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Carnivàle

2.04 - Old Cherry Blossom Road

Always room for kin at the table

jeudi 3 février 2005, par Feyrtys

Sur l’ancienne route des fleurs de cerisiers, il ne fait pas bon gambader… Les cerisiers se sont fossilisés et il y a bien longtemps que l’été a tout brà »lé. Et au milieu de ce désert vit une famille de dégénérés…

Ben a échappé de près à la mort. Ses bourreaux ayant reconnu les initiales H.S. de l’insigne des Templiers, ils l’amènent voir celle que Ben appelle The Crone, et qu’il recherchait depuis que Kerrigan avait récité son poème. Rectification : que le Management recherchait par l’entremise de Ben.

The Crone est visiblement crainte par la petite communauté de consaguins. Enfermée dans une chambre à l’étage, elle fait subir son influence et son autorité sur ces hommes violents et ces femmes silencieuses.

Avant que Ben ne soit amené dans la chambre de la Crone, le plus vindicatif du groupe d’homme est appelé à l’étage : il en ressortira les lèvres cousues… C’est au tour de Ben de rencontrer la vieille femme. La chambre est sombre, l’odeur difficilement supportable : l’occupante des lieux aiment les chats (on ne nous dit pas si elles les aiment morts ou vivants d’ailleurs, sûrement un peu des deux). Une femme se tient sur une chaise à bascule, dos à la porte, et elle brode (le motif est un nourrisson joufflu, le même que celui qui regardait Ben dans la chapelle, et elle est en train de lui broder les yeux…). Ben s’approche doucement et tend la main vers l’épaule de la vieille femme, qui d’un geste lui saisit le poignet et l’empêche de s’en défaire. Sa force est incroyable. D’autant plus incroyable qu’elle est aveugle… Elle se présente : elle est la mère d’Henry Scudder, la grand-mère de Ben. Elle attendait la venue de son petit-fils.

Une scène de cet épisode m’aura particulièrement fait rire (et ce n’est pas si habituel que cela dans Carnivàle, d’habitude j’ai plutôt les choquottes) : Ben redescend de l’étage avec Mère-Grand à ses côtés et il l’aide à descendre les escaliers (d’ailleurs on ne voit pas comment ils font pour ouvrir le verrou de la chambre, mais ce n’est qu’un détail). En bas les attendent les « cousins », comme les appelle la vieille femme. « Ils voudraient te voir mort, mon petit », dit-elle à Ben, sur le ton de la plaisanterie (mais tant que ça). « Mais non, Mémé, voyons, non ! » s’exclament en coeur les trois hommes, visiblement apeurés de la voir sortir de sa chambre. C’était drôle. Comme le « Oh shit ! » de l’épisode précédent, lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ont fait une boulette en essayant de tuer Ben.

Qu’apprenons-nous de Mère-Grand ? Trop peu, c’est bien ce qui me chagrine. Mais ce qu’elle nous dit n’est pas sans intérêt (aucun dialogue, aucun plan n’est sans intérêt dans Carnivàle, qu’on se le dise). Le grand-Pa’ Scudder est mort. Il était un des fondateurs du KKK, un « Dragon ». Il avait « des grands projets pour ce pays ». D’ailleurs, dans la chambre de Mère-Grand, il y a une photo d’un lynchage d’un homme noir… Charmant monsieur… Pour un héritier de la lignée de la Lumière, ça fait tâche… D’autant plus que le Grand-Pa’ est mystérieusement mort le même jour que tous ses frères. Ben questionne : que s’est-il passé ? Un accident ? « Les gens meurent, tu devrais t’y habituer mon p’tit. Il n’y a pas d’accident », lui répond Mère-Grand (qui oscille entre vieille folle attendrissante et vieille folle qui fait peur). Non, en effet, il n’y a pas d’accident. Dans un monde réglé par la magie, les cartes et l’accomplissement de la destinée, les accidents n’existent pas. De même que le libre-arbitre, le choix, l’alternative. L’aliénation est le deuxième prénom du Destin. Et Ben n’a fait que l’entrevoir.

Il n’y a peut-être pas d’accident, mais il est certain qu’il y a une force à l’œuvre : les hommes de la famille Scudder sont tous morts le jour de la naissance de ce cher Henry. Mère-Grand les a égorgé pendant leur sommeil. Et elle s’est cousue les yeux ensuite. Pour moi, ça ressemble beaucoup à un sacrifice. D’ailleurs en y pensant, le sacrifice est un thème majeur dans Carnivàle. Je m’explique :

Lodz a été sacrifié par le Management pour approcher et contrôler Ben.
Apollonia a voulu sacrifier sa fille et mourir avec elle, pour une raison encore inconnue.
Iris a sacrifié les orphelins pour permettre à Justin d’accomplir son destin.
Justin s’apprête à sacrifier sa sœur à la chaise électrique pour le meurtre de ces enfants.
Mère-Grand a sacrifié tous les hommes de sa famille le jour de la naissance de son fils.

Bien entendu, le sacrifice est très présent dans toutes les mythologies. Prenons le plus célèbre des sacrifices : Dieu offrant son fils à la violence des hommes. Dans Carnivàle, le sacrifice possède cette symbolique très particulière d’un meurtre obéissant à des lois supérieures et à des intentions inintelligibles. Le sacrifice sert le destin, et l’accomplissement de ce destin.

Si elle a préféré se coudre les yeux après avoir égorgé ces hommes, c’est certainement pour se punir. Ou comme dans le cas de Lodz, c’était peut-être une contrepartie pour les pouvoirs qu’elle a gagné à ce moment-là (sa force et sa vision extrasensorielle doivent bien venir de quelque part). Le meurtre de ces hommes, le jour de la naissance de Henry, ressemble fortement à un sacrifice qui dirait : laissez-le vivre, et en échange voilà ce que je vous donne. Ou bien avait-elle besoin d’une force particulière pour donner naissance à cet être extraordinaire.

Contemplant un étrange masque en plâtre, Ben reconnaît le visage de son père. Il demande ce que cet objet représente. Mère-Grand lui répond qu’il s’agit d’un masque mortuaire. La date indique 1924… Scudder serait donc mort ? Au moment où Ben réalise cela, le masque prend vie et ses yeux s’ouvrent (encore une métaphore). Surpris, Ben le fait tomber, le masque qui se brise en deux. Il n’a pas compris que son père tentait de communiquer avec lui.

Mère-Grand offre à Ben un cadeau « de la part d’Henry », dit-elle. Elle lui intime l’ordre de fermer les yeux. Ben lui ment et garde les yeux ouverts. « No peaking », prévient-elle. Ben ferme les yeux. Et la main qui tient le couteau se lève au-dessus de Ben, comme pour le frapper, comme pour le sacrifier lui aussi. Mais quelque chose se produit. Une force résiste, la vieille femme n’arrive pas à abattre sa main sur sa victime. Est-ce Scudder qui empêche sa mère de tuer son fils ? Etait-ce un test ? Elle finit par tendre le couteau à Ben, en offrande. "He wanted you to have it. You’ll need it where you’re going.", lui dit-elle. Et où va-t-il, le jeune Ben Hawkins ? "La où le chien et loup hurlent à la lune", lui répond sa grand-mère. Ce qui est intéressant dans cette phrase c’est qu’elle décrit une carte du jeu de tarot, l’arcane XVIII, la Lune… Est-ce un véritable lieu ou bien une destination, au sens plus métaphorique du terme ?

En tout cas, ce poignard n’est pas anodin. Au moment où Ben le prend dans ses mains, Justin est frappé par une vision qui le terrasse : il voit Ben l’attaquer en pleine poitrine. Justin s’écroule, sous le choc « He means to kill me », laisse-t-il échapper pendant que sa sœur vient à son secours. Cela va-t-il changer ses plans de tuer Scudder ? Justin est-il en train de réaliser que son véritable ennemi n’est pas Scudder, mais Ben ?

Son « archangel » continue son enquête et son dernier arrêt l’a conduit chez les Templiers, dont il a fait exploser le bâtiment. Il est toujours sur la piste de Scudder, et bien entendu tout conduit vers Ben. Justin lui ordonne de le suivre…

Pendant ce temps, Justin sait passer du bon temps… Quand il promettait à Céleste de lui faire voir des choses « terribles », ce n’était pas une parole en l’air. Depuis la chambre de Norman, située juste en dessous de celle de Justin, on entend des hurlements absolument terrifiants, bestiaux (infernaux même), et les pleurs de Céleste, dont on n’imagine même pas ce qu’elle est en train de subir. Et comme Norman, on sert les poings…

Justin s’acharne à torturer son père adoptif. Il ne se contente pas de vouloir le tuer (au sens psychanalytique du terme, comme l’a fort intelligemment relevé Joma sur le forum d’EDUSA consacré à Carnivàle), il veut que sa souffrance dure le plus longtemps possible. Il veut lui montrer l’étendue de sa férocité, de son absence totale d’humanité, de son abus de pouvoir. Il tue non seulement le père, mais également le Père. Il tue Dieu.

De la même façon, il persiste à vouloir condamner sa sœur. Il veut que Tommy Dolan accumule plus de preuves contre elle. Il veut qu’elle soit condamnée. Jugée et tuée par un tribunal. Iris n’est pas dupe. Ce qui nous donne une scène absolument magnifique, dans laquelle Iris finit par montrer son vrai visage. Si elle plonge, elle le fera plonger avec elle. Il n’y a plus de fraternité qui tienne. Et pourtant, elle a vu ce dont Justin était capable avec ses proies : elle a vu le visage dévasté par la terreur de Céleste, au petit matin. Ca ne l’empêche pas de lui apporter d’autres jeunes femmes à son goût : une autre servante viendra remplacer Céleste.

Iris joue un double-jeu. Et elle possède un double-langage. Quand elle appelle son frère « Alexei », ce n’est pas à Justin qu’elle s’adresse. Comme Fallen_Leaf l’a également fait remarquer sur le forum, il s’agit d’une personne différente. Et leur relation est alors différente. Elle veut protéger Alexei. Contre tous les dangers (y compris la menace de Ben). Mais elle est capable de se battre contre Justin s’il le faut…

Un point délicat de cet épisode est le discours que prononce Justin devant ses fidèles. Ce n’est plus un prêche religieux, il n’est plus question de référence aux textes sacrés ou à la volonté de Dieu. Je n’avais pas fait attention lors du premier visionnage, mais au second, ce discours m’a fait pensé à ceux prononcés par Hitler avant son accession au pouvoir. On est en 1934, je le rappelle. Hitler est actuellement en train d’accéder au pouvoir. Tout comme Mussolini, dont on peut voir des images dans le générique, et dont le nom apparaît dans un journal au cours de l’épisode précédent. Carnivàle s’inscrit dans l’histoire, comme son générique le montre. Ce sont souvent de courtes allusions, des noms lâchés (Klan ; dragon…), des images furtives. Mais nous sommes bien dans une époque plus que troublée, nous sommes à l’aube d’une guerre abominable. Et le discours de Justin, à propos de ces « banquiers » et de la façon dont ils ont asséchés l’europe puis à présent l’Amérique, fait étrangement penser à un discours anti-sémite qui voudrait que tous les juifs soient banquiers et qu’ils veulent se partager le monde, la terre des paysans en particulier... Le discours de Justin est haineux. Que veut-il atteindre par ce biais ? Une milice armée qui le protègerait ? Un groupuscule en sécession du pouvoir actuel ? Pourquoi faire de la politique ?

Pendant ce temps, au cirque, la situation s’envenime. Lila, persuadée que Samson a tué Lodz, cherche à rallier autour d’elle un groupe d’hommes et à les monter contre lui. Elle trouve un support timide dans la personne de Stompy, qui cherche par tous les moyens à se faire plus d’argent mais qui rencontre des oppositions de la part de Samson.

Rita Sue est de son côté harcelée par un des membres du cirque, un monteur-démonteur à la moustache arrogante et à la machoire avancée. Il s’appelle Burley et il est très inquiétant, dans son genre. Il nourrit une certaine haine envers les femmes, et je le verrai bien essayer de violer Rita-Sue ou Libby un de ces quatre… Libby, qui, d’ailleurs, continue d’entretenir la tension sexuelle qui existe entre elle et Jonesy. Au grand mécontentement de sa mère, d’ailleurs.

Ruthie continue à apercevoir le fantôme, tout de noir vêtu, d’Apollonia, veillant sur Sofie. Tout comme sa fille, elle sent une odeur de brûlé à chaque apparition… Personnellement, l’image d’Apollonia immobile au milieu d’un champ m’a marqué. Son voile qui recouvre son visage, et cette couleur carbonisée… Je n’arrive pas à voir du noir, je vois du brûlé… Sofie se tue au travail. Elle subit le harcèlement de ses chers collègues masculins (enfin ça reste à prouver) sans broncher, et creuse un trou quand Jonesy lui demande de creuser. Alors que Samson vient lui apporter à boire et lui dire de se reposer, elle lui répond qu’elle ferait n’importe quoi pour ne pas retourner aux cartes. Samson semble déçu par cette réponse. On sent bien qu’il aimerait qu’elle s’y remette, au contraire. Sûrement des ordres du Management. Mais là où Sofie a plus de volonté que Ben, c’est qu’elle résiste à cette influence. Oui, elle ne sait pas encore où elle va, elle vit dans la peur depuis que sa mère a essayé de la tuer, mais elle reste déterminée : elle ne relira pas les cartes. Même quand Ben va la voir, même quand les cartes lui volent jusque dans les mains, elle refuse. Elle se libère de l’influence de sa mère, et elle fait fi de celle du Management. J’aime son personnage de plus en plus. Et j’aime le rapport très particulier qu’elle entretient avec Ben.


Les pouvoirs de Justin ne sont pas que surnaturels. Ils sont surtout dans son degré de perversité et dans l’ absence de la moindre once d’humanité.
Le personnage d’Henry Scudder se fait de plus en plus flou et obscur, mais de plus en plus fascinant par la même occasion. Il n’a jamais été aussi présent que depuis ce début de saison.