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Six Feet Under
5.10 - All Alone
We lost him too
vendredi 2 septembre 2005, par
Autant vous le dire tout de suite, c’est difficile de faire la review d’un épisode quand on a eu les yeux embués par les larmes pendant 50 minutes. Bien entendu, je peux toujours le visionner une seconde fois. Mais même après avoir laissé passer du temps, l’épisode me fait autant d’effet : je passe du sanglot au reniflement intempestif aux larmes qui coulent toutes seules sans que je m’en rende compte. On pourrait croire, à me lire, que je suis particulièrement émotive. Alors que ce n’est pas le cas. Peu de choses me touchent vraiment. Il n’y a que Six Feet Under pour me faire autant d’effet !
Montrer le vide, l’absence, le désespoir, le bouleversement : voilà le but de cet épisode. Montrer le deuil.
Le pilote s’était déjà proposé de montrer comment une famille somme toute assez banale (aucune famille ne l’est vraiment au fond, mais disons que cette famille n’avait rien d’extraordinaire) affronte un événement déterminant : la mort du patriarche. Ruth explosait, Nate cherchait sa place, David refoulait tant bien que mal tout son être et Claire était high jusqu’à l’os.
La situation est différente mais les réactions de chacun ressemblent à celles qu’ils ont eu lors de la mort de Nathaniel. David se plonge dans le travail ; Claire essaye d’oublier tant bien que mal, et Ruth est un fantôme, une âme en peine. Elle erre en robe de chambre, négligée, cherche à comprendre ce qui s’est passé, ne PEUX pas comprendre ce qui s’est passé. Comment pourrait-elle ? Son fils aîné est mort. On n’est pas censé voir ses enfants mourir. On se prépare à les laisser, eux, à leur dire au revoir. Mais jamais on ne se prépare à les enterrer.
Ruth (Frances Conroy est exceptionnelle) est vide, épuisée, et le peu de force qui lui reste est de la colère. Heureusement, Bettina est là pour la droguer et la faire boire… Bettina est le genre d’amie que l’on rêve d’avoir : elle est présente, mais sans être de trop. Elle ne dit rien, mais elle épaule. Bettina sauve Ruth de la folie, j’en suis sûre. De la folie ou de la dépression à vie, ce qui doit au fond revenir au même j’imagine. Sarah vient aider sa sœur elle aussi : « God is a huge asshole », lui confirmera-t-elle… God is a huge asshole.
Ruth, Claire et David pourraient se déchirer. C’est souvent ce qui arrive lorsque quelqu’un meurt : la peine sépare plus qu’elle ne rapproche. Ruth aurait pu faire la guerre à David à propos de l’enterrement « écolo » que Nate désirait. Comme il l’avait dit au moment de sa conversion à la mode quaker, il préférait un enterrement à même la terre plutôt qu’une crémation. Ruth aurait pu faire fi de ce dernier souhait pour garder le corps de son fils dans le caveau familial. Mais heureusement, elle finit par accepter le souhait de son fils. Etre enterré sans être embaumé, sans cercueil, sans présentation du corps aux vivants… Etre jeté dans un trou, vulgairement, sans cérémonie particulière. Revenir à la terre, à la nature, disparaître dans un tout qui nous dépasse.
On ne peut pas dire que Nate ait choisi ce qui est le plus facile pour sa famille. Ses organes ont été récoltés, et avec du coton à la place des orbites, il ressemble plus à un monstre qu’à un homme. Placé dans un sac de lin, porté à mains nues par sa famille, enterré par eux, c’est beaucoup demander pour ceux qui restent, me semble-t-il. Mais il ne faut pas oublier ce que Nate disait à David et à sa mère lors de l’enterrement de Nathaniel : il faut savoir laisser aller ses émotions, même si les conventions ne le permettent pas, même si on a l’habitude de vivre dans un monde propre, qui n’affronte ni la maladie ni la mort. Devoir porter le corps de quelqu’un qu’on a aimé, devoir le recouvrir de terre, puis le laisser disparaître sans laisser aucune pierre tombale, c’est également une façon d’affronter la mort et de peut-être, qui sait, de lier des liens particuliers avec le mort. J’imagine qu’alors, lorsqu’il n’y a pas de cimetière, pas de croix, pas de stèle, et pas de cercueil, le mort prend une nouvelle forme : il est retourné à la nature, en quelque sorte. Finalement, le cercueil préserve le corps de rentrer en contact avec la terre, il le préserve de la décomposition et dans un sens, de la disparition. L’enterrement « écolo » de Nate oblige les vivants à se rattacher à une autre forme de présence du mort. Non que les Fisher aient été particulièrement attachés à la tombe de Nathaniel (il n’y a guère que Claire qui lui rende visite une fois), mais il y a une différence entre savoir que le corps est « à l’abri » dans un cimetière et le savoir littéralement mangé par les vers, désolée pour l’image.
Là où une autre famille aurait eu seulement à faire face à la peine, laissant l’organisation aux soins d’une entreprise de pompes funèbres, les Fisher doivent s’occuper du corps de leur défunt. Dans le pilote, cet état particulier ne m’avait pas marqué : David recousant son père, c’était bizarre, certes, mais ça ne m’avait pas marqué plus que ça. Dans cet épisode, lorsque David éponge le corps de son frère pour empêcher la déshydratation de la peau, je me suis rendue compte de la particularité de ce métier. J’ai été mortifiée de voir David obligé de s’occuper ainsi de son frère, et en même temps, lorsque Ruth le rejoint et se met à caresser les cheveux de son fils, le geste touche à la grâce. On dirait presque que David et Ruth tentent de le ramener à la vie par leurs soins. C’est là que je me suis dit qu’ils étaient chanceux de pouvoir, une dernière fois, toucher le frère, le fils. Que l’absence de peur et de dégoût face à un corps inanimé était une chance précieuse, car elle permet de dire au revoir « comme il faut », en gardant les yeux ouverts et en s’approchant une dernière fois.
David doit faire face à ses vieux démons, sous la forme de la silhouette rouge à capuche (une sorte de petit chaperon rouge revisité) qu’il aperçoit partout. David se sent de nouveau vulnérable à la mort, à la peur, à tout. David a littéralement peur de tout. Le monde sauf qu’il avait réussi à se construire après son agression est devenu dangereux. Ses attaques de panique sont brutales et paraissent insurmontables. Il manque de ne pouvoir descendre de voiture pour assister à l’enterrement de son frère. Mais Ruth n’entend pas lui faire de faveur : il se doit d’être présent, malgré sa douleur, malgré sa peur. Ruth prend son fils par la main… Et la cérémonie permettra à David de pleurer son frère, alors qu’il ne s’était pas laissé cette liberté là depuis sa mort, trop occupé à tout faire…
Claire, quant à elle, trouve du réconfort dans la présence de Ted. Elle a besoin de partir, lui dit-elle, prostrée dans sa salle de bain. Il viendra la chercher et l’emmènera loin, aussi loin que possible. Elle lui dira qu’elle ne se rappelle d’aucun bon moment avec son frère. Rien que du vague. Elle se rappelle de lui avoir dit qu’il n’était pas son père, de lui en avoir voulu pour ça. Finalement, Kurt Cobain lui viendra en aide : son frère (éternel adolescent, il faut croire) a pleuré le jour de la mort du chanteur de Nirvana… A 30 ans, c’est quelque peu immature, mais c’est Nate, ça ne m’étonne pas plus que ça. Il pensait que Kurt Cobain était « trop pur » pour ce monde. Et pour se consoler, il fumait de l’herbe, et en proposait à la petite Claire… Souvenir heureux, je veux bien le croire !
Ce qui m’a le plus marqué dans cet épisode, c’est la solitude de Brenda. Ruth a Bettina et Sarah ; Claire a Ted, David a Keith et ses enfants, même Maggie trouve du réconfort auprès de Ruth ! Mais qu’est-ce qu’elle fait là d’abord, Maggie ? Qui lui a demandé de venir ? Sa présence à l’enterrement m’était insupportable, et même si j’aime son personnage, je me suis demandée ce qui l’a poussé à venir. Brenda est seule, seule avec Maya, seule avec sa mère (qui n’a, pour conseil, qu’une bouteille de vodka). Brenda est surtout seule avec sa colère et son ressentiment envers Nate. Elle voudrait pouvoir être triste, pleurer son mari, mais la colère l’en empêche, et comment pourrait-on lui en vouloir ?
En plus de se retrouver veuve, elle est plus ou moins coincée avec cette idée que, de toutes façons, leur mariage était déjà mort. Elle n’a même pas le droit, comme toutes les veuves, de pleurer sur le fait que son amour, le père de ses enfants, l’ a quitté. Elle ne peut que s’imaginer Nate dans un lit avec une autre. Mais que Maggie n’essaye pas de se justifier auprès d’elle, car Brenda sait quoi lui répondre : « All he ever wanted was someone who could make him feel like he was a better man than he actually was. Could have been anyone. »
Brenda est perdue, incapable de se laisser aller à la tristesse. Personne n’est là pour l’épauler, même pas la famille de Nate… Comble de l’ironie, sa voiture ne démarre pas après l’enterrement. Elle se retrouve seule, dans sa voiture (rouge, alors que toutes les autres sont noires), et Nate lui apparaît à nouveau. Et lui assène tout ce dont elle se sent responsable : ne pas être une bonne mère pour Maya, avoir choisi Nate pour compagnon alors qu’elle savait que leur relation ne pourrait fonctionner, détruire toute bonne chose qui lui arrive de façon systématique. La liste est dure, mais le pire juge dans ces cas là est souvent soi-même.
Brenda ne voit pas d’autre solution que de laisser Maya à Ruth. On lui en veut (je lui en ai voulu en tout cas), et en même temps, on ne peut s’empêcher de la comprendre. Elle n’était pas en état de s’occuper de Maya, car sa colère contre Nate se répercutait sur sa fille, qu’elle le veuille ou non. Comme beaucoup de parents, elle pense d’abord à ce qu’il y a de « mieux » pour son enfant. Quitte à se sacrifier et à faire encore plus de peine à Maya. Mais ça, Brenda ne le voit pas.
De retour chez elle, Brenda surprend son frère qui est venu la rejoindre. Elle s’écroule, en larmes, contre lui. C’est tout ce dont elle avait besoin…
Un épisode haut en émotion, mais qui ne sombre pas dans le déchaînement de violons. Chaque membre de la famille Fisher s’écroule, en larmes, les uns après les autres : d’abord Ruth dans son rêve, puis Claire dans la voiture de Ted, David à l’enterrement, et enfin Brenda dans les bras de son frère… Il est difficile de ne pas verser sa larme…