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1.09 - Solitary
Duel de philosophes
samedi 9 juillet 2005, par
Voici le premier épisode mythologique de la série...
L’épisode commence par un Sayid tout seul au bord de la plage, contemplant la photo d’une jeune femme retrouvée il y a peu (la photo, pas la jeune femme), quand tout à coup un câble enfoui sous le sable (j’allais dire "enterré" mais ça n’aurait pas vraiment été le bon terme) attire son attention. Un câble qui va se perdre dans la forêt alors que son autre bout provient semble-t-il de la mer... Logiquement, l’ancien garde républicain veut voir où cela va le mener, c’est-à-dire en fait tout droit dans un piège, pendu par les pieds. Le voici donc la tête en bas, mais pas pour longtemps puisque que quelqu’un ne tarde pas à venir avec un couteau pour le libérer...
Bah non, c’était pas pour ça
Etre libéré pour se retrouver sous la torture, je pense qu’il y a quand même plus joyeux. Notre ami Sayid est soumis à un interrogatoire par quelqu’un qu’il ne s’attendait sûrement pas à trouver : la Française qui a émis le signal de détresse dont il essaie désespérément de localiser la source... Le fait que Sayid soit torturé est intéressant pour plusieurs raisons : il se retrouve dans la position de Sawyer lors de l’épisode précédent (tel est pris qui croyait pendre - prendre), et par la même occasion dans la position des gens qu’il a torturés auparavant - ce qui est une manière assez habile d’introduire son passé dans la Garde Républicaine -, et c’est aussi sympathique car le tout début de la scène où on découvre qu’il est attaché à une sorte de grillage sème le doute car on ne sait pas trop si on a affaire à un flashback ou non. De plus, les flashbacks sont facilités par la présence de la photo de la jeune femme sur l’île (comme dans l’épisode précédent, nous avons un objet commun aux flashbacks et au présent sur l’île), puisque Rousseau pose des questions à son propos à Sayid, qui s’exécute aussitôt... Ca aussi c’est nouveau : même s’ils sont disséminés dans l’épisode parce qu’on n’allait pas tout nous mettre d’un coup, les flashbacks représentent ce que Sayid raconte à Rousseau. Une nouvelle petite variation en somme. Enfin du moins, c’est comme ça que je l’ai compris.
St Aidan
Ah non, ça c’est dans Alias... Si Sayid a fait la promesse de ne plus jamais torturer personne (promesse rompue avec Sawyer, je le martèle encore une fois), c’est à cause d’une fille (c’est d’un classique). Et pas n’importe quelle fille : Nadia. Nadia, il la connaît depuis tout petit, mais il l’avait oublié depuis. Mais par chance, un jour, il la retrouve sur son chemin. Enfin, chance, je ne sais pas trop si le terme est exact puisqu’elle sait apparemment qui aurait fait exploser la bombe dans les quartiers généraux de la Garde Républicaine, et c’est Sayid qui s’occupe des interrogatoires des suspects. Et Sayid, c’est un dur, lui il s’en fout il frappe même les filles quand il s’agit de soutirer des informations. Enfin ça, c’est ce qu’il dit, parce que dans la pratique, c’est pas trop ça. Au fur et à mesure des contacts qu’il a avec Nadia, on voit un Sayid devenir de plus en plus incertain de ce qu’il fait, et de pourquoi il le fait. La petite fille qu’il s’amusait à pousser enfant le convainc petit à petit qu’il n’est pas ce qu’il prétend être, que les méthodes employées par ceux à qui il a prêté allégeance ne sont pas forcément plus honorables que de faire exploser une bombe. Si elle réussit à le faire douter, c’est parce qu’elle a su toucher le coeur de Sayid - qui a un bon fond - et parce que petit à petit ils tombent amoureux l’un de l’autre. Et c’est par amour qu’il tue un de ses camarades et se tire une balle dans la jambe pour la laisser s’échapper. Malheureusement, elle est tout de même morte... Sayid a changé pour Nadia ; ne pas redevenir ce qu’il a été un temps - brebis égarée qu’il était - était un devoir moral envers elle, pour honorer sa mémoire. On comprend donc très bien qu’il se sente honteux de ce qu’il a fait à Sawyer...
Je sais, c’est assez court. Mais il n’y a pas besoin d’en dire plus, tout est concentré ici. Une fois de plus, on pourra toujours dire que c’est conventionnel, moi ça me plaît beaucoup parce que c’est bien raconté et surtout que c’est en accord total avec les agissements de Sayid. Une dernière petite chose : on poura trouver étonnant que dans le premier flashback, Sayid parle arabe et puis subitement parle anglais, ainsi que tous les autres. Rassurez-vous, ceci n’est pas un "effet Stargate" où tout le monde parle anglais sans autre justification. C’est simplement que par souci de commodité, nous entendons les personnages parler anglais alors qu’ils parlent arabe entre eux. La scène qui fait passer d’une langue à l’autre est astucieuse d’ailleurs : on voit Sayid interroger un des suspects en gros plan en arabe, puis la caméra se déplace vers la droite en passant derrière la tête du suspect - cachant donc ainsi le visage de Sayid -, pour retrouver un gros plan du Garde Républicain de l’autre côté, parlant anglais.
Rousseau, partie I
Qui eût cru que le personnage énigmatique du pilote, cette Française lançant un signal de détresse, apparaîtrait si tôt dans la série ? D’ailleurs, qui pensait qu’elle était encore vivante ? C’est la grosse surprise de l’épisode, et on se doute tout de suite qu’on va s’orienter vers des développements mythologiques. Ou plutôt, comme dans The X-Files, vers un épisode qui va répondre à quelques questions mais qui va en poser d’autres. Si on fait le point sur ce qu’on apprend grâce aux talents MacGyveriens de Sayid qui répare la boîte à musique, on sait que Rousseau se prénomme Danièle (1), qu’elle faisait partie d’une expédition scientifique dont le bateau, pris au beau milieu d’une tempête, s’est écrasé sur les rochers de l’île (2), qu’il existe un endroit nommé Black Rock (3), qu’il y a d’autres personnes sur l’île (4) qui contrôlent son signal de détresse (5) et qui seraient des porteurs de quelque chose (6), que Rousseau a tué toute son équipe parce qu’ils étaient malades (7), qu’Alex est son fils et qu’elle ne sait pas où il est (8), qu’il n’y a pas qu’un seul ours polaire et qu’en plus ils ne sont pas seuls (les ours, pas Sayid et Rousseau ; je ne parle pas d’extra-terrestres) (9) et qu’il n’existe pas de monstres sur l’île (10).
J’ai été un peu vite. Reprenons :
1. Danièle
Pourquoi ils n’ont pas engagé une vraie Française pour jouer le rôle ?
2. Expédition scientifique
Et ils faisaient des recherches sur quoi exactement pour être en mer et se retrouver si proche d’une île qui est à 1500km des Fidji ?
3. Black Rock
Là je suis fainéant, donc je reprends ce que dit Sayid : "What is the Black Rock ?". C’est vrai, on aimerait savoir. Un Rocher Noir ?
4. The Others
Rousseau ne les as jamais vus mais dit qu’elle les entend chuchoter dans la jungle. Pendant un temps, Sayid pense qu’elle se fait des illusions (le terme n’est pas très heureux mais voulu) parce qu’elle est restée seule pendant trop longtemps, comme Jack pensait que les hallucinations qu’il avait lui faisant voir son père étaient dûes à son manque de sommeil doublé du choc post-traumatique lié au crash. Jusqu’à ce qu’il les entende lui aussi (contaminé par la peur de Danièle ?). Maintenant, les cadavres découverts dans les grottes par Jack et Kate sont-ils des dépouilles d’individus appartenant à ce groupe ?
5. Pourquoi ?
Les autres contrôlent la transmission de Rousseau ?
6. The carriers
Apparemment, les autres seraient porteurs de quelque chose, mais de quoi ?
7. They were sick
De quoi pouvaient donc être malades les compagnons de Rousseau pour qu’elle en vienne à les tuer ? En tout cas, c’est sans doute lié au (5).
8. Alex
Bah oui, il est passé où Alex ? Where is Alex ? Donde esta Alex ? (pardonnez le manque d’accent pour l’espagnol).
9. If we’re lucky, it’s one of the bears
Et s’il n’y a pas que des ours polaires, il y a quoi d’autre ? Sinon, la tête de Sayid à l’énoncé de cette réplique est assez marrante.
10. There’s no such things as monsters
Ah oui ??? Et c’est quoi alors, le truc qui hurle, qui couche les arbres sur son passage et qui bouffe Greg Grundberg ???
Bref, je vous l’avais dit que toutes les révélations que l’on avait amenaient à d’autres questions, hein. Mais ceci ne conclue pas cette partie, parce qu’il reste une petite chose dont je voudrais parler : le parallèle effectué entre Sayid et Rousseau. En effet, Rousseau vit depuis 16 ans sans savoir où est son fils dans l’espoir qu’il soit encore vivant, tandis que Sayid vit depuis 7 ans en se raccrochant au mince espoir que Nadia soit encore de ce monde... La scène qui le met le plus en relief est bien sûr celle où Sayid, tenu en joue par Rousseau qui ne veut pas le laisser partir, l’énonce clairement. Un grand malin celui-là, il réussit ainsi à désamorcer une situation périlleuse (d’autant plus malin qu’il s’est servi chez Rousseau en s’échappant, emportant notamment quelques cartes... ça lui évitera de les tracer comme il voulait le faire). Il propose alors à cette dernière de les rejoindre lui et ses compagnons d’infortune mais elle préfère rester seule, et lui lance un dernier avertissement : "The people you’re determined to get back to, watch them. Wath them closely". Brrrr, ça fait peur. Subiront-ils la même chose que les compagnons de Rousseau ?
Jack, ce zéro
Ca devient une chronique régulière en ce moment tant ce dernier essuie une série d’échecs consécutifs accompagnés de certaines erreurs qui ternissent pas mal son image de héros, mais qui redorent bien son blason de zéro. Déjà, il doit assumer les conséquences de la torture quand il soigne Sawyer : ce dernier l’appelle Dr Quinn, ce qui vous en conviendrez est une insulte suprême. Mais il a bien l’air con quand il voit que, trop occupé à essayer de survivre, il en a oublié qu’il était bon de trouver des loisirs pour que les gens aient quelque chose à faire pour se détendre. Surtout que c’est Hurley qui lui envoie le message en pleine figure par le biais de sa brillante idée : un parcours de golf. C’est drôle, c’est léger ( c’est la première réelle incursion de la série dans la comédie d’ailleurs, outre les quelques punchlines de temps à autre auxquelles on peut ajouter le "Polar bears ?" "You didn’t hear of the polar bear ?" de Michael et Charlie), on voit Jack sourire, et on voit même Sawyer essayer de s’intégrer au groupe puisque le golf a rameuté quasiment tout le monde (sauf Jin apparemment).
Et surtout, ces scènes dans un grand espace en plein air contrastent comme il faut avec les scènes intimistes entre Rousseau et Sayid dans un endroit confiné et sombre. En somme, c’est très réussi.
Flash express (ou trucs en vrac)
- Un nouveau personnage (outre l’hypocondriaque) mystérieux fait son apparition : Ethan.
- La relation Walt - Locke est rappelée à notre bon souvenir. Flippant, surtout qu’ils jouent avec des couteaux...
Rousseau, partie II
Après les références directes au philosophe anglais John Locke par le biais du personnage du même nom (Guigui avait fait un topo sur lui dans la review de l’épisode 4, qui se trouve ici et au roman de Lewis Carroll Alice in the Wonderland, c’est au tour de Rousseau. En effet, comment ne pas rapprocher le personnage de la Française à notre bien-aimé Jean-Jacques Rousseau (je vous rassure, ceci est totalement ironique car Les Confessions me sont restées en travers de la gorge), philosophe de son état ? En faisant quelques recherches (Google est ton ami), on peut trouver des dossiers intéressants sur certains écrits de Rousseau qui ont une portée particulière dans le cadre de la série.
Ce qui nous intéresse tout particulièrement est ce que l’on appelle l’état de nature, qui est l’état dans lequel se trouvent les hommes lorsqu’ils ne sont soumis à aucune autorité politique. Ils sont donc pleinement libres car nul n’est soumis par nature et les hommes sont ainsi tous égaux. Les individus sont alors considérés en tant qu’individus et non en tant que membres d’une société. Néanmoins, si cette idée est commune à tous les philosophes qui se sont penchés sur la question, les perceptions de cet état sont parfois divergentes. Pour Rousseau, c’est un état quasi utopique, dans lequel l’homme est seul, se passant de l’aide de ses semblables. Il n’est donc pas social, et il connaît l’amour de soi et de sa propre conservation, une sorte d’égoïsme primitif. L’homme connaît donc le bonheur et possède une vie équilibrée. Dès lors que les hommes ont dû s’associer pour lutter contre les dangers de la nature, ils ont été pervertis. En effet, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes (qui sont, je le rappelle, égaux de nature), Rousseau considère que l’homme est devenu méchant, et cela à cause des progrès qu’il a fait et des connaissances qu’il a acquises dans un contexte social. La société porte les hommes à se haïr les uns les autres car leurs intérêts rentrent en jeu, c’est elle qui a introduit le mal en l’homme.
Certains points de ce discours rejoignent la théorie proposée par John Locke : l’esprit de l’homme est vierge lorsqu’il rentre en contact avec le monde, et seule son expérience est le fondement de ses connaissances, qui sont cependant pour Rousseau le début d’une société civile qui pervertit l’homme. Si je parle à nouveau du philosophe anglais, c’est parce que sa conception de l’état de nature est bien différente de celle de Rousseau. Selon lui, si les hommes ne sont pas soumis à des lois humaines, ils doivent se plier à la loi de la Nature. Ils ne peuvent donc faire ce qu’ils désirent et ont le devoir entre autres de s’efforcer de mener une vie harmonieuse avec les autres en respectant leur vie et leurs biens ; la violence est exclue sauf pour se défendre ou défendre autrui. Il estime ensuite que la propriété se fait par le droit : le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit à la jouissance de ses biens (d’un coup, le "A man has a right to protect his property" de Sawyer sonne autrement). L’homme n’est donc pas complètement asocial, ce qui va à l’encontre de ce que pensait Rousseau ; avoir un comportement social minime ne pervertit donc pas l’homme.
Mais pourquoi donc parler de l’état de nature ici ? Parce qu’avec le crash, ils se sont tous retrouvés égaux entre eux, n’étant soumis à aucune autorité. Et étant donné que les connaissances qu’ils ont acquises ne leur servent pas forcément ici (l’île est un endroit spécifique qui a ses propres règles), on pourrait presque dire que leur esprit est vierge au contact de ce nouveau monde (le fameux tabula rasa cher à John Locke). Et si l’on met les personnages de Locke et de Rousseau en parallèle dans la série, il est intéressant de remarquer que l’un se trouve dans un groupe qui essaye de vivre en harmonie, et l’autre vit seul et de façon indépendante. D’ailleurs, hypothèse de ma part : le fait que Rousseau ne veuille pas rejoindre les survivants avec Sayid veut-il dire que les survivants du crash sont déjà pervertis par le mal, puisqu’ils commencent à s’organiser en société ? Dernière question : les pensées de Rousseau et Locke (les philosophes) étant divergentes, Rousseau et Locke (les personnages) seront-ils des antagonistes plus tard ?
Bref, il y a dans les écrits des deux philosophes des clés pour comprendre la série, pour peu qu’on veuille bien se creuser la tête. Ce n’est pas forcément mon cas, d’ailleurs ; j’ai seulement cherché à synthétiser les informations que j’ai glanées ici et là. Merci de laisser des commentaires si jamais vous avez une opinion sur tout ça (il n’est pas impossible que j’aie mal compris quelque chose et que par conséquent j’aie dit des conneries plus grosses que moi).
Ceux qui n’ont pas aimé vous diront
C’est possible de ne pas aimer cet épisode ? Ah oui, sinon, y aura toujours ceux qui vous diront que d’appeler les personnages comme des philosophes, c’est du name-dropping, c’est-à-dire que c’est juste pour faire bien. Si ça se trouve je me suis fait chier pour rien, moi.
Sinon, RAS.
Pour la première fois, l’intrigue sur l’île est scindée en deux parties : d’un côté Sayid et de l’autre le reste du monde (moins tous ceux qui ne sont pas sur l’île). L’équilibre entre les deux est bien rendu car la légèreté des scènes de golf (avec quelques punchlines au passage, dignes de David Fury) permet de souffler un peu et d’assimiler la déferlante de révélations (mais qui posent encore plus de questions) lors des scènes entre Sayid et Rousseau. Ca reste quand même un épisode dense et assez excitant mythologiquement parlant. A mes yeux c’est du lourd, même pas entamé par les flashbacks.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires