous finissons comme nous avons commencé : dans la passivité. La naissance vient comme par accident, comme par mystère, elle est fragile, et contient à la fois tout notre être. La naissance nous donne en main nos cartes, que seul le temps nous permet de déchiffrer. C’est à la fin, et seulement à la fin, que nous pouvons leur donner un sens. La mort donne un sens à la vie et lui retire en même temps. Mehr Licht ! Fiat Lux ! La mort est l’événement d’une lumière finale et l’obscurité définitive.
Restent les vivants. Restent les parents, les frères, les sœurs, les enfants, les amants, les amis. Restent la mémoire qu’ils entretiennent de nous, notre passé qui n’est plus, il est le leur. Notre propre mort n’arrive qu’aux autres, aux proches, à ceux qui sont là. « La tombe ignore le souvenir même de Dieu », dit Kierkegaard : une fois mort, nous ne sommes plus rien qu’un passé réinventé par ceux qui restent.
Alan Ball a donné naissance à des personnages singuliers, exceptionnels, mais qui au fond nous ressemblent : il les a rendu heureux, les a fait souffrir, les a fait grandir, les a fait mourir. Alan Ball se prendrait-il pour Dieu ? Au moment où j’ai vu le dernier épisode de Six Feet Under, je lisais Dolce Agonia de Nancy Huston, et les similitudes de ces deux œuvres m’ont frappé. Dans Dolce Agonia, Dieu se prend pour un romancier et nous raconte l’histoire de 12 personnes, 12 amis, se retrouvant un soir de Thanksgiving. Le roman est entrecoupé par le récit de la mort de ces 12 personnes. On apprend à les connaître, et bam ! on les voit mourir dans un futur plus ou moins proche, les uns après les autres, de vieillesse naturelle, d’accident, de suicide, de cancer, de folie... Leur journée de Thanksgiving prend alors un tout autre sens. Le récit même de leur vie prend une toute autre dimension.
Ce changement de regard s’est produit avec ce dernier épisode de Six Feet Under. Toute la série se regarde maintenant à travers un prisme différent. Ce n’est plus 5 ans de la vie de ces personnages que nous avons traversé, c’est toute leur vie. La boucle ne pouvait pas être mieux bouclée : la série a commencé par une mort, elle finit par une naissance, puis, dans un clip final qui ne ressemble pas à du Six Feet Under, mais qui est TOUT Six Feet Under, nous effleurons, pendant la durée d’une chanson, la mort de chacun des personnages. Leur mort, mais pas seulement : leurs mariages également, les enfants qui grandissent, qui deviennent des adultes qui ont des enfants à leur tour... Aucun cliché n’est plus éculé que celui du cycle de la vie. Et pourtant, il est précisément tout ce que nous connaissons et ne connaîtrons jamais.
Lorsque Nathaniel est mort, lors de la première saison, la vie de sa famille s’en est retrouvée bouleversée. Chaque personnage a évolué à partir de cette mort, pendant 5 ans. Il serait vain de décrire tous les changements par lesquels la famille Fisher, Diaz ou Chenowitz sont passés, car ils sont nombreux et finalement assez subjectifs. Une chose est sûre : ils finissent tous par trouver leur propre voie menant au bonheur.
Ruth, qui croyait ne jamais pouvoir se remettre de la mort de son fils, retrouve peu à peu des forces, et au lieu de se réfugier dans les bras de George, déménage avec Bettina chez sa sœur, où elle ouvre un lieu d’accueil pour... chiens. Les hommes ont eu suffisamment d’influence comme ça dans sa vie : elle a compris qu’elle devait vivre pour elle, et seulement pour elle. George et elle ne se quittent pas pour autant, mais habitent chacun de leur côté, jusqu’à ce que la maladie, ou la vieillesse, l’emporte. Ruth a alors 79 ans et pour la dernière fois, elle aperçoit son mari, cigarette à la main, et son fils, qui l’attend avec le sourire. Elle s’éteint, ses enfants et son compagnon à ses côtés.
David et Keith se marient ; Durrell devient entrepreneur de pompes funèbres à son tour, rencontre une femme avec qui il aura 3 enfants. Anthony se révèle être gay. Keith fonde sa propre compagnie de sécurité, Charles Security ; il meurt abattu par des voleurs à l’âge de 61 ans. David en a 75 quand il s’éteint soudainement, à côté de son dernier compagnon.
Rico (de son vrai prénom Hector Federico) ouvre sa propre entreprise de pompes funèbres avec l’aide de sa femme, et meurt lors d’une croisière à l’âge de 75 ans.
Brenda trouve finalement l’homme de sa vie dans la personne de Daniel Nathanson, avec qui elle aura un fils, Forrest. Willa et Maya grandissent et fondent leur propre famille. Alors qu’elle écoute son frère Billy déblatérer sur tout et sur rien, Brenda s’écroule, à l’âge de 82 ans.
Claire, enfin, devient une artiste très reconnue. Lors de l’enterrement de sa mère, Ted, refait une apparition et le couple se marie quelques temps plus tard. Agée de plus de 100 ans, Claire s’éteint paisiblement chez elle.
C’est l’ombre pâle d’un père
Qui mourut en nous nommant ;
C’est une sœur, c’est un frère,
Qui nous devance un moment,
Tous ceux enfin dont la vie
Un jour ou l’autre ravie,
Emporte une part de nous,
Murmurent sous la pierre :
« Vous qui voyez la lumière ;
De nous vous souvenez-vous ? »
Alphonse de Lamartine
Pensées des Morts
Pour parler de la mort, Alan Ball n’a rien fait de mieux que de parler de la vie. Personne n’échappe à la mort, nous dit Six Feet Under, mais il n’y a pas de raison d’être pessimiste : l’espoir est de rigueur. Car la vie est tout à la fois, le désir et l’absence de désir, la croissance et le déclin, la passion et le vide, la maladie et la santé, l’amour et le mensonge, la vie n’est qu’une succession d’événements qui adviennent. May Six Feet Under rest in peace.