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Carnivà le
2.07 - Damascus, NE
If you’re wrong, will you protect me ?
jeudi 24 février 2005, par
Fabuleux. Eblouissant. Grandiose. Puissant. Hypnotisant. Cet épisode dépasse et réalise tout le potentiel de cette série hors du commun. Cet épisode est tout simplement un chef d’Å“uvre. Je manque d’adjectifs pour décrire ce que j’ai ressenti. Certaines scènes m’ont donné l’impression d’assister à une pièce de théà¢tre magistrale ; certains plans m’ont transporté dans un autre monde. Certaines paroles trottent encore dans ma tête…
Le rêve que fait Justin, en introduction de l’épisode, est certainement un des plus dérangeants de toute la série. Les personnages (Justin, Iris, et deux tailleurs d’origine chinoise) sont presque immobiles. Justin s’admire dans un miroir à plusieurs faces, le port de tête hautain et fier, surélevé pour permettre à deux hommes assis à terre de prendre ses mesures.
« 31, dit le tailleur.
- 32 et demi », rectifie Iris, qui s’empresse de saisir le mètre et prouver qu’elle a raison. Ses mains le long des jambes de son frère, remontant jusqu’à son entrejambe, ne sont pas innocentes. A genoux devant lui, elle paraît offerte…
Justin voit dans un reflet la grande roue du Carnivàle tourner au dehors.
Quelque chose ne va pas avec le costume, fait remarquer Iris. Il y a une ouverture béante sur le pantalon.
« C’est comme ça que nous habillons les cadavres, répond le tailleur. C’est un costume de funérailles ».
La pièce, soudain, s’obscurcit. Justin regarde Iris, toujours agenouillée, la tête baissée, comme si elle cherchait à se cacher. D’un geste que l’on pourrait croire bienveillant si on ne connaissait pas Justin, le prêtre dévoyé relève le menton de sa sœur. Mais son visage a été remplacé par un masque blanc, et brutalement Iris plonge un couteau dans l’entrejambe de son frère. Justin se réveille, hurlant, terrorisé. Serait-ce la raison pour laquelle il essaye de se débarrasser de sa sœur ? Parce qu’il a peur qu’elle ne l’émascule, physiquement ou psychologiquement ? Parce qu’il ne sent pas véritablement un homme avec elle à ses côtés pour alimenter cet amour incestueux ? Justin ne serait-il qu’un enfant pervers et prisonnier de l’amour de sa sœur ?
Ce rêve aux allures prophétiques est un des plus impressionnants que cette série nous ait donné. De par son graphisme, très théâtral, son ambiance, plus réaliste et moins « onirique » (dans le sens décousu et étrange) que les autres, et de par sa conclusion, très violente, ce rêve surprend et marque les esprits. En tout cas, il aura largement marqué le mien.
Iris, dans cet épisode, montre un autre visage, qui m’a également énormément surpris. Alors que Norman se débat dans son lit pour tenter d’échapper à ses tortionnaires (qui sont ses propres enfants adoptifs…), il tombe à terre. Iris le découvre et, sans aucune tendresse, le remet au lit, tout en ayant un discours qui ne lui ressemble pas : elle explique à Norman qu’ils ne doivent pas être à la traîne, sinon Justin se débarrassera d’eux. Elle parle vite, de façon presque névrotique. Elle montre le visage d’une femme à la limite de la folie, bien loin donc de la froide et calculatrice Iris que l’on a l’habitude de voir. Lorsque Justin fait son discours révolutionnaire devant ses fidèles, elle est surexcitée, applaudit et se laisse aller à des émotions en public… Oui, je crois bien qu’elle est folle. Ce n’est pas comme si elle n’avait jamais montré aucun signe de folie, non… Mettre le feu à une église et laisser périr des orphelins afin que son frère bénéficie de martyres pour commencer son ascension n’est certes pas un acte particulièrement sain. Mais ce que je prenais jusque là comme un calcul et une perversité concordante avec les pouvoirs de son frère se révèle dans cet épisode à la limite de la folie pure et simple.
Alors que les bonnes de la famille Crowe se succèdent au rythme des rotations d’ambulances, Justin continue son ascension. Mais qui dit prise de pouvoir au sein même d’une Eglise, dit grincements de dents des prêtres bedonnants qui sont en haut. Et lorsque ces mêmes prêtres viennent demander à Justin de vérifier le contenu de ses prêches, ce dernier a d’abord une réaction d’obéissance surprenante. Ce n’est que pour mieux se servir d’eux et gagner plus de public… Alors qu’il s’apprêtait à lire le discours « relu et approuvé » par le cercle de ces Eminences, Justin déchire le papier en deux, puis en quatre, puis en dizaines de morceaux. Il n’est pas là pour prononcer le discours d’autres hommes. Ses fidèles ne sont pas pour écouter le discours d’autres hommes. Ils sont là pour l’écouter lui, Brother Justin, car lui seul peut dire la vérité dans ce monde fourvoyé, dirigé par des arrogants et des profiteurs… Et les fidèles le croient. Ils se nourrissent de ses paroles haineuses, ils ne croient pas, ils savent que Justin est un envoyé de Dieu, et personne n’hausse un sourcil quand le prêtre annonce à la terre entière que là où Jésus avait douze prophètes, il en aura 12000…
La puissance dégagée par Justin lors de ce discours dépasse de loin ceux qu’il a pu faire jusqu’à présent, peut-être parce que dans celui-ci, il s’affranchit du pouvoir de l’Eglise pour dire clairement son attention : devenir le prophète de sa propre religion. Il a fini par se détourner de Dieu, puis de Norman, et à présent de l’Eglise qui avait été jusque là toute sa vie. Il ne lui reste plus qu’à détacher de sa sœur, et Justin sera un homme libre. Du moins le croit-il.
Le plus grand moment de cet épisode, et peut-être le plus grand moment de cette série, est bien entendu la rencontre entre Ben et son père, Henry Scudder. La poursuite se termine. Ce que nous attendions depuis de nombreux épisodes finit par se produire. Ben est à Damascus, et d’étranges signes (dont un tueur de cochon qui lui demande s’il aime le porc) le conduisent jusqu’à l’Hotel Astoria, où le réceptionniste lui apprend qu’Henry Scudder est parti avant Noël sans payer sa note… Déception ? Non. Car au dernier plan de cette scène, le tic tic d’un télégraphe résonne, et une silhouette aux cheveux blancs se dessine. Il est là ! Je le sais. Mais Ben ne voit pas cet indice immédiatement. Il demande à voir la chambre qu’a occupé son père. « La chambre est prise ! » dit le réceptionniste, occupé à construire une tour Eiffel en allumettes. Pas grave, il veut quand même jeter un coup d’œil, le jeune Hawkins, il n’a pas fait tout ce chemin pour rien. Et nous non plus d’ailleurs. « La porte est toujours ouverte », annonce l’homme de l’hôtel.
Ben s’avance donc dans un couloir mal éclairé, et ouvre la porte de la chambre n°2. Des visions l’assaillent : il y voit un homme qui hurle, le visage décomposé… Lorsqu’il entre dans la pièce, trois prostituées attendent sur un canapé. « Buying or looking ? » demande la plus grosse d’entre elles. Ben leur demande si elles connaissent Henry Scudder, mais visiblement elles ne sont pas prêtes à coopérer. Ben se lève pour repartir, quand soudain, il est submergé par une violente vision. Un homme verse de l’acide chlorhydrique dans un bac, protège ses yeux à l’aide de lunettes et plonge le visage dans la dangereuse substance, à deux reprises. Sa peau brûle, il hurle. Il s’asperge de vinaigre… Soudain Ben reconnaît cette silhouette, ces cheveux blancs filasses : Scudder est l’homme du télégraphe.
Il ouvre la porte, et tombe nez à nez face à Varlyn Stroud, qui le prend par le col et s’apprête à l’assommer d’une droite. Mais Ben réussit à esquiver le poing de Stroud, qui atterrit dans une psyché et se coupe sérieusement. « Tu vas payer pour ça », annonce une des prostituées… Doit-on le prendre littéralement ou bien ces trois femmes, dans une étrange métaphore, représentent-elles les Trois Parques ? Seraient-elles les fileuses du Destin, les Moïres du passé, du présent et du futur ? Celles des quelles les Grecs savaient ne jamais pouvoir échapper ?
J’ai eu peur que Ben ne veuille fuir avant d’avoir parler à son père. J’ai eu peur que toutes mes attentes soient frustrées. Mais Ben est comme nous : il ne recule devant rien pour obtenir des réponses. Il a cherché son père toute sa vie, et ce n’est pas parce qu’un homme cherche à l’en empêcher qu’il va fuir. Ben se rend donc jusqu’au bureau du télégraphe, où l’homme aux cheveux blancs se tient toujours assis. Il referme la porte derrière lui. Le réceptionniste crie qu’il va appeler les flics. Mais Ben n’en a cure :
« Henry Scudder , dit-il.
- Qui ? demande l’homme, révélant son visage scarifié.
-Tu es lui, répond Ben. »
Ben lui dit qu’il est son fils. Le vieil homme semble sourd à ces révélations. Ben se décide donc, alors que Stroud s’est équipé d’une hache et qu’il tente d’ouvrir la porte, à poser ses mains sur le visage déformé de son père, qui se laisse faire, comme résigné. Soudain, Stroud tombe à terre, ne parvenant pas à retrouver son souffle. Il arrive à s’éloigner de la porte, et à sa place, le réceptionniste s’écroule, comme victime d’une crise cardiaque. Dans l’hôtel, et au dehors, les gens perdent connaissance, chavirent, peinent à respirer… A des centaines de kilomètres de là, Justin vomit le lait qu’il aime tant à boire.
Ben redonne à son père le visage qu’il a voulu effacer, le visage qui avait été moulé et conservé par sa mère, la seule possibilité qu’il avait d’être localisé. Henry Scudder avait voulu disparaître et c’était le seul moyen qu’il avait d’être sûr que personne ne pourrait le retrouver.
Une fois son visage dévoilé, Scudder ne cherche pourtant pas à fuir. Dans la voiture qui le ramène vers son ennemi, le père de Ben reste calme, presque résigné. Et Hawkins de poser les questions que tous les enfants qui ont été abandonnés veulent poser : « pourquoi être parti ? pourquoi m’avoir laissé ? ». Mais Scudder ne veut pas se justifier. Il a fait ce qu’il avait à faire, lui explique-t-il. Il aurait voulu vivre une vie paisible, une vie de famille, mais le Russe l’en a empêché. Il aurait voulu que Ben ne soit pas impliqué… Mais on ne peut pas échapper à cette destinée, dit-il. Et Ben d’acquiescer. Scudder se méfie du Management, alors que son fils lui fait entièrement confiance : « Il ne veut que parler ! ». Le Russe, ou Belyakov, comme l’appelle Scudder, est dangereux, malgré ses blessures et le fait qu’il ne lui reste plus qu’un bras. Jusqu’à son dernier souffle, il est extrêmement dangereux. Ben ne le croit pas. « Si jamais tu as tort, me protègeras-tu ? » demande son père, qui visiblement a renoncé à toute volonté de combattre. Oui, malgré tout, Ben aime son père, et il protègera. « Je suis heureux d’avoir eu ces quelques heures avec toi », dira Scudder, alors qu’ils s’apprêtent à entrer dans la caravane du Management. Samson n’est pas là pour assister à ce moment décisif. Sabina, son ex-femme, a reçu l’ordre du Management d’occuper le nain pour ne pas qu’il « interfère ». Et on peut dire qu’elle est zélée…
Scudder salue son ennemi. Le Management ne veut savoir qu’une seule chose. Le nom de l’ennemi de Ben. Et comme Scudder ne semble pas pressé, le soldat russe l’empoigne et le force à donner ce nom. « Alexei ! Alexei Belyakov.
- Non ! Mon fils est mort dans un accident de train.
- Il est l’opposé du garçon. Il a envoyé un homme à mes trousses… Il n’est pas mort. »
C’est alors que le Management surgit de derrière ses rideaux et enserre le cou de Scudder de son dernier bras valide. Les deux hommes s’agitent ; Ben panique et essaye d’arrêter le combat, mais tout va trop vite… Scudder supplie son fils de l’aider, et Ben saisit le couteau que sa grand-mère lui avait confié. Il poignarde le Management, qui tombe à terre, et plonge à plusieurs reprises son arme dans son torse, d’où un sang bleu s’épand… Les lumières artificielles, au dehors, s’arrêtent. Ben tourne la tête vers son père, qui gît contre le mur, reprenant ses esprits. Il regarde le corps mutilé du soldat russe… Et celui-ci reprend vie, et il saisit férocement le coup de Ben, qui n’arrive pas à s’en défaire.
Les lumières se rallument et la Grande Roue reprend son cycle…
Ben est-il en train de mourir ? Le Management est-il en train de s’accaparer ses pouvoirs ? Pourquoi du sang bleu ? Est-ce un signe que le Management était le Usher ? Jamais un épisode ne m’aura autant marqué. Jamais il n’est arrivé d’avoir autant envie de connaître la suite…