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4.07 - Musings of a Cigarette Smoking Man
Sympathy for the Devil
L’Homme à la Cigarette
lundi 9 février 2004, par
Vous savez, les romans à épisodes pleins de clichés que vous trouvez parfois sur le côté des WC de votre grand-mère ? Eh bien, mettons qu’un de ces feuilletons glamour mette en scène un homme au-dessus des lois responsables des tragédies américaines les plus connues du 20e siècle. Mettons également qu’à l’insu de tous, ce roman soie autobiographique et écrit par un personnage bien connu des couloirs du FBI. Trop énorme pour être vrai ? Et pourtant.
Dès le début de la mythologie de "X-Files", l’équipe de Chris Carter a fait de l’Homme à la Cigarette un symbole de la Conspiration. L’homme que tous les puissants de ce monde connaissent mais ne peuvent (ou veulent) pas dénoncer, le bandit de tous les coups, le solitaire aux motivations aussi obscures que le nom. Dès ses débuts à l’écran le personnage incarné par William B.Davis a littéralement fasciné le public. Encore plus, d’ailleurs, lorsqu’il provoquait l’ire justifiée de Fox Mulder.
Comme tous les méchants omnipotents et insaisissables, l’homme a nourri tous les fantasmes, tous les mythes. C’est pourquoi lui consacrer un épisode entier dans cette saison très axée sur la mythologie paraissait, sinon indispensable, tout du moins justifié. Mais encore fallait-il qu’il ne soie pas entre de mauvaises mains. Et, là où un Frank Spotnitz ou un Chris Carter aurait tiré parti de la soif de réponses du public en pondant un script plutôt sérieux, la paire Glen Morgan/James Wong tourne un script inclassable.
En y repensant, sous leur plume l’Homme à la Cigarette prend des traits d’imposteur magnifique qui rappellent Chuck Barris, ce présentateur de jeu télé qui prétend avoir été tueur à gages pour la CIA, également héros du film de George Clooney "Confessions d’un Homme Dangereux". Tout au long de l’épisode, il met sur écoute l’antre des Bandits Solitaires, qui prétendent avoir mis la main sur sa biographie.
Acte 1 : Le meurtre impitoyable de Dallas
On apprend donc que l’Homme à la Cigarette est derrière l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Il a été perpétré (comme une des théories de tous les conspirationnistes les plus chevronnés) par l’armée américaine, qui n’avait pas apprécié la gestion de la crise des missiles de Cuba par Kennedy. C’est ainsi qu’ils ont été chercher un jeune Homme à la Cigarette, en entraînement pour le Viet-Nâm aux côtés de Bill Mulder. D’ores et déjà ils utilisent sa haine indéfectible du communisme ainsi que son désir d’accéder à de plus hautes strates, de devenir "un homme extraordinaire", qui prendrait en main non seulement sa destinée, mais guiderait celle de millions de gens, voire du monde entier. Dans la tirade du général à la cigarette, se résume ainsi toute la philosophie de l’Homme à la Cigarette : il a toujours voulu être un héros, mais les conditions pour y arriver font que le public ne connaîtra jamais son existence.
C’est ainsi que l’on voit se refaire les préparatifs de l’assassinat de Dallas, avec un CSM manipulant Lee Harvey Oswald. Un bouc émissaire tout désigné, certainement simple d’esprit. Ironie suprême, un montage parallèle montre CSM éxécuter tranquillement le Président....depuis une bouche d’égoût, tandis que Oswald prend un Coca à la machine de l’entrepôt à livres.
Acte 2 : La mort du pasteur
Un an plus tard, en 1968. En écoutant Martin Luther King, l’Homme à la Cigarette n’apprécie pas les références au communisme dans ses discours. Avec ses collègues, dont Edgar (non, pas le majordome des Aristochats), sénateur de son état, il planifie les 36000 manières de l’éxécuter, avant de choisir la manière la plus simple, celle qui laissera peu de traces : le shoot au fusil. Il est d’ailleurs surprenant que CSM porte tant de respect pour le pasteur King, peut-être parce que l’homme est fidèle aux principes d’évolution du monde. Mais comme il appelle à la démobilisation au Viet-Nâm, son destin est scellé. Là encore, il manipule les témoins possibles, en envoyant l’un d’entre eux au cinéma. Juste après l’assassinat, il écoute Robert Kennedy réagir à la télévision. Il reprend en choeur avec lui un poème d’Eschyle, tandis qu’un zoom avant nous avertit que CSM est peut-être à l’origine de la déchance du frérot Kennedy. Mais cela ne nous dit-il pas autre chose ? A force d’être habitué au pouvoir, CSM connaissait par coeur l’intimité et les références de ses victimes, comme Eschyle dans ce cas ? Et dans ce cas, ne serait-il pas le plus grand psychopathe du 20e siècle ?
Acte 3 : Saddam sur la ligne 2
Retour en 1991, pour l’acte qui fera basculer l’épisode dans l’irréaliste, histoire de brouiller les pistes. L’homme à la Cigarette et ses sbires discutent de toutes les choses qui importent à l’avenir du monde. L’Homme à la Cigarette pourrait donc faire truquer un match de baseball, les nominations des Oscars, etc. Rien que de bien trivial, jusqu’au ridicule cadeau de Noël offert à ses hommes-à-tout-faire. Non, ici l’essentiel est que en ce jour de décembre, Gorge Profonde l’avertit de la capture d’un extraterrestre vivant. L’objet est mesure de toutes les convoitises, mais Gorge Profonde se drape derrière la résolution secrète de l’ONU appelant à exterminer toute créature d’origine inconnue. C’est ainsi que CSM délèguera son travail de meurtre de sang-froid sur Gorge Profonde. Ce que je trouve plus irréaliste, en revanche, c’est qu’il philosophe avec son vieux compagnon Ronald (prénom de Gorge Profonde) sur les Hommes de l’Ombre, qui ne seront jamais dans les livres d’histoire. Comme de vieux héros. Mais sont-ils vraiment des héros de l’Amérique moderne ?
Acte 4 : I can kill you whenever I please. But not today.
Et l’on revoit également la rencontre Mulder/Scully vue à travers les yeux de notre Homme. Ici, on apprend peu de choses, mais ces scènes anodines ont le don de remettre les choses à leur place. En quelque sorte, l’homme qui souhaite plus que jamais leur destruction a réuni les deux agents qui n’auront de cesse de fouiner dans ses affaires et celles du Consortium.
On le voit également publier les épisodes de son ouvrage dans un magazine de seconde catégorie. Il constate d’ailleurs avec horreur que sa fin a été réécrite.
A la fin de l’épisode, l’Homme à la Cigarette, qui depuis le début de l’épisode a un fusil pointé sur l’antre des Lone Gunmen. Dépité, il s’assoit dans une ruelle aux côtés d’une clocharde, et maugréé sur la vie, dans une scène qui est un clin d’oeil aussi hilarant qu’inattendu à "Forrest Gump" et sa désormais fameuse boîte aux chocolats. Il s’apprête également à tuer Frohike, qui vient de terminer son histoire.
Mais il refuse, avec ces mots : "Je pourrais te tuer quand je veux, mais pas aujourd’hui." Ce qui veut dire plusieurs choses. D’abord, l’effort de tirer des éléments biographiques d’une fiction écrite par un homme aussi mystérieux qui cultive autant le secret est ouvertement risible. Venant des Lone Gunmen et de leur affût de la moindre info sur le Consortium, ce n’est que peu surprenant. Mais elle révèle aussi un désir de supériorité, celle d’un homme en quête de reconnaissance, pour qui l’Histoire avec un grand H ne sert que sa propre histoire personnelle. La seule vraie arme qui le garde au-dessus de la mêlée, c’est son savoir, les relations qu’il a noué avec le gouvernement officiel autant qu’avec le gouvernement fantoche. Il s’amuse et joue de son statut d’icône quasiment divine pour en tirer le meilleur profit, et également éviter la mort à plusieurs reprises dans la série.
Finalement, pour un épisode spécial qui a pour dessein de narrer la biographie d’un personnage-énigme de la série, personne n’en sort grandi. Surtout pas l’Homme à la Cigarette, dont le bilan des faits d’armes est accablant, et qui est présenté ici comme un véritable manipulateur sans scrupules, à la limite du psychopathe. Et encore moins le téléspectateur, qui sort décontenancé du manque de réponses obtenu au vu de la résolution, qui fait douter de la plausibilité même de l’histoire. Au final, il en restera un tour de force de réalisation, une bonne performance de Chris Owens (l’agent Spender, qui sera porté aux nues plus tard comme le fils de qui-vous-savez), et un script qui se distance du sujet et ménage la chèvre et le chou. C’est, paradoxalement, un des meilleurs épisodes de cette saison 4.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires