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11.06 - Time Of Death
41 minutes
samedi 24 septembre 2005, par
Un épisode différent, très différent. Mais aussi très attendu. Ray Liotta est la guest star d’un épisode émotionnellement éprouvant.
J’attendais la diffusion de cet épisode avec impatience. Je l’avais vu lors de son passage sur la NBC l’année dernière, et il m’avait véritablement bouleversé. Pourtant, quelque part, j’avais des craintes sur sa diffusion française. D’abord, je me suis demandé ce que la VF donnerait, je m’attendais véritablement au pire. Puis, plus secondairement, je me posais la question de savoir si je supporterais un deuxième visionnage d’un épisode finalement assez lent. J’avais peur de m’ennuyer devant, surtout compte tenu du fait que je savais tout ce qu’il s’y passait à l’avance.
Mais j’ai regardé une deuxième fois. La VF est assez bien passée. Et je me suis rendu compte que c’est un épisode qui supporte très bien une rediffusion. Je n’ai pas vu le temps passer, malgré l’absence quasi-totale de courses aux patients, de mouvements brusques, de scènes à grand renfort d’action ou d’autre explosion d’hélicoptère (non, je l’ai toujours pas digéré).
Pourquoi ai-je dit que cet épisode était « très attendu » ? Je sous-entendais évidemment « très attendu par moi », parce que je suis très égocentrique quand je m’y mets. Très attendu, donc, parce que j’avais hâte de parler de cet épisode, parce que c’est sans doute celui qui a eu l’effet le plus fort sur moi de ce début de saison 11. Ray Liotta m’a bouleversé, l’histoire de Charlie Metcalf m’a bouleversé, tout a été un vrai choc pour moi dans cet épisode. Mais maintenant que je l’ai revu et que je me retrouve face à mon fichier « ER1106.doc », je me rends compte combien il est dur de parler de cet épisode. Je pourrais détailler chaque scène, la raconter et dire ce qui m’a plu en elle, mais je crois que l’aspect descriptif de cette méthode rendrait vite cette critique indigeste. Alors je vais varier les plaisirs, je vais rendre cette critique un peu plus bordélique, et ne pas traiter chronologiquement de l’épisode. Voilà, vous êtes prévenus.
Autre remarque purement « pratique », l’épisode n’a ni résumé (à la rigueur, ça, c’est déjà arrivé plusieurs fois) ni générique (ça, c’est plus rare). Dès le début, nous sommes donc fixés : ce ne sera pas un épisode comme les autres.
Ray Liotta est donc Charlie Metcalf, homme aux apparences de SDF. Autant faire les connaissances dès le début, puisque c’est bien cet homme que nous allons suivre d’un bout à l’autre de l’épisode.
En repère temporel, nous avons Ray Barnett qui commande 7 pizzas et les recevra avec une minute de retard. L’épisode se déroule donc sur 41 minutes, sur notre télé comme dans l’histoire en elle-même. Si l’on fait abstraction de l’épisode 4.01 « Ambush » (« Direct aux urgences »), un épisode qui avait donc été tourné en direct, je crois qu’il s’agit du seul épisode en « temps réel » de l’histoire de la série. Il est assez intéressant de constater qu’en onze ans d’Urgences, nous n’avions jamais vu un seul épisode entièrement consacré et centré sur un patient, d’un bout à l’autre. Et j’aime voir que les scénaristes n’ont pas encore épuisé leur stock d’idées et ne nous ressortent pas constamment leurs anciens scripts.
Dans « Time of death », comme je l’ai dit, nous n’avons pas de grandes scènes d’action impressionnantes. Si l’on fait abstraction des nombreux actes médicaux assez impressionnants, à grand renfort de tuyaux dans le nez et autres orifices, il s’agit finalement d’un épisode très sobre, au niveau visuel. Aucune musique censée créer un grand moment de tension ne vient d’ailleurs rythmer l’épisode. Tout se fait dans le silence le plus complet, le seul élément sonore étant le bruit fourni par les appareils médicaux. Pourtant, la réalisation est impeccable. Je voudrais particulièrement noter la maîtrise de la lumière, surtout dans la deuxième moitié de l’épisode, lorsque Charlie se retrouve dans la réa 1, avec une lumière violente sur une moitié du visage, l’autre étant davantage plongée dans l’ombre. Les gros plans sur son visage se succèdent, et je ne me suis lassé à aucun moment de cette lumière, qui ne fait qu’accentuer l’aspect « glauque », froid, de cet épisode. Et le visage fatigué, aux traits tirés, bouffé par l’alcool, de Ray Liotta est magnifique (oui, pour moi, un visage marqué par les difficultés de la vie est magnifique, et le contraste avec certains flash-backs ou hallucinations de Charlie Metcalf est très bien rendu).
Décomposition
Cet épisode raconte les 41 dernières minutes de la vie d’un homme. En toute logique, l’état de Charlie Metcalf ne fait que s’empirer au fil de l’épisode. S’il ne semble déjà pas en bonne santé lors de l’ouverture (ça serait pas franchement réaliste de nous présenter un personnage en pleine forme pour nous le faire mourir 41 minutes plus tard), tout va toujours plus mal. C’est en ça que l’épisode est si sombre, parce que, hormis les quelques rares boutades de Ray sur ses pizzas, il n’y a pas une once d’humour ou d’espoir dans « Time of death ». C’est sale, c’est sombre, c’est triste. C’est beau, quelque part. Décrit comme tel, ça me fait un peu penser au film « 21 Grammes », avec mon actrice adulée, Naomi Watts. Les sujets sont différents, mais on retrouve le même aspect dans la réalisation, tout est très sombre, il y a peu de couleurs, peu de contrastes. Les flash-backs ou autres hallucinations apportent un certain décalage dans le traitement chronologique, tout comme toute la chronologie de « 21 Grammes » est bouleversée.
Par cette comparaison, je ne veux pas dire que cet épisode est une référence au film. Je ne pense pas que ça soit le cas, il s’agit de deux choses bien distinctes. Je veux simplement dire en quoi cet épisode m’a fait penser à « 21 Grammes » (et cela n’engage que moi), et en quoi ce que j’ai aimé dans le film, je l’ai tout autant aimé dans l’épisode.
Alcoolisme
L’alcool a détruit Charlie Metcalf. Après la mort de sa femme, il a sombré dans la boisson, il a sombré tout court. Sous l’emprise de l’alcool, il a plus ou moins délaissé son fils, il a tué un homme dans un bar, sans raison particulière, selon ses propres termes, puis il est allé en prison.
L’alcool a détruit Charlie Metcalf et la seule chose qui pouvait le raccrocher à la vie, à savoir sa relation avec son fils. Il aurait pu voir en sa progéniture un certain espoir. C’est le cas de pas mal de personnes qui perdent leur conjoint(e) : ils se raccrochent à leurs enfants. Je ne dis pas que c’est une chose saine, parce que tout faire reposer sur les épaules d’une personne si jeune et pas encore préparée à la vie, qui plus est quand l’enfant vient de perdre un de ses parents, cela peut s’avérer catastrophique et faire perdre totalement les repères à l’enfant, faire perdre la notion du rôle de parent. Accorder le rôle d’adulte à un enfant ne peut pas être sain, du moins je ne pense pas. Charlie Metcalf s’est tourné vers l’alcool, mais c’est loin d’être une meilleure solution, je crois qu’on peut tous être d’accord sur ce point.
L’alcool a entraîné le meurtre, qui a entraîné la prison, qui a entraîné la séparation de Charlie et de son fils Bobby. Et voilà où ils en sont aujourd’hui. Bobby refuse de venir lorsqu’il apprend au téléphone que son père est très gravement malade, qu’il est même mourant. Bobby a des mots durs, cruels.
Je ne peux pas en vouloir à Bobby, son enfance, puis son adolescence ont dû être très dures. D’abord, sa mère meurt, ensuite, son père va en prison. On a connu mieux, comme situation, pour grandir... Alors Bobby veut se tenir éloigné de ces soucis qui lui rappellent probablement une période douloureuse de sa vie. Il est à l’université à présent, on suppose qu’il a su se construire une vie malgré ce passé, il a tourné la page. C’est terminé, en ce qui le concerne, il ne veut plus que ce passé frappe de nouveau à sa porte.
Il s’en voudra sûrement d’avoir refusé de voir son père. Mais sa réaction est parfaitement compréhensible.
Hallucinations
Charlie Metcalf n’a pas bu depuis un petit moment, il commence à ressentir les effets de manque. Il a déjà quelques hallucinations en étant sobre, quand Pratt s’occupe de l’enfant qui a pris une télé sur le pied. Charlie revoit son fils. Mais l’une des bonnes idées de cet épisode est d’injecter de l’alcool à Charlie, pour calmer son manque, et aussi fournir un prétexte parfait pour rendre ses hallucinations, non seulement visuellement très belles mais aussi très intéressantes, plus nombreuses. On note que dans chaque hallucination, Bobby a toujours un regard sévère vers son père, même lorsqu’il prononce des paroles rassurantes. Charlie est parfaitement conscient de la rancœur de son fils, et j’ai particulièrement apprécié la manière dont cet état de fait est présenté dans les délires du mourant.
De même, voir apparaître les médecins dans ces « visions » était assez amusant, Abby en hôtesse d’accueil, par exemple, ou encore Sam dans la barque, Luka dans le bus...
Lorsque l’alcool fait effet sur Metcalf, on entre dans une phase où l’on oscille constamment entre réalité et délire. La réalisation est dynamique et rend ce changement constant particulièrement appréciable. Il est vrai que j’ai tendance à apprécier lorsque la frontière entre réalité et rêve est très mince, et voir ça dans Urgences m’a surpris, très agréablement bien entendu. Nous avions déjà eu droit à quelque chose du genre dans le 9.19, tandis qu’Abby se faisait plus ou moins agresser par un psychotique qui avait perdu ses pilules. Mon regret dans cet épisode avait été que l’idée n’avait pas été assez exploitée (c’est un euphémisme). Ici, en revanche, on en a ni trop ni pas assez, le délire est parfaitement dosé.
Le sifflement comme fond sonore nous met dans un état de tension presque palpable, de même que les nombreux silences, contrastant avec le bruit des machines dans la salle de réanimation. Ce sifflement est comme le bruit de la mort qui se rapproche, bruit étrangement proche des machines informant des constantes de Charlie, d’ailleurs. Un son continu, en revanche, comme une asystolie. C’est en général le dernier son avant que le décès soit prononcé.
Les délires de Charlie sont passionnants, et parfaitement représentatifs de sa relation avec son fils, avec sa vie passée. Nous avons toujours des bribes, des images de la femme de Metcalf, de Bobby, mais ces images finissent toujours par disparaître, comme une illusion, un mirage dans le désert qu’est devenu la vie de Charlie. Sa femme disparaît de son champ de vision lorsqu’il est dans le bus, son fils disparaît de la barque, etc. La maison de la famille décomposée est perdue au milieu du néant. J’ai vraiment adoré cette image, justement. Charlie est bloqué dans cette sorte de désert, et observe, de dehors, la vie de son fils, à l’intérieur de sa maison. Il est bloqué hors de la vie de son fils, il ne peut pas entrer, son fils n’entend pas ses cris, il fête son anniversaire. Charlie manque les moments importants de la vie de Bobby, Bobby oublie son père, il passe à autre chose. Les bribes du passé s’efface une à une sous le regard impuissant de Charlie, ivrogne emprisonné sans avoir pu profiter de la vie de son enfant. Il s’est gâché, il ne fait qu’en reprendre conscience.
Le dernier délire sonne le glas de Charlie Metcalf. Une réconciliation illusoire avec Bobby, et malgré ces mots réconfortants, l’enfant porte toujours cette expression sévère dont je parlais un peu plus haut. Une expression sévère qui constitue la seule image que Charlie est capable de garder en mémoire, même pour constituer une scène d’adieu émouvante dans son esprit, même pour partir le plus en paix possible.
Charlie ne partira même pas en paix. Sa mort est soudaine et confondante, un peu comme l’épisode dans son entier.
Les médecins
Chaque médecin qui s’est chargé de Charlie Metcalf a une relation différente au patient - car il est évident qu’ils sont affectés par le cas de ce patient singulier.
Luka
C’est le médecin qui s’occupe le plus de Charlie, et pourtant c’est celui dont la réaction est la plus « neutre ». Bien sûr, il est affecté, en tant qu’être humain, par la condition du mourant, mais il n’ira dans aucun extrême.
Sam
Sam n’est pas un personnage qui me passionne, mais je l’ai vraiment adorée dans cet épisode. Elle est effacée, discrète, elle a sans arrêt les yeux baissés, comme si elle ne parvenait pas à affronter le regard de Charlie. Elle se sent affectée également par la réaction de Bobby au téléphone, sans doute aurait-elle espéré un peu plus de compassion tandis que la mort va intervenir encore une fois dans cette famille déchirée par de tragiques événements... on l’aurait tous espéré.
Pratt
Odieux de bout en bout, et ce n’est pas la pseudo justification de sa méchanceté qui va le racheter dans mon esprit. Pratt laisse ses sentiments influencer de manière néfaste sa profession, et n’est pas prêt à faire le moindre geste envers Charlie. Ca lui rappelle peut-être de vieux souvenirs, c’est peut-être une manière de se venger sur sa propre vie que de laisser un ivrogne mourir seul et sans soutien. Il a beau pleurer toutes les larmes qu’il veut à la fin de cet épisode, je suis totalement insensible à ce credo usé jusqu’à la moelle du « Pratt-paraît-méchant-mais-c’est-parce-qu’il-a-eu-une-vie-difficile ». J’ai toujours détesté et détesterai toujours ce personnage.
Rien à dire pour les autres.
Un épisode comme « Time of death » ne fera pas l’unanimité. Il s’agit d’un épisode exceptionnel qui par conséquent obtiendra des opinions très divergentes. Pour ma part, le 11.06 fait désormais partie de mes épisodes préférés de toute la série, par sa différence, par la performance de Ray Liotta, par l’émotion qu’il dégage, par une écriture parfaitement maîtrisée servie par une réalisation non moins savoureuse. Je suis heureux de continuer à suivre la série, lorsque je vois qu’il est encore possible d’avoir droit à des chefs-d’œuvre dans Urgences. J’ai adoré cet épisode, et le mot est faible.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires
Messages
1. 41 minutes, 2 avril 2006, 18:29
un excellent épisode ou plutôt un très bon film de 45mn !!