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1.04 - Enigma

Par un ami commun

samedi 3 janvier 2004, par Le Trekker Greg

En aidant un vieil homme à retrouver un amour depuis longtemps perdu, Johnny tombe lui même amoureux de la femme dont il découvre la jeunesse dans ses visions.



Je peux dire sans me tromper que mon avis sur cet épisode sera plutôt marginal car j’ai adoré et pourtant il n’a rien de très fédérateur. Voici pourquoi :



I° Johnny au service des autres.


Arthur, un viel homme, militaire durant la 2nd Guerre Mondiale, vient demander de l’aide auprès de Johnny afin de retrouver Abby, la fille dont il était amoureux pendant la guerre. Il jure l’avoir aperçue récemment au milieu de la foule de Manhattan, aussi jeune que dans ses souvenirs.

Johnny tente de le raisonner en lui assurant que c’est impossible, qu’il a certainement eu une hallucination. Mais en le touchant, il est témoin de ce moment. Intrigué
(et même plus que ça : j’y reviens plus tard), il décide de se rendre à New York sur les traces de cette vision pour en résoudre l’énigme...

... qui n’en est pas une pour le téléspectateur, en fait. Ben oui, il nous vient tout logiquement à l’esprit que cette fille est la petite-fille de l’ancienne fiancée d’Arthur. Et cela s’avèrera bien sûr le cas. Alors scénario bidon ? Non, au contraire, scénario subtil ! Et pour vous convaincre : petite analyse que vous trouverez, je l’espère, pertinente.
En VO, le titre de l’épisode est « Enigma », ce qui désignait pendant la Guerre le système de cryptage employé par les allemands et dont les Alliés avaient découvert le secret. « Enigma » était dès lors une énigme pour personnage !. Et c’est ce que veut dire le titre ici.

Pas convaincu ? Coïncidence salutaire ? J’ai d’autres éléments validant ma thèse. Arthur, Artie pendant la Guerre, était spécialiste radio. Télécommunication/Enigma, ça colle. De plus, Artie passait son temps libre à résoudre des jeux de décryptage dans un journal. Décryptage/Enigma, ça colle encore une fois.

Et voilà, le scénario annonce la couleur de façon presque subliminale. Et annonce en fait deux niveaux de lecture pour cette histoire. Cette quête ne sert qu’à éclairer le véritable sujet, plus implicite celui-là, qui est au centre de cette très belle histoire. Il fera l’objet de ma deuxième partie de critique (« Johnny et ses visions »)

En attendant voyons comment Johnny retrouve l’amour de la vie d’Arthur et sa petite fille par la même occasion.


Direction New York pour notre héros. D’abord il squatte plusieurs heures à Manhattan près de l’horloge où Arthur aurait vu sa belle. On peut dire que le rythme de la narration est intentionnellement lente pour sans doute donner un petit côté "pèlerinage" aux recherches de Johnny. A l’image de tout l’épisode qui allonge volontairement les séquences.


Finalement, il rend visite à Rosie, l’amie d’Abby durant la guerre. Une photo l’oriente là où elle fut prise : c’est à dire Central Park près d’un petit pont. Et c’est là qu’au travers une vision, il apprend qu’Abby trompait Artie avec son ami Tommy.


Errant sur Manhattan, toujours à la recherche de cette jeune femme qui ne devrait plus l’être, Johnny finit par tomber sur la petite-fille dont il perd la trace à cause d’une vision subite qui oriente toutefois ses recherches vers l’Hôtel Swan Song, là où Abby et Tommy se rencontraient en douce.
Au passage, Johnny est quand même un peu bête de ne pas encore avoir deviné l’identité de la jeune femme. Il y a un décalage entre lui et nous, un peu pénalisant pour l’histoire (c’est bien le seul défaut que je trouve à l’épisode).


Petit coup de fil aux renseignements pour apprendre que cet hôtel n’existe pas. Aux archives de la bibliothèque, il trouve dans un ancien numéro d’un journal de l’époque (celui qui publiait les jeux d’énigme qu’Artie affectionnait) une publicité pour l’Hôtel Swan Song. Direction l’adresse de l’hôtel qui a changé de nom et la chambre nuptiale où Johnny revit une nuit d’amour avec Abby. Puis ensuite trouve le Stage Door Canteen (L’Entrée des Artistes) où une vision lui montre Tommy renoncer à Abby.


Finalement, Johnny apprend du shérif Walt qu’Abby Travers était un nom de scène. Il retourne donc voir Rosie pour lui demander son vrai nom. Il retrouve ainsi Abby et sa petite-fille.
Remarquez que tous ce qu’à fait Johnny à New York n’a pas servi à grand chose pour trouver Abby. Mais cette quête n’était pas du remplissage. Elle développait en fait l’histoire centrale de cet épisode.


Plus tard, Johnny accompagne Arthur à Manhattan pour les retrouvailles.
Une scène sobre, qui sonne juste et qui parvient donc à émouvoir même si on pouvait s’y attendre.



II° Johnny et ses visions


La dernière scène de l’épisode éclaire avec émotion ce qu’était la véritable intention du scénario. Johnny s’assoit sur un banc dans Central Park qui fut, des années plus tôt, le témoin de l’idylle entre Tommy et Abby. A côté de lui, un vieillard égaré dans ses pensées.

Johnny découvre alors que cet homme n’est autre que celui dont il jouait le rôle dans ses visions, Tommy. Et ils se retrouvent, tous deux, à jeter de la nourriture aux cygnes, perdus, on le devine, dans leurs souvenirs sentimentaux d’une autre époque

"-Par un ami commun"

Et oui, si Johnny se rend à New York sur les traces d’une mystérieuse jeune femme, ce n’est pas tant dans un souci de venir en aide à Arthur mais plutôt parce qu’il est tombé amoureux de la femme de ses visions. Cette chute inattendue nous rappelle avec sensibilité et une pointe d’ironie que c’était bien là le cœur de l’épisode.

Comme on l’a vu dans le pilote, Johnny est capable de ressentir les sentiments de ceux dont il tient le rôle dans ses visions. Ici il expérimente donc les même sentiments amoureux que Tommy et il a du mal à faire la part des choses. Son don et les façons dont il se manifeste sont encore assez nouveau pour lui.


D’ailleurs parlons-en de ces manifestations. Les scénaristes ont pris le parti de soumettre les visions de Johnny à des règles très souples. Ici, on peut se demander pourquoi Johnny vit ses visions du point de vu de l’amant d’Abby. Pourquoi pas au travers d’Artie, ou d’un point de vu extérieur ou même pourquoi pas au travers d’Abby ?
La réponse sera pragmatique : ce sont les visions de Johnny qui servent le scénario et non pas l’inverse. Et si vous voulez mon avis, c’est une très bonne chose. Ainsi, les scénaristes ne sont pas pris au piège par un mécanisme, par un gimmick qui réduirait considérablement les possibilités d’histoires et leurs traitements. La série se révèle finalement propice à beaucoup de diversité.


« Enigma » est aussi l’occasion de se plonger dans les années 40 et de suivre en toute simplicité une passade romantique.

Artie présente sa fiancée à Tommy son meilleur ami à l’armée. Les soldats profitent des derniers moments de détentes au pays avant de partir sur le front. Tommy s’éprend de la belle Abby et poursuives tous deux une relation dans le dos d’Artie.

Difficile pour moi de résister à une histoire qui se déroule dans les années 40. J’adore l’atmosphère qui s’y dégage, j’adore l’ambiance musicale qui accompagnes les visions de Johnny. On s’attendrait presque à voir apparaître Katharine Hepburn au détour d’une scène.Une histoire romantique prenant place à cette époque a toujours une saveur particulière qui me captive.


Finalement, Tommy renonce à Abby. Mais cette dernière aura un bébé de lui. Sur le front Artie enverra une lettre à Abby, sans réponse. Et Abby enverra une lettre à Tommy pour l’informer de la situation mais il n’y répondra pas.

Et voilà comment trois hommes voient s’envoler ou laissent s’envoler la cœur de la belle. Trois car il ne faut pas oublier Johnny même si ça relève d’un aspect différent. Toutefois, cinquante ans après cela finit de manière plus heureuse pour Artie. Par contre pour Tommy et Johnny, la conclusion est plutôt amère.


Ce qu’il y a de plus remarquable dans cette belle et sensible histoire, c’est ce scénario qui montre les choses plus qu’elle ne les dit (comme, autre exemple, quand le visage de Johnny s’éclaire en retrouvant Abby). Cet épisode en deviendrait presque un classique ; c’est à dire un épisode sur lequel on aime revenir et dont le plaisir de la première fois est a peine entamé. En tous cas, il l’est pour moi.



III° Johnny et son entourage


Presque tout l’épisode met en scène Johnny très loin de sa petite bourgade du Maine. Il fait part de l’avancement de sa quête dans la Grosse Pomme à Sarah par le téléphone mobile qu’elle lui a offert avant le départ.. Ces intermèdes téléphoniques permettent de placer l’enquête de Johnny en parallèle avec la relation ambiguë qu’il existe entre Sarah et lui depuis la sortie de coma. On peut retrouver un certain côté allégorique dans cette histoire d’Artie, Abby et Tommy. Le triangle amoureux étant le dénominateur commun aux deux relations.


On remarque aussi que l’attitude de Sarah envers Johnny est quelque peu contradictoire.

D’abord, elle lui arrange un rencard avec une de ses amis pour ne plus avoir à « considérer Johnny comme disponible ». Mais d’un autre côté, elle s’arrange pour rester en contact quand il sera là-bas, en lui offrant le mobile.

Le personnage est en proie à un conflit sentimental. A n’en pas douter, elle aura beaucoup de mal à s’en défaire et la série va jouer un maximum là-dessus.


De son côté, le mari de Sarah prend plutôt bien la situation qui arrive à palper pourtant. Tout juste est-il agacé par une remarque téléphonique de sa femme. Un homme sans égo masculin développé, c’est une espèce rare ;)


A part ça, pas de Révérend Purdy ni de journaliste rousse dans cet épisode. Bruce fait juste une courte apparition pour introduire Arthur auprès de Johnny. On a là encore une bonne illustratio de cette volonté de ne pas s’enfermer dans un schéma établi. Il n’y a pas de tentative inutile de la part des scénaristes pour impliquer nécessairement tous les réguliers dans l’intrigue de la semaine.


Un épisode romantique (et le romantisme n’a rien d’honteux, si si je vous assure)qui a le goût de la simplicité mais qui reste d’une écriture ambitieuse, sensible et qui prouve qu’une narration lente peut-être captivante... enfin pour certains.
Certainement que beaucoup ne seront pas de mon avis car le ton, le style et le genre de cet épisode ne sont pas du tout consensuels (ça plaira certainement plus aux femmes qu’aux hommes d’ailleurs), mais cette histoire est la plus belle et la plus subtilement écrite que j’ai pu découvrir en matière de fantastique à la télévision française depuis cinq ou six mois (et si je dis 5 ou 6 mois c’est parce que plus loin j’ai peur d’être trahi par ma mémoire). Pour un peu je mettrai même une note de 9/10 pour l’époque où une partie de cette histoire se déroule. Mais non, ça sera...