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Carnivàle

2.12 - New Canaan

When it comes to livin’, dying is the easy part.

lundi 11 avril 2005, par Feyrtys

Le premier livre s’achève. Il y a tant à dire sur la destinée de tous les personnages de Carnivà le, tant de choses à comprendre, tant de choix à interpréter… Au milieu de tous ces questionnements et ces surprises, n’oublions pas le plus important : le plaisir que nous avons eu à écouter l’histoire que Daniel Knauf et son équipe nous ont racontée. "People in these towns are asleep. We wake ’em up.", avait dit Sofie à Ben dans la saison précédente. Cette phrase peut sans conteste s’appliquer au chef d’Å“uvre qu’est cette série : si nous étions endormis, Carnivà le nous a réveillé, émerveillé, et à jamais marqué.

New Canaan, Californie. Les pauvres, les rejetés, les affamés et les désespérés se sont regroupés autour de Brother Justin et de son Temple de Jéricho. Un cirque les a rejoint. Deux mondes vont se rencontrer, deux mondes vont s’affronter : l’un a été rendu muet et aveugle par les discours dangereux d’un homme qui se prend pour Jésus, d’un Prophète qui leur promet un avenir meilleur et manipule leurs votes pour s’assurer une bonne place au Congrès. L’autre univers est celui d’un cirque longtemps dirigé par un homme mutilé et mourant, un homme dont le seul but était d’offrir ses pouvoirs à son successeur. Les membres du cirque l’ont jusque là suivi sans poser de question, par respect, par affection, ou par peur. A présent que le Management n’est plus, c’est Ben Hawkins qui a repris la direction du Carnivàle. Et c’est parce qu’il n’est pas un simple garçon de Milfay, parce qu’il a sauvé Jonesy d’une mort certaine, que toute la troupe se décide à le protéger et à l’aider.

Deux promesses d’un monde meilleur, deux hommes qui sont des ennemis ancestraux, deux camps, deux « maisons » et une bataille à l’issue incertaine.

Dans la maison de Justin, la suspicion et la défiance règnent. Dans celle de Ben, le respect et la dévotion semblent avoir pris le pas sur l’air de rébellion que Lila a essayé de souffler. Samson et Jonesy font tout ce qui est en leur pouvoir pour dissuader Ben de tenter une mission-suicide. Justin est entouré d’une petite armée de fidèles, et son apôtre est aussi terrifiant que sanguinaire. La troupe du Carnivàle n’est pas vindicative ; leur seul avantage est de pouvoir partir aussi vite qu’ils sont arrivés. Ils peuvent divertir une nuit, et demain les gens les auront oubliés. Une diversion, voilà exactement le plan que Samson prépare pour aider Ben. Si pour guérir un être humain, Ben doit en faire souffrir un autre, alors il suffira de réunir tous les malades de New Canaan et les guérir en prenant l’énergie vitale de Justin, pendant que celui-ci profite d’un tour gratuit dans la Grande Roue.

Ben se laisse convaincre, et dans une scène magnifique, il devient le « Miracle Worker », le Soigneur à la chaîne qui efface les souffrances, palpables, presque solides, des désespérés autour de lui. Comme eux, nous admirons Ben et sa force, comme eux, nous sommes éberlués par son pouvoir, alors que nous l’avons déjà vu à l’œuvre de nombreuses fois. Mais contrairement à Justin, dont le pouvoir réside à montrer de « terribles choses », à faire peur, à manipuler, le pouvoir de Ben n’est pas aussi démonstratif. Tout ce que l’on voit, ce sont ses mains, son visage concentré, et le miracle s’accomplir. Si peu d’effet pour autant de magie…

Justin est bien monté dans la Grande Roue. Il est venu, accompagné de sa garde impériale, Stroud en tête. A ses bras, sa sœur, Iris, paralysée par la peur de devoir monter dans l’attraction avec Justin. Elle a le vertige… Mais puisque c’est elle qui a amené le Carnivàle au sein même de la maison de Justin, elle n’échappera pas à la petite revanche de son frère : elle sera à ses côtés si quelque chose lui arrive.

Si Justin a accepté l’offre de Samson, alors qu’il pressent le danger, c’est par témérité. Le Prince de l’Obscurité est persuadé que son Royaume est sur le point d’advenir. Il est orgueilleux, sûr de lui, et les récents pouvoirs qu’il a acquis de Scudder n’arrangent rien à son complexe de supériorité. Il a tout fait pour conquérir son audience, et bâtir un empire aux pieds d’une colline surplombée d’un arbre mort. Justin est le Usher, du moins veut-il le croire. Il s’est fait tatouer le même arbre, la parfaite réplique de l’homme qu’il voit dans ses rêves, l’homme aux cheveux de jais qui semble le poursuivre. Justin veut devenir le Usher, le Passeur, le Guide, celui qui amène la Destruction avec lui, ou qui montre la voie vers la Destruction. On ne sait pas encore ce qu’il doit accomplir pour ce faire, mais Justin semble savoir… La première étape est de se débarrasser de son ennemi, Ben Hawkins. Le Carnivàle n’est pour Justin qu’un moyen de s’approcher de Ben.

L’un enfermé dans une Grande Roue, l’autre appliquant ses mains sur la maladie et le désespoir, blessant son ennemi avec la souffrance que le premier a utilisé pour devenir l’homme puissant qu’il est aujourd’hui. Juste retour des choses.

Mais la Roue ne tourne pas suffisamment longtemps pour affaiblir Justin. Il réussit à s’en échapper, et il n’y a à présent plus rien qui le sépare de son ennemi. Samson prévient Ben : il doit s’enfuir ! Mais dans un dernier geste, Ben soigne le personnage qui a certainement le plus souffert durant cette saison, Norman Balthus. Justin est à présent entré dans la tente de Ben, dans sa maison, et pour contrecarrer les attaques de son ennemi, il provoque un bain de sang dans la foule venue assister au miracle de Benjamin Saint John. Torse nu, la soutane grande ouverte sur son torse tatoué, les yeux noirs, il avance vers Ben avec la détermination de l’homme furieux, du prédateur qui aperçoit enfin sa proie. Sa faux à la main, il tranche au hasard, se nourrissant du sang qu’il fait jaillir. Entre lui et Ben qui s’enfuit, se dresse son père spirituel, l’homme qui l’a sauvé d’une mort certaine, Norman. « The power of Christ compels you ! » seront les derniers mots du vieil homme, des mots pour sauver son fils, et non pour le tuer… Justin plongera sa faux au creux du ventre de son père, et, faisant remonter la lame courbe vers le cœur, lui dira ceci, comme pour l’achever une ultime fois : « Holy evil has come ».

Ben court à présent à perdre haleine au milieu d’un champ de maïs… Il vit les rêves terrifiants qu’il a fait longtemps auparavant. La poursuite est nocturne, mouvementée, angoissante. Le champ de maïs est comme un labyrinthe, un endroit dont on ne ressort pas… Les rangées sont sans fin, les feuilles tranchantes et même la lueur de la lune ne semble pas atteindre le champ obscur. Ben tombe et saisit sa dague, sa seule arme contre Justin, qui réussit à le blesser au bras. Ben réussit à s’échapper et se cache dans un épouvantail, les bras en croix. Justin, malgré ses pouvoirs, est aveuglé par sa rage sanguinaire et ne voit pas le subterfuge. Ben en profite pour plonger sur lui et plonger sa dague dans son cœur. Mais le tatouage protège Justin, et la lame ricoche comme sur de l’acier. La riposte de Justin est violente : il lacère Ben au flanc… Toute ressemblance avec des blessures mythologiques n’est pas fortuite.

Justin s’apprête à porter le coup fatal. Il s’enorgueillit une dernière fois : « Look at you, boy, such a sad mess ». Ben, à terre, prononce le nom de Sofie, comme pour l’appeler… Ou bien ses dernières pensées vont-elles vers la femme qu’il aime ? La réponse de Justin est claire : Ben va rejoindre Sofie, dans l’au-delà, et elle l’y attend.

Mais la vision que Lucius Belyakov, l’ancien Prince de la Lumière, avait donné à son « héritier », revient à la mémoire du jeune homme. Dans un ultime élan, et malgré ses blessures, il frappe à un endroit très précis de l’arbre, à un endroit ou les branches se rejoignent, et y plonge sa dague profondément. Justin s’écroule, et Ben sur lui. La bataille est finie.

Ou peut-être pas.

Justin, se rendant compte qu’il ne pouvait manipuler Sofie à sa guise, ni la faire changer de camp pour rejoindre le sien, décide de la faire enfermer à l’endroit même où Scudder avait été ligoté. Il n’a pas su voir exactement qui elle était. Personne, à vrai dire, depuis Lucius Belyakov jusqu’à Talbot Smith, n’a su qui était Sofie. Seule sa mère, Appolonia, et son confident, Lodz, savent quel est le rôle que joue Sofie dans cet affrontement. Appolonia a cherché à mettre fin à la vie de sa fille ; Lodz a laissé des messages depuis la mort avertissant du danger que représente Sofie (« [She] is the Omega ») ; le laconique Templier annonce : « Every Prophet in her house », et une petite fille aux yeux complètement noirs repète cette phrase, c’est elle, depuis toujours.

La mère de Sofie suivait sa fille de près depuis sa mort. C’est apparemment elle qui a conduit sa fille vers la chambre de Justin, la mettant dans une position dangereuse : Sofie a surpris Brother Justin en train de s’habiller et a aperçu l’imposant tatouage. Erreur. Justin fait enfermer sa protégée et compte bien la laisser mourir.

Seule dans la maison verrouillée, ligotée, Sofie a peur. Mais ce n’est rien comparé à l’effroi qu’elle va bientôt ressentir : la silhouette noire de sa mère, dont le visage est recouvert d’un voile noir (mais de qui fait-elle le deuil ?), l’attend dans la maison. Elle s’approche d’elle, et Sofie ne peut rien faire sinon prier pour qu’elle arrête de la harceler. Mais la silhouette continue d’avancer. Et finit par lui toucher le visage. Alors Sofie a des visions de son enfance, de sa vie au Carnivàle, de ses émois amoureux et sexuels, et de la phrase qui lui revient en pleine figure : « Every Prophet in Her House ». La silhouette fantôme soulève son voile de dentelle noire et découvre un visage familier : c’est celui de Sofie, les yeux noirs et opaques, dépourvus d’iris… « This is YOUR House », lui dit-elle.

Et cette vision du double visage qui est en elle, qui a toujours été en elle (la petite fille aux yeux noirs peut en témoigner), éveille la vraie nature de Sofie. Libérée, dans la violence, de l’emprise que sa mère avait sur elle, libérée de son rôle au sein du Cirque, du rôle qu’elle n’avait jamais voulu tenir, Sofie a trouvé sa propre voie, elle a tracé son propre chemin. Cependant, elle reste guidée par une force dont on ignore tout… Etait-ce sa mère qui a changé la station de radio sur les discours de Justin ? Etait-ce sa mère encore, qui a conduit Sofie dans la chambre de Justin, la mettant en danger ? Cela est peu probable. Appolonia a toujours voulu protéger sa fille. En voulant mourir avec elle, elle désirait la paix pour elle deux, et peut-être la paix pour un plus grand dessein. Il est peu probable qu’Appolonia ait souhaité voir sa fille se jeter dans la gueule du loup (et quel loup). Et si la silhouette voilée était en réalité l’expression du visage caché de Sofie, d’une partie d’elle dont elle n’a pas encore pris conscience ? Kant disait que l’on ne pouvait jamais se connaître parfaitement, qu’un voile opaque nous empêchait de nous voir clairement (et il l’a dit bien avant la psychologie de Freud). Et si ce voile, ici, avait pris l’apparence d’un véritable voile, d’un voile obscur, noir comme les yeux de la petite fille qu’elle a été mais dont elle n’a plus aucun souvenir ?

« This is your House ». Elle est chez elle dans sa maison. C’est elle qui décide. Qui distribue les cartes.

Et sa première décision est d’assassiner l’homme dont elle a été amoureuse, et la figure du père qu’elle n’a pas connu… Elle tue Jonesy alors qu’il était venu la sauver, alors qu’il avait réussi à assommer Stroud et à lui voler ses clés. Elle tue Jonesy de sang-froid, ne lui donnant aucune chance ; elle le tue sans raison apparente, comme pour marquer son territoire : c’est sa maison. Elle agit à sa guise.

La mort de Jonesy est surprenante et révoltante. On se demande pourquoi, on accuse Sofie d’être passée du côté du mal, on se demande quelles sont ses raisons derrière ce geste. Mais là où l’on réalise véritablement qu’il n’est plus, et là où l’on pourrait se laisser submerger par l’émotion, c’est au petit matin, lorsque Samson, assis dans sa fourgonnette du côté du passager, scrute l’horizon en espérant voir apparaître son ami. Et que renonçant à ce miracle, il ordonne au conducteur de mettre les gaz. Et ce n’est alors pas Jonesy qui monte à ses côtés, comme ça a toujours été le cas. C’est un autre visage, alors que tout ce que nous pourrions souhaiter à cet instant, c’est que ce soit Jonesy qui monte... Mais ce n’est pas lui.

Sofie s’est débarrassée de sa vie au Carnivàle. Elle a des desseins à accomplir à présent, qui n’incluent en aucun cas de lire les cartes. C’est à elle de les distribuer à présent. Et sa première redistribution sera de retrouver le corps du vaincu, le corps de l’homme qui a violé sa mère. Sa première redistribution sera de faire revivre son père.

Ben, lui, a été sauvé par la troupe du Carnivàle. Ils ont tous attendu l’aube pour partir à sa recherche et l’ont retrouvé, allongé sur le corps de Justin (comme s’ils avaient fait l’amour, me suis-je même dit… mais ça n’engage que moi). Dans le silence et le recueillement le plus complet, ces hommes et ces femmes portent à bout de bras le corps inerte de Ben, qui a trouvé la force de continuer à respirer. La scène est splendide, et le lever de soleil sur le champ de maïs est de toute beauté. Ben est chez lui dans le Carnivàle. Il est leur Prince.

Mais alors qu’il récupère des forces dans la caravane du Management, à la place de Lucius Belyakov, Sofie appose ses mains sur le corps de Justin, et autour d’eux le champ de maïs s’assèche et meurt. Au même moment, la blessure de Ben se referme…

Cette deuxième saison a été une formidable suite, riche en événements, en révélation, en plans inoubliables et en émotion. Ce fût une réussite, de bout en bout (si on oublie toutefois quelques erreurs de mauvais goût). Tous les grands événements sont advenus : Ben a rencontré son père ; Scudder a montré son vrai visage ; le Management aussi ; Justin a voulu devenir le Usher ; la carte de Sofie s’est enfin dévoilée.

Bien entendu, nous avons encore des questions, de nombreuses questions. Qui est Sofie, quel rôle joue-t-elle ? Qui est le Usher exactement ? Quelles sont les intentions de Lodz et d’Appie ? Que va-il advenir du Temple de Jéricho maintenant que son chef spirituel s’est révélé être un démon éventrant à tout va ? Quels sont les plans d’Iris ? Et j’en oublie…

Ce qui est certain, c’est que tout a changé au sein du Carnivàle. Jonesy est mort. Rita Sue, Libby et Stumpy ont quitté Samson et sa troupe, le cœur gros. Leur décision est compréhensible, leur choix a été fait, mais leur départ me rend triste, comme si c’était la fin d’une époque. Et ça l’est, d’ailleurs. C’est la fin du premier volet de la trilogie que nous a promis Daniel Knauf. Et dont nous espérons tous voir la conclusion un jour.