En Direct des USA

Accueil > Reviews > Saison 2004/2005 > Carnivale - Saison 2 > 2.09 - Lincoln Highway

Carnivàle

2.09 - Lincoln Highway

Let us pray...

mardi 15 mars 2005, par Feyrtys

Un épisode un peu plus calme que les précédents, mais non dénué de révélations, et d’une beauté esthétique rarement égalée dans une série. Les plans du désert, dans lequel se débat un homme victime de la barbarie et du désir de vengeance, sont absolument sublimes. Les plans d’un pique-nique au bord de l’eau deviennent un Jardin d’Eden, lieu sacré perverti…

Si Ben a eu de nombreux cauchemars pendant la saison 1, au point de ne plus vouloir dormir, c’est au tour de Justin de subir ces rêves terrifiants… C’est à présent Justin qui se voit poursuivi, menacé, exécuté. Serait-ce là aussi une question d’ascendance d’un Avatar sur un autre ? Le plus puissant des deux serait-il celui dont les nuits sont épargnées par ces visions terrifiantes de meurtre et de sang ? Justin rêve de cette Roue, et il sait que là se trouve son ennemi, celui qui a le pouvoir de le tuer. La Roue du Carnivàle lui rappelle qu’il fait parti d’une cycle au mouvement éternel : la Roue tourne et elle symbolise le destin, continu et réglé, elle n’a ni début ni fin.

Justin a toujours besoin de son père adoptif, Norman Balthus. Après tout ce qu’il lui a fait subir, après l’avoir torturé en lui montrant son vrai visage, après l’avoir installé en dessous de sa chambre, lui imposant le viol des femmes qui se sont succédées comme bonnes, Justin semble encore lié, malgré tous ses efforts, à son père adoptif. Il lui confie ses rêves ; il lui explique qu’il fait ce genre de rêves depuis qu’il est enfant. « Mon ennemi se rapproche. Et il veut nous détruire ». Nous détruire… Comme si Justin n’était pas seul dans cette destinée, comme si Norman, et sûrement Iris, en faisaient également partie. J’avoue avoir du mal à comprendre ce que Justin tente de faire, ou de défaire, au sein de sa « famille ». Après s’être rendu compte que sa sœur le protégeait et agissait dans son avantage depuis son plus jeune âge, Justin a voulu la condamner à mort en l’obligeant à avouer le meurtre des orphelins. Mais lorsqu’il s’est aperçu que la loi des hommes ne lui permettrait pas de mettre ses plans à exécution, il a finalement épargné sa sœur, qui pourtant était prête à se sacrifier pour lui. Que cherche-t-il à obtenir d’elle ? Les regards lubriques qu’il lui porte ne font aucun doute sur la nature incestueuse de l’amour qui les unit. En cherchant à la condamner, cherche-t-il à s’affranchir du pouvoir qu’elle a sur lui ? Recherche-t-il l’indépendance ? Justin aurait bien d’autres moyens à sa disposition pour se débarrasser de sa sœur et de la figure paternelle que représente Norman. S’il le voulait, ils seraient déjà loin et impuissants. Mais quelque chose semble empêcher Justin d’aller au bout de sa volonté d’indépendance. Tout comme quelque chose le perturbe chez Sofie. Leurs mains se sont touchées, et pourtant, aucun des deux ne semble avoir vu clair dans l’autre. Sofie semble admirer l’homme d’Eglise, elle qui cherche le pardon. Et Justin semble intimidé par sa présence, comme touché. Il n’apprécie d’ailleurs pas que Norman se moque de lui, et, dans un élan démoniaque, arrache par sa seule volonté une des dents de son ancien mentor. Norman suffoque, souffre, grimace atrocement, et finit par recracher une dent ensanglantée… Si le vieil homme avait pu parler, Justin lui aurait sûrement arraché la langue…

Norman a certainement la place la moins enviable de l’histoire, au sein de tous les personnages de Carnivàle. Rendu impotent par l’attaque qui l’a frappé, il ne peut ni agir, ni se faire entendre. Il est entouré par deux monstres que sont ses enfants adoptifs et qu’il a élevé dans ce qu’il croyait être de l’amour. Il n’a pu empêcher son fils de choisir la voie opposée à ses principes : il a échoué dans son éducation, tout simplement parce que chaque être humain choisit sa propre voie et que rien n’est déterminé. Rien ne forçait Justin à vouloir devenir le Usher. Il l’a choisi. Tout comme il a décidé qu’il se mettrait à la manipulation de la foule et donc, naturellement, à la politique. Il sert ses propres décisions avec force et détermination, envers et contre tous. Ce que je n’arrive pas à saisir, c’est pourquoi il ne peut s’éloigner de sa sœur ni de son père adoptif. En cherchant à condamner Iris, puis en piégeant Tommy Dolan, il s’est attiré la colère de sa sœur. Si tout semble rentré dans l’ordre entre eux, il n’en est rien. Iris cache un secret.

Alors qu’elle part à la recherche d’Eléonore, la servante qui connaît Justin et Iris depuis qu’elle a tenté de voler l’argent de la quête dans le pilote de la série, on pense qu’elle cherche à savoir si la vieille femme tiendra sa langue ou non à propos des yeux démoniaques de Justin. Pour la convaincre que tout cela n’était qu’un rêve, Iris s’emploie à paraître la plus sereine possible et amène Eléonore pique-niquer près d’une rivière, dans un lieu de toute beauté, quasi idyllique. Bien sûr qu’elle a rêvé ! Justin est un homme de Dieu… Elle a du trop travailler, s’est assoupie quelques instants. Eléonore finira par se convaincre que ce n’était qu’un mauvais rêve… Iris a réussi. Mais pas tout à fait : la vieille femme, soudain soulagée par la pensée qu’elle n’a vu aucun démon, tient à rigoler de cette méprise avec Justin. Il a un merveilleux sens de l’humour, il comprendra, dit-elle. Mais Iris ne veut pas qu’Eléonore insinue qu’elle a vu quelque chose, même si elle s’est persuadée que ce n’était qu’un mauvais rêve. Iris veut qu’Eléonore garde pour elle toute cette histoire. Comme elle ne semble pas vouloir se taire, Iris agit comme elle l’a toujours fait : elle tue Eléonore. Mais pourquoi en arriver là ? Eléonore ne représentait plus une menace à partir du moment où elle s’était convaincue d’avoir rêvé.

C’était sous-estimer les intentions d’Iris.

En effet, la sœur de Justin est un personnage complexe. Consciente du pouvoir que son frère possède, elle passera son enfance à le protéger et une grande partie de sa vie à lui donner l’occasion de devenir l’homme puissant qu’il est aujourd’hui. Elle tue les enfants de l’orphelinat pour que son frère les utilise comme martyres et se fasse entendre par la population par ce biais. Je pense qu’Iris a parfaitement compris de quoi était capable son frère, même sans avoir vu tous ses pouvoirs à l’œuvre. Je pense que dans son amour pour son frère, elle lui a montré le chemin et accompli ses basses-oeuvres. Je pense qu’elle a plus de souvenirs de son père et de sa mère que Justin, et que de ce fait, elle en sait plus qu’elle ne semble le montrer. Je pense aussi qu’elle déteste son frère pour avoir essayé de la faire condamner alors que tuer les orphelins était pour elle un acte d’obéissance et de dévotion. Je pense que la situation s’est retournée et que le dos de Justin est nu sans l’appui de sa sœur.

Norman Balthus a repris des forces. Il le cache bien. Il attend une occasion pour agir. C’est son dernier espoir, la dernière chose qui le tient encore en vie. Il doit empêcher l’ascension de son protégé ; il doit empêcher Justin de faire tout le mal qu’il s’apprête à faire. Il n’a pas beaucoup de solutions : personne ne l’a cru lorsqu’il a accusé Justin d’être possédé ; et à présent son champ d’action est très réduit. Mais une opportunité se présente. Justin et Val Templeton, l’homme politique, ont organisé un meeting pendant lequel Justin donnera sa voix au candidat au Congrès, sur fond de distribution de pots-de-vin et de signatures crapuleuses. Pendant le discours de Justin - "blessed are the migrants, the okies, the road-ites, for they are the true Americans !" (notez comme le terme "vrais américains" sous-entend qu’il y en a des "faux")- Norman aperçoit une arme à sa portée, s’en saisit et vise Justin. Mais la balle est arrêtée par les nombreux micros qui le protègent, au sens propre comme au sens figuré. Norman a failli. La foule, haineuse et moutonneuse, se précipite sur le vieil homme et le roue de coups, jusqu’à ce que Justin hurle de le laisser en paix. Il le prend même dans ses bras comme pour le bercer. Pardonner, voilà l’ordre que Justin intime à ses paroissiens. Désespérance, voilà ce qui se lit sur le visage tuméfié de Norman…

Sofie est transportée par ce qu’elle voit. Elle qui cherche à comprendre pourquoi sa mère la détestait autant, elle voit en Justin ce qu’elle n’est pas capable de faire : pardonner. Pourquoi ne voit-elle pas que Norman a agit comme un homme désespéré ? Comment peut-elle être bernée par les paroles de Justin ? Peut-être parce qu’elle est perdue… Elle, si décidée à se libérer de l’influence de sa mère, ne peut pas encore se libérer de toute influence… Peut-être qu’elle ne sait pas choisir par elle-même et pour elle-même, ou pas encore. Elle a toujours agi soit pour sa mère, soit contre elle. Mais je vous avouerai que je préférais la savoir près de Ben que près de Justin… Lorsque Justin touche Sofie pour la première fois, qu’il lui frôle la main et la prend dans la sienne, j’avoue avoir pensé (et même prononcé) « Get your dirty hands of her !!! Don’t you dare touch her !! ». Moi aussi je tremble pour elle, je tremble à l’idée que Justin puisse lui faire du mal, qu’il la viole comme elle a vu sa mère être violée (ou bien était-ce une projection de ce qu’il allait arriver)… Mais j’oublie que Sofie n’est pas sans ressource. Qu’elle soit perdue, c’est concevable, mais je sais qu’elle peut se montrer forte et déterminée. Elle saura faire face à Justin et qui sait ? peut-être même lui faire peur…

Le rôle de Sofie reste très mystérieux. Si sa mère a été contrainte d’essayer de la tuer, et c’était peut-être pour la protéger d’elle-même. « Every Prophet in her house », cela veut-il dire qu’elle est un refuge pour les prophètes ? Une matrice qui devra accueillir les Avatars ? Pourquoi Appolonia hurlait-elle « NON », à la vitre de la voiture dans laquelle Sofie et Ben ont fait l’amour ?

Une partie de réponse est apportée par Lodz, qui désormais a pris l’habitude de se manifester à travers le corps de Ruthie. Il écrit sur un miroir, au rouge à lèvres : Sofie is the omega. Autrement dit, Sofie est la fin. L’expression « Etre l’Alpha et l’Omega » signifie être le début et la fin, dans le sens être le Tout, être l’Un, être une multitude et un seul à la fois. Sofie est donc la fin, mais sans en être pour autant le début. Mais la fin de quoi ? de qui ? Pourquoi sa destinée semble la moins « inévitable » de toutes ? Et quels sont les plans de Lodz, celui qui a été sacrifié par le Management ?

Sofie est peut-être la fin qui scellera le sort des Hommes… Ou la fin d’un cycle, d’une bataille… En attendant, elle est une jeune femme qui cherche des réponses à ses questions et à ses peurs. Et qui prie à genoux, les mains liées au pire démon qu’elle n’a jamais rencontré.

Un démon dont le véritable pouvoir n’est connu de deux personnes : sa sœur et son père adoptif. L’une le protégeait jusque là, l’autre a essayé de le tuer. Mais Iris cachait quelque chose… Sa volonté de faire plier son frère. Elle ne lui a pas pardonné d’avoir essayé de la faire pendre au bout d’une corde. Elle veut le faire payer. Les choses prennent donc un tout autre aspect avec cette nouvelle carte en jeu. Si Justin attendait un sacrifice de la part de sa sœur, il ne peut plus compter sur elle.

Le chemin de Ben est retardé par un événement qu’il ne pouvait pas prévoir. A la suite de l’effondrement de la Grande Roue, un veuf décide de se venger contre l’homme qui était responsable de la roue, à savoir, Jonesy. Le fait que Jonesy ait été aperçu saoûl le soir de l’accident fait de lui la parfaite victime alors que, comme le dit si bien Stumpy, il a fait tourner cette roue sobre et saoûl des dizaines de fois. C’était un accident, ni plus, ni moins. Mais dans le deuil les gens ont tendance à vouloir désigner des coupables, pour ne pas s’accuser eux-mêmes, ou avoir à affronter la perte. Ils sont en colère. Et les gens en colère sont les plus dangereux, avec ceux qui ont peur : ils sont prêts à tout.

Plusieurs hommes kidnappent Jonesy et Libby dans leur tente et les emmènent en plein désert, où ils mettent Jonesy à mal et finissent par un sévice fort pratiqué à cette époque : le goudron et les plumes… Au petit matin, Jonesy agonise au soleil, le visage à moitié recouvert de goudron, l’empêchant de respirer. Libby reste à ses côtés, impuissante. Lorsqu’elle essaye de retirer le goudron, la peau vient avec. Des vautours, charmants oiseaux, commencent à rôder dangereusement prêt de Jonesy. Alors que je pensais que ces deux-là ne pouvaient pas vraiment s’aimer, et qu’ils avaient fait une erreur en se mariant, Libby montre une telle détermination à essayer de sauver un homme qui est sur le point de mourir, sans penser à ce qui pourrait lui arriver à elle, qu’elle m’a convaincu qu’elle l’aimait.

C’est en entendant la voiture de Ben que Libby s’éloigne de Jonesy et appelle au secours. Décidément, Ben a une fâcheuse tendance à se trouver au bon moment au bon endroit, ces derniers temps… Il s’arrête au bord de la route, constate les dégâts et fais ce qu’il a à faire, alors que dans une vision il a vu son père drogué à la morphine et Stroud dans un motel non loin de là…
Mais Ben décide que la vie de Jonesy est plus importante que d’avoir une chance de retrouver Scudder. Il transporte donc le corps agonisant à l’écart de la route, et ordonne à Libby de rouler, fenêtres baissées, le plus loin possible. Et de revenir plus tard pour les chercher. Elle obéit, et Ben s’assoit près de Jonesy, sous un soleil de plomb et au milieu d’un paysage aussi magnifique qu’il est hostile.

La scène est tout simplement magnifique. Perdus au milieu du désert, Ben, Jonesy et les vautours sont les seuls êtres vivants à des kilomètres alentours. Attendant patiemment que les charognards se regroupent, Ben finit par apposer les mains sur le corps meurtris de Jonesy… L’ancien joueur de base-ball, qui revoit le meilleur moment de sa vie (marquer trois strikes alors qu’on doutait de lui), finit par ouvrir les yeux et voit les oiseaux morts autour de lui. Il n’en revient pas. Le goudron pèle comme de la vieille peau, et, plus que tout, son genou est guéri. Il n’a plus besoin de son attelle. Son bonheur est émouvant, et Tim DeKay est tout simplement parfait. Ses retrouvailles avec Libby sont bien plus touchantes que tout ce qui est arrivé au couple depuis le début de cette saison. Ce qui ressemblait jusque là à une simple histoire sexuelle passe à un autre niveau, celui de l’amour et de l’affection. Libby a promis qu’elle arrêterait de danser s’il ne mourrait pas… Parions qu’elle tiendra sa promesse.

La question que je me pose est la suivante : que risque Ben à montrer ainsi l’étendue de ses pouvoirs ? Que se passera-t-il au sein du cirque si les carnies apprennent ce dont il est capable ?


L’excellence de la photographie a atteint son summum dans cet épisode. Les plans se suivent tel des tableaux, puissants et simplement beaux, au sens le plus pur du terme : ils éveillent une émotion.